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Mobilisation à Radio France où plus de la moitié des journalistes ne sont pas titulaires

Publie le mercredi 18 mai 2005 par Open-Publishing

Le ras-le-micro des pigistes et précaires

de Annick PEIGNE-GIULY

A Radio France, plus d’un journaliste sur deux est un précaire. C’est du moins ce qu’affirmait, l’an dernier, France précaire (1), une gazette apparue sur Internet. Depuis, six numéros de cet e-fanzine des CDD et pigistes (non syndiqués) ont suivi, décortiquant la situation de quelque 380 journalistes sur les 650 que compte la radio publique. En avril, le SNJ (Syndicat national des journalistes) est revenu à la charge dans un « Livre blanc spécial précaires ». Bilan : ce sont ces personnels vulnérables qui font tourner les stations de service public, sans avoir ni les droits ni les garanties des titulaires. A deux semaines d’une première rencontre sur la question, Martin Adjari, directeur général à Radio France, conteste : « Ces chiffres ne sont pas significatifs, ils englobent aussi le pigiste qui a travaillé une journée pour nous dans l’année... Non, le volume de précaires à Radio France reste normal ». Dire si le rendez-vous sur cette question sensible risque d’être houleux.

Profil type. « C’est surtout dans les stations locales, reprend le SNJ, que le taux raisonnable de piges et de CDD est dépassé. » Pour arriver à ce constat, le syndicat a dû mener l’enquête, retrouver le pigiste permanent qui fait vingt piges par mois dans la même station, l’occasionnel qui jongle entre trois locales, celui qui enchaîne les contrats... Au fil de cette investigation se dessine un profil type du précaire. Bernard, 27 ans, lui ressemble. Arrivé à Radio France après une école de journalisme, il s’est retrouvé au planning de Radio France. « Le planning, explique-t-il, c’est une liste de journalistes gérée par une seule personne à Paris. C’est elle qui décide qui sera envoyé à Lille ou à Mont-de-Marsan pour un remplacement d’une journée ou de trois semaines. » Pendant trois ans, Bernard jongle, pige pour la locale de sa ville entre deux contrats aux quatre coins de l’Hexagone. « On m’envoyait à Noël pour trois semaines faire la matinale à Strasbourg. Puis trois jours dans le Centre, quinze jours à Poitiers et une semaine à Marseille... »

Chaque remplacement est suivi d’un rapport du rédacteur en chef de la station au service planning. Pour Bernard, un jour, tombe un rapport assassin, et les mois passent sans que le téléphone sonne. « Je suis monté à Paris rencontrer la responsable du planning. J’avais des arguments en ma faveur mais ça n’a servi à rien. » Pour le SNJ, l’histoire est symptomatique d’une gestion surtout économique de ces personnels. « Normalement, après deux ans d’ancienneté, avec la carte de presse, le journaliste doit être augmenté, explique le syndicat. C’est pourquoi les précaires sont souvent virés au bout de deux ans. » Le SNJ estime que le budget des précaires équivaut à 116 postes permanents.

« Nettoyage ». Cette cessation de travail brutale, qui ne s’embarrasse généralement ni d’explication ni de procédure de licenciement, n’a rien d’exceptionnel. « J’ai commencé le planning à Noël 2002 par quinze jours de remplacement à l’autre bout de la France, raconte Paul. J’ai enchaîné ensuite quinze villes en un an et demi et en trente contrats. Un jour, j’ai postulé pour un poste dans le Centre. Je n’ai pas été retenu. Motif : "ça fait trop longtemps que tu piges"... A la suite de quoi, le planning ne m’appelait plus. J’ai demandé des explications. On m’a répondu qu’il avait été décidé de "nettoyer mon dossier". Aujourd’hui, je suis décidé à aller aux prud’hommes. » Un « nettoyage » que la direction de Radio France justifie par l’embouteillage de pigistes et CDD. Néanmoins, pourquoi en est-on arrivé là ? La machine s’est sans doute emballée depuis les RTT, avec la démultiplication des congés, mais aussi avec la création de nouvelles locales partout en France.

« Prenons la nouvelle locale que Cluzel, le président de Radio France, vient d’inaugurer à Toulon, poursuit Hubert Huertas du SNJ. Elle s’ouvre avec deux journalistes en poste. Or, il en faut sept pour tenir l’antenne toute la journée et la nourrir. » Pour Martin Adjari, c’est un fonctionnement normal : « Il y a certes un besoin accru de pigistes à cause des nouvelles locales et des RTT, mais on aura toujours besoin d’eux pour des remplacements ou des imprévus. » C’est donc aussi la gestion des rédactions qui est en question. « Il est malsain pour une station de tourner avec une majorité de journalistes précaires réguliers », maintient le SNJ, qui réclame une promesse de 50 contrats à durée indéterminée pour embaucher des précaires. La direction de Radio France, elle, souhaite ne « discuter qu’au cas par cas ».

(1) franceprecaire@yahoo.fr

http://www.liberation.fr/page.php?Article=296761