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Jean-Jacques Aillagon : "Des abus de toute nature ..."

Publie le jeudi 26 juin 2003 par Open-Publishing

Jean-Jacques Aillagon : "Des abus de toute nature ont fragilisé le régime des intermittents"

Patronat et syndicats doivent discuter à l’Unedic, le 26 juin, de leur système d’indemnisation. Entretien avec le ministre de la culture et de la communication.

Avant la dernière réunion entre représentants des organisations patronales et syndicales prévue à l’Unedic jeudi 26 juin, le ministre prend position sur le dossier des intermittents du spectacle. Ces derniers, qui multiplient les grèves et les manifestations tant en province que dans la capitale, maintiennent la pression et tenaient encore, mardi 24 juin, une assemblée générale quotidienne au Théâtre de la Colline à Paris. Cet entretien a été relu et amendé par M. Aillagon.

Même si vous n’êtes pas directement partie prenante dans les négociations entre les organisations patronales et syndicales dans le dossier des intermittents du spectacle, quelle est votre position sur ce sujet ?

On parle souvent improprement de statut des intermittents alors qu’il s’agit d’une réforme spécifique d’affiliation à l’assurance-chômage. Ce n’est pas l’Etat qui administre l’Unedic, mais les partenaires sociaux, employeurs et salariés, qui le font. Ce sont les cotisations de tous qui contribuent au financement de l’ensemble. C’est le sens du principe de solidarité interprofessionnelle. L’Etat doit-il pour autant rester inactif ? Non ! Depuis un an je me suis engagé fortement sur ce dossier, recevant l’ensemble des partenaires sociaux, du Medef à la CGT. J’ai évoqué ce dossier notamment avec Ernest-Antoine Seillière -président du Medef-, Bernard Thibault -secrétaire général de la CGT-et François Chérèque -secrétaire général de la CFDT-. Quant à Jean Voirin, secrétaire général de Fnasac-CGT, il aura été le plus fréquent de mes visiteurs, plus fréquent même que le directeur du Louvre. C’est ainsi que j’ai pu réaffirmer l’attachement du gouvernement à l’existence d’annexes spécifiques pour les professions du spectacle et de l’audiovisuel, dans le respect de la solidarité interprofessionnelle. J’ai réussi, je crois, à faire évoluer certains esprits, notamment au Medef, ce qui a permis, je l’espère de sauver l’intermittence.

Pourquoi cette aide indirecte à la création et au spectacle vivant n’est-elle pas donnée directement par le ministère de la culture et de la communication ?

Avec une conviction saluée dans le monde entier, l’Etat et les collectivités locales engagent des crédits substantiels en faveur de l’audiovisuel, de la musique et du spectacle vivant. Cet engagement permet un haut niveau d’activité et donc d’emplois tant permanents que discontinus. C’est pour les salariés exerçant leur profession de façon discontinue qu’a été légitimement conçu un régime particulier d’assurance- chômage. Il ne faut donc pas raisonner à l’envers : l’Unedic ne se substitue pas à des collectivités publiques défaillantes. C’est bien parce que ces collectivités, dont l’Etat, subventionnent largement le secteur que le développement de l’activité a justifié la création d’un régime spécifique adapté. C’est une particularité française. Je me réjouis que personne aujourd’hui n’en conteste la légitimité.

Considérez-vous que la fraude est le problème essentiel de ce dispositif ?

C’est l’un de ses handicaps. N’oublions pas que l’intermittence, dont relèvent près de 100 000 salariés, génère à elle seule près du quart du déficit de l’Unedic. Des abus de toute nature ont fragilisé le régime : recours de certains employeurs à l’intermittence pour se dispenser d’établir des contrats de droit commun à leurs employés, agrégation de trop nombreuses professions périphériques à ces annexes, petits arrangements de confort malheureusement courants, reposant parfois sur l’accord tacite des employeurs et des salariés. Tout cela a lourdement lesté un dispositif fragile par nature. C’est pour combattre les usages contestables que j’ai écrit aux patrons de l’audiovisuel public pour leur demander d’y mettre bon ordre et de me présenter début juillet un bilan précis sur leur recour à l’intermittence. Il faut être rigoureux quand on veut imposer cette vertu aux autres.

Que pensez-vous des dernières propositions du Medef, qui visent à réduire la durée d’indemnisation de douze à six mois, pour 507 heures effectuées non plus en un an mais en neuf mois ?

Je ne souhaite pas commenter par avance une négociation qui relève de la responsabilité de partenaires sociaux. Je leur ai néanmoins indiqué que j’étais, par-dessus tout, attaché au maintien de la spécifité du régime de l’intermittence. Chacun reconnaît que le déficit doit être réduit. D’après les informations dont je dispose, la durée d’indemnisation, comme la durée de référence pour le décompte des 507 heures, seraient les deux paramètres sur lesquels les partenaires sociaux devraient jouer pour y parvenir. Mais cela doit se faire dans des proportions qui ne rendent pas de fait l’accès au régime impraticable, comme je l’ai indiqué le 22 mai dernier après mes entretiens avec les partenaires sociaux.

Je souhaite instamment que ceux-ci puissent aboutir à un accord signé et validé par le gouvernement. Il s’agit de produire une esquisse économique tolérable. L’intermittence doit être remise dans sa juste perspective : c’est un dispositif destiné à ceux qui vivent effectivement des métiers relevant du spectacle vivant, du cinéma et de l’audiovisuel. Je crois au principe de reconnaissance professionnelle et de solidarité interprofessionnelle.

L’idéal serait d’aboutir à un compromis pour lutter efficacement contre les abus et tendre vers un meilleur équilibre financier. Cela permettrait de sortir d’une situation provisoire, alors que jusqu’à présent le statut des intermittents est remis en cause tous les six mois. Il y a là un intérêt fondamental à stabiliser la règle du jeu et à permettre à tous de travailler dans des conditions sereines et pérennes.

Propos recueillis par Nicole Vulser

• ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU MONDE du 26.06.03