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Situation dans les zones sinistrées du Chiapas (III)

Publie le vendredi 28 octobre 2005 par Open-Publishing

Au troisième jour de notre visite des zones affectées par l’ouragan
"Stan", nous arrivons à Tapachula, ville à laquelle il était impossible
d’accéder, il y a quelques jours encore. Des familles membres des bases
d’appui zapatistes y vivent, dispersées dans plusieurs cités et quartiers
de la ville tels que les quartiers Girasoles, 5-Février, Franboyanes, Los
Reyes, Santa Clara et Democracia, ainsi que dans d’autres communes
voisines, comme Cacahuatán.

Pour nous y rendre, nous avons dû franchir la rivière Coatán. Sur des
centaines de mètres le long de ses berges, tout n’est que désolation. La
ville n’a pas meilleure mine, mais, de façon incompréhensible, cette zone
n’est pas déclarée zone de catastrophe, alors que nos yeux le démentent à
chaque instant. Visiblement, les habitants non plus ne sont pas d’accord,
pas plus que les avenues ravagées, les maisons ensevelies, les parents qui
pleurent leurs défunts. Personne, en fait. La vue dantesque offre un
contrepoint aux affiches officielles qui semblent ironiser en déclarant :
"Le gouvernement de Pablo (Salazar) fait de Tapachula la ville que nous
méritons."

Nous n’avons pu voir la maison que d’un seul compa, Martín, les autres
étant au travail ou ne pouvant être localisés. Les compas y avaient sept
machines à écrire, un micro-ordinateur, deux réfrigérateurs, des lits...
tout est enseveli aujourd’hui. Juste à côté, il y avait l’école autonome
avec ses tableaux, ses pupitres, ses cahiers... elle a souffert beaucoup de
dégâts, la moitié du bâtiment est enterré.

Le compa raconte : "Je n’ai pas pu sortir, j’ai passé quatre jours là-haut
(sur le toit) sans avoir rien à manger ni rien. Et il pleuvait sans arrêt.
Un homme a été emporté par le courant, il agitait les bras... Nous ne
l’avons pas revu." Il ajoute qu’à Cancún la catastrophe n’a pas été aussi
importante parce que les autorités ont prévenu à temps. Les habitants ont
pu barricader portes et fenêtres et s’enfuir. Indigné, il demande :
"Pourquoi ne nous a-t-on pas prévenus, à nous ?" Il donne lui-même la
réponse en disant que c’est parce que, eux, à Cancún, ils produisent,
tandis que lui et les autres, non. "Mais les gens ne s’en rendent pas
compte, de ça. C’est normal, parce que le gouvernement ne veut pas que ça
se sache. Ça te donne sacrément envie d’aller leur casser la tête à ceux
du gouvernement, mais on se retient parce qu’on est zapatistes."

Il n’a pas été plus tendre envers les aides officielles : "Pendant deux
jours, il n’y a qu’un seul hélicoptère qui s’est pointé, quand Fox et
Pablo sont venus traîner leurs basques, à déverser leurs mensonges." Le
pire, d’après ce qu’il nous dit, c’est qu’il a entendu à la radio qu’il
avait pu emporter avec lui sur le toit que les hélicoptères n’évacuaient
que les enfants des fonctionnaires, des artistes et des fils à papa. "Les
petits des marranos (des cochons) étaient plus propres que les refuges, où
il n’y avait rien." Et d’ajouter : "Ça m’enrage de savoir que même les
gens qui sont pour le gouvernement, ils ne les aidaient pas. C’était
humiliant, ils leurs donnaient une poignée de lentilles pour cinq
personnes. Si nous, les zapatistes, on avait de quoi, on donnerait tout
aux pauvres, qu’ils soient avec notre lutte ou non. Nous, nous
n’attendions rien d’eux. S’ils étaient venus me chercher, je ne serais pas
descendu (du toit), je ne lutte pas depuis hier."

Le prix des denrées de base a presque quintuplé. Le prix d’une
demi-douzaine d’œufs, par exemple, est passé de 20 à 90 pesos. Du coup,
c’est cocasse de lire des annonces du style "les programmes d’aide sociale
ne s’échangent pas contre des votes ou de l’argent. Ne vous laissez pas
duper !". Surtout juste après qu’on nous a raconté que les gens proches du
gouvernement réceptionnent les aides matérielles et font du trafic. Par
ailleurs, selon ce qu’il nous dit encore, les dirigeants corrompus du PRI
racolent les clients et passent de maison en maison en disant que les
aides sont arrivées. À l’approche des élections, curieusement. "C’est
maintenant qu’ils essaient de se rallier les habitants, en profitant de
leurs besoins, mais les gens sont furieux."

Comme à l’accoutumée, les compas ne pensent qu’à tenir le coup et
continuer. "On a beaucoup de boulot devant nous. Ça n’est pas facile, mais
on y arrivera, lentement, parce que nous n’avons pas de moyens. Dans la
lutte, il s’agit de vivre. Survivre, on le fait déjà." Il nous explique
aussi qu’être en résistance signifie également, entre autres, ne rien
donner au gouvernement et ne rien recevoir de lui. "Le seul gouvernement
que nous reconnaissions, c’est celui du Conseil de bon gouvernement. Nos
affaires, nous les réglons d’abord avec le Conseil autonome, puis avec le
Conseil de bon gouvernement. Ça prend du temps, mais c’est notre chemin."

Accompagnés de Martín, nous avons pris place à bord de la Compamobile, "la
chacharina", un véhicule avec la plaque délivrée par le Conseil, et
traversé toute la ville pour aller au marché. Là, nous avons discuté avec
des compas qui gagnent leur vie en vendant les aliments qu’ils emportent
sur leurs triporteurs, eux aussi équipés de la plaque du Conseil. Nous
étions complètement étourdis car cette rencontre avait lieu dans un marché
bondé et le moindre recoin occupé par des stands, et aussi parce que
c’était en ville. En ce qui les concerne, ils n’ont pas été directement
affectés par les pluies, mais des parents à eux, si, et ils nous ont
confié qu’ils n’avaient aucune nouvelles de leurs compañeros et ignoraient
dans quelle situation ils se trouvaient.

Quand nous leur avons expliqué que nous venions de différents pays
européens et que nous communiquions leur situation à travers nos
collectifs respectifs, Martín fut visiblement saisi d’émotion et nous a
dit que le fait que nous soyons là est un véritable rêve pour eux. Au
moment de se dire au revoir, il nous a offert ces quelques mots : "Nous,
nous nous battons pour ceux d’en bas, pour les endormis, pour les
sans-voix. C’est à nous qu’il revient de le faire, il n’y a d’autres
moyens. L’ennemi est ailleurs, pas ici. Il vaut mieux crever de faim que
vivre à genoux, mais ce n’est pas de faim que nous allons mourir. Nous
sommes tous comme un seul bras."

Des membres de quatre collectifs d’Europe :
Collectif de solidarité avec la rébellion zapatiste (Barcelone), Campagne
"Une école pour le Chiapas" (Athènes), CSPCL (Paris), "Terres à terres"
(Le Havre).

Chiapas, le 25 octobre 2005.

Traduit par Angel Caído