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Le pire.

Publie le vendredi 17 août 2012 par Open-Publishing
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* En 2012, le pire, ce n’est pas de travailler trois mois de suite (ceux de la belle saison, de préférence d’avril à juin) de 3h55 à 12h05 six jours sur sept avec pour seule contrepartie assurer le chiffre d’affaire de l’entreprise et ainsi que les dividendes des (dirigeants-)actionnaires soient garantis afin que ceux-ci puissent renouveller leur flotte de BMW et Audi d’à peine douze mois d’âge tandis que les smicards tirent le diable par la queue pour migrer d’une Peugeot 205 version 1988 au modèle 106 du cru 1994.
 Le pire, ce n’est pas quand ton patron viens t’agonir gratuitement en te tutoyant, juste pour se faire plaisir et confirmer sa supposée supériorité.
 Le pire, ce n’est pas l’absurdité de certains articles du règlement intérieur ou, encore plus vicieux, ces articles qui n’y figurent pas mais font partie de “l’esprit de l’entreprise” (comme celui de rester 5h00 + 2h30 debout sans bouger sans qu’absolument rien ne le justifie ou celui d’imposer la plus grande pause possible à midi [2h00 !] alors que le personnel concerné mange sur place).
 Le pire, ce n’est pas qu’un quelconque échellon de la hiérarchie vienne te demander sur un ton martial pourquoi tu esquisses un sourire.
 Le pire, ce n’est pas qu’il faille demander à son chef de service pour quitter son poste de travail afin d’aller uriner.
 Le pire, ce n’est pas quand le taux horaire figurant sur la première fiche de paie est inférieur à celui convenu lors de l’entretien d’embauche. Et que bien évidemment, il faut redoubler d’ingéniosité (et de perfidie) pour espérer le faire réviser.
 Le pire, ce n’est pas de se faire repousser sans ton consentement, le jour-même qui aurait du être le dernier avant les vacances, ses congés payés, ultime reliquat que le patronat n’a pas encore démantelé face à un salariat plus qu’apathique.
 Le pire, ce n’est pas de trimer seul en “compagnie” du chef d’atelier jusqu’à 20h05 un 31 décembre.
 Le pire, ce n’est pas d’apprendre que l’entreprise ferme pour congés alors qu’il a été publiquement dit auparavent qu’elle ne ferme jamais et que les congés du personnel sont échelonnés.
 Le pire, ce n’est pas de voir ton directeur tourner ostensiblement la tête en direction de la machine au moment de venir te serrer la main le matin et te dire, au moins en théorie, “Bonjour”.
 Le pire, ce n’est pas de dire “Bonjour” à ton chef d’atelier sans qu’il ne te réponde et ce, même après de multiples tentatives.
 Le pire, ce n’est pas que des ouvriers intérimaires soient jetés comme des malpropres pour des motifs tout autres que professionnels.
 Le pire, dans le cas d’un collègue partant à la retraite en ayant fait l’intégralité de sa carrière dans l’entreprise et ayant demandé à terminer un jour plus tôt, ce n’est pas que la direction lui fasse savoir qu’il ne sera pas étonné de voir sa fiche de paie amputée d’un jour de travail. Comme si ce grand garçon de 60 ans n’y avait pas pensé tout seul.
 Le pire, dans le cas d’un collègue ayant plus de 30 ans d’ancienneté et venant de faire un accident vasculaire cérébral chez lui au petit matin, ce n’est pas lorsqu’un chef d’atelier s’exclame spontanément : “Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse !?”.
 Le pire, ce n’est pas que ton patron débarque dans l’enceinte de l’entreprise, passablement émmêché, soupçonne des collègues de dérober du matériel dans des cartons alors que ceux-ci ne contiennent que les colis des fêtes de fin d’année livrés par le Comité d’Etablissement.
 Le pire, ce n’est pas d’entendre de la bouche de la responsable des ressources humaines que si tu n’as jamais été augmenté en plusieurs années d’expérience et d’implication dans les tâches qui t’étaient confiées (voire même au delà) c’est parce que ton “savoir-être ne correspond pas aux attentes de l’entreprise” et que tu “n’interroges pas les bons interlocuteurs dans ton parcours professionnel” bien que ton “travail soit irréprochable”.

* Non, le pire en 2012, c’est de surprendre un simple ouvrier comme soit-même interpeller un autre simple ouvrier comme nous en lui demandant : “Au fait, tu as toujours ton portefeuille d’actions de chez X ?” Et ce dernier de répondre : “Ah non, j’ai tout vendu au bon moment, pour un très bon prix”.
 Le pire, c’est d’apprendre qu’un simple collègue, simple ouvrier lui aussi, achète des lingots d’argent afin de les revendre plus cher si toutefois la main invisible du marché désire faire grimper son cours.
 Le pire, c’est d’apprendre que plusieurs collègues, simples ouvriers eux aussi, jouent au bourgeois en détenant un ou des appartement-s qu’ils louent à encore plus pauvres qu’eux.
 Le pire, c’est lorsqu’un collègue, simple ouvrier, vient te dire : “Mais toi, tu serais patron, celui-là [en parlant d’un tiers], tu le virerais.”.
 Le pire, c’est lorsque ce même collègue, toujours aussi simple ouvrier, te fais comprendre que sans crédit bancaire sur le dos et sans être accroché à une petite famille-modèle, tu n’as qu’à dégager sur-le-champ si quelque-chose ne te plais pas.
 Le pire, c’est d’apprendre que des collègues, plus ou moins élevés dans la hiérarchie, aiment à passer leurs week-ends en compagnie de la direction.
 Le pire, c’est de voir un ancien collègue de même rang changer totalement de comportement au moindre galon octroyé par le commandement supérieur.
 Le pire, c’est lorsqu’un collègue occupe le poste de délégué syndical afin d’obtenir un aménagement de ses horaires.
 Le pire, c’est lorsque les premiers échelons de la hiérarchie se renseignent sur ta vie privée en passant par des mouchards intermédiaires. Avant d’aller le répercuter -au gré de quelques déformations, si besoin est- tout en haut de la pyramide, comme de bien entendu.
 Le pire, c’est de passer pour un fou auprès de simples collègues ouvriers en émettant le désir de vouloir travailler (un peu) moins pour la même paie plutôt que d’accepter une augmentation de salaire. Impossible d’imaginer la réaction d’un (petit) chef. Anticiper l’attitude du tout grand patron relève de la science-fiction.
 Le pire, c’est de se rendre compte d’être autant voire plus compétent que le premier niveau de hiérarchie et de voir celui-ci avoir peur pour sa place.
 Le pire, c’est de se retrouver en position de force face à la direction et de ne rien éprouver d’autre que du dégoût. Et de choisir de se dérober plutôt que de vaincre.
 Mais le pire, c’est aussi débarquer à l’usine avant le petit matin et d’apprendre par une rumeur diffuse, d’abord sans trop y croire, que le collègue encore tout sourire la veille à midi avait passé l’arme à gauche à peine rentré chez lui. Qu’il lui restait à peine 6 mois à tirer. C’est surtout ça le pire.

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