Accueil > LES DROITS DE L’HOMME : Au prix d’une couverture

LES DROITS DE L’HOMME : Au prix d’une couverture

Publie le lundi 9 janvier 2006 par Open-Publishing
4 commentaires

de Séverine Capeille

Article 1 : Pièce d’étoffe destinée à protéger du froid

Tu n’as pas pu le réchauffer. Tu l’as serré fort contre toi mais... Tu t’arrêtes là. Tu laisses un silence que la journaliste va combler par des informations chiffrées. Tu n’écoutes pas. Tu le tiens dans tes bras, encore. Ton petit garçon... Son dernier souffle dans la nuit, son pouls envolé sous tes cris. La pâleur. Et le petit matin qui malgré tout revient. Tes joues creuses, ton châle en tissu sur les épaules. Tu réponds calmement maintenant. Tes yeux fixent la caméra. Tu es sous une tente au Pakistan. L’image ne reste que quelques secondes.

Article 2 : Pièce de matière imperméable destinée à protéger de quelque chose

Paris brûle. Les voitures et les femmes. Shéhérazade, ta beauté... les mille et une nuits, incendiées. L’effroi, la gravité de ton regard qui ne verra plus jamais la neige tomber. Le feu qui consume ton adolescence. Tes cris, tes cris et puis... la couverture sur tes brûlures. Le manteau blanc du silence.

Article 3 : [administration] ensemble des dispositifs privés ou publics, qui sont destinés à garantir un certain nombre de droits (à un assuré social) • réformer la couverture sociale d’un pays.

Il fait si froid. On donne des tentes aux sans-abri. Des soupes sans porc parfois aussi. Tu remercies. Tu prends le bol en posant les deux mains autour. Semaine après semaine, tu t’enfonces dans la solitude, puis un jour... Quelqu’un vient ramasser ton vieux plaid râpé. On parle de toi, que tu n’avais que trente-cinq ans, que tu laisses un chien affamé.

Article 4 : Activité destinée à cacher l’activité illicite ou secrète (d’une personne physique ou morale)

Tu te souviens. Les transports en commun. La nausée. Les paroles de ta mère lorsque tu l’as quittée. Ce travail qu’on t’avait promis... tu n’aurais jamais cru. Tu regardes la rue. Il n’y a personne ce soir. Tu remontes ton col. Tu es presque nue. Tes chaussures à talon te font mal. Comme un papillon de nuit tu te meurs à l’aurore. Quand le client s’endort. Tu vacilles, balances ton sac sur le pavé. Tu t’assois et mets ton visage dans tes mains pour pleurer.

Article 5 : Pièce de matière opaque qui garantit l’anonymat

On ne voit pas tes yeux. Tu es une afghane de vingt ans et tes rêves sont grillagés. Tu ne parles pas. Si on levait le voile, on verrait le départ des frères, la tristesse du père, l’agonie de la mère. Tu vends de vieux objets et des nappes brodées. Tu attends, sur la route menant à la mosquée. Les minutes, les mois qui s’écoulent. Kaboul. Les journées toujours semblables. La douleur d’exister.

Article 6 : [presse] présence (d’un journaliste) sur place pour relater (une information)

Tu filmes. Ton sac est plein de notes barbouillées, de clichés. Ta vie est un champ de minois en danger. On t’a dit de faire bien attention, que l’an dernier, au moins soixante trois journalistes avaient été tués dans l’exercice de leurs fonctions. Ca ne t’arrête pas. Tu assures la couverture des évènements, tu parles avec des hommes, des femmes, des enfants. Effroi. Révoltes. Accablement. Tu enregistres ce que tu vois et ce que tu entends. Les questions se bousculent tous les soirs dans ta boite crânienne. Tu ne dors presque plus.

Article 7 : [télécommunications] zone à l’intérieur de laquelle un appareil de télécommunication peut émettre et recevoir

La télé, tu ne l’éteins jamais. C’est ta seule compagnie. Tu l’as vois, celle qui tient son fils dans ses bras, et puis celle dans le coma. Tu souffles sur tes doigts. Tu as du mal à te réchauffer. Tu n’allumes plus le chauffage pour économiser l’électricité. Tu repenses à ta fille. Tu ne sais plus... ça fait combien d’années ? Elle était partie en disant qu’on lui avait offert une opportunité, un boulot qu’elle ne pouvait pas refuser. Les images défilent et tu remontes ta couverture.

Article infini : La complicité du silence

Combien de temps encore avant que l’humanité ne perde sa raison d’être ?

www.sistoeurs.net

Messages