Accueil > Chercheurs et "présidentiable", quel avenir pour la science en France ?

Chercheurs et "présidentiable", quel avenir pour la science en France ?

Publie le vendredi 29 septembre 2006 par Open-Publishing
1 commentaire

Chercheurs et « présidentiables » autour d’une paillasse

Quel avenir pour la science en France ? Le collectif « Sauvons la recherche » a invité les candidats pour 2007 à son université d’automne, ce week-end. Et compte obtenir des réponses sur leur programme respectif. A cette occasion, « Libération » retrace vingt-cinq de politique française en la matière.

Par Sylvestre HUET

LIBERATION.FR : Vendredi 29 septembre 2006 - 16:50
avec

Vendredi s’ouvre l’université d’automne du collectif Sauvons la recherche (SLR). Les scientifiques, qui avaient entamé un gigantesque bras de fer en 2004 avec le gouvernement, vont débattre pendant trois jours de la situation de la recherche en France. Et profiter de l’occasion pour entendre les « présidentiables », à l’exception notable de Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et Dominique Strauss-Kahn.

Samedi et dimanche, « François Bayrou (UDF), Olivier Besancenot (LCR), Marie-George Buffet (PC), Laurent Fabius (PS), Ségolène Royal (PS) et Dominique Voynet (Verts) interviendront en réponse à la plateforme élaborée par SLR », a précisé le collectif dans un communiqué. Ils devraient expliquer leurs intentions et débattre une heure avec les chercheurs. C’est l’occasion pour Libération de faire le point sur vingt-cinq années de politique de la recherche.

1981-1986 L’espoir puis la pause

De Giscard à Mitterrand, la politique de la recherche connaît une véritable rupture. Le président de droite glosait sur « le déclin biologique de l’espèce (humaine) ». Son premier ministre Raymond Barre vantait une politique « de créneaux », sacrifiant les secteurs jugés non porteurs de la recherche. L’effort de R&D (recherche et développement) du pays se traîne à 1,6% du PIB.

A peine élu, Mitterrand convie son ministre de la Recherche Jean-Pierre Chevènement à la mobilisation des labos pour répondre aux problèmes sociaux. Des Etats-Généraux de la science et de la technologie (1982) propulsent une politique ambitieuse : augmentation des crédits et de l’emploi scientifique publics, réforme du statut des chercheurs (de contractuels ils deviennent fonctionnaires) et du fonctionnement des organismes de recherche. La croissance des effectifs étudiants s’amorce, donc celle des universitaires. Les labos entament un rapprochement avec les entreprises, favorisé par les nationalisations. Le gouvernement met en place une vigoureuse politique de culture scientifique sous la houlette du mathématicien Jean-Pierre Kahane. La rigueur delorienne, puis le gouvernement de Laurent Fabius ralentissent le mouvement malgré les efforts d’Hubert Curien, ministre de la recherche en 1984, pour conserver l’élan initial.

1986-1988 Intermède chiraquien

La victoire de la droite aux législatives et le gouvernement de Jacques Chirac donnent un coup d’arrêt à cet essor. Au ministère de la recherche, confié à Alain Devaquet, une droite dure prône la dissolution du CNRS dont le recrutement est bloqué durant plusieurs mois. Les budgets de la recherche publique sont sabrés. Après la révolte étudiante, Devaquet est remplacé par Valade qui passe deux jours par semaine dans son ministère.

1988-1993 Curien à la manœuvre

Réélu, Mitterrand a une bonne idée, réinstaller Hubert Curien au ministère de la recherche pour cinq ans. Oreille du Président, il obtiendra, de 1988 à 1993, une hausse des crédits publics attribués à la recherche de 15% en sus de l’inflation. L’effort de R&D, public et privé, culmine à 2,37% du PIB en 1993. Le programme technologique public/privé Eurêka se pose en réponse européenne civile à la guerre des étoiles de Reagan. Curien impulse une vive augmentation du nombre et du montant des bourses doctorales, le nombre de docteurs es-sciences diplômés chaque année augmente jusqu’à plus de 10000. La recherche publique se déconcentre en province. Mais les deux dernières années sont en trompe-l’œil. Pour ruser avec Bercy, Hubert Curien obtient une hausse des Autorisations de programmes bien supérieure aux crédits de paiements annuels... ce qui suppose que les gouvernements ultérieurs tiennent cette « promesse » budgétaire.

1993-1997 Les labos rackettés

Dès le retour de la droite au pouvoir, c’est la cata. François Fillon, en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche, répète qu’il aurait « préféré la Défense ». Les crédits de paiement diminuent. Les autorisations de programmes ne peuvent être tenues. Pour éviter la faillite, le directeur général du CNRS Guy Aubert rackette les comptes des labos, un soir de janvier 1995. Puis menace le gouvernement « d’arrêter tous les programmes internationaux » pour obtenir de quoi boucler le budget.

En 1995, c’est l’ère des Juppettes. Elisabeth Dufourcq, secrétaire d’Etat à la recherche (mai à novembre), montre que la parité est arrivée : enfin une femme incompétente nommée à un poste important. Elle est remplacée par François d’Aubert qui s’ébaubit de ce que le budget de la recherche, « c’est moins que le trou du Crédit Lyonnais ». Crédits en baisse. Dans les organismes de recherche, on sacrifie les emplois d’ingénieurs et de techniciens pour sauver les embauches de jeunes chercheurs. Entre 1992 et 2004, près de 9000 emplois de ce type disparaissent.

1997-2002 Claude Allègre...

Une période au goût étrange pour les chercheurs ayant le cœur à gauche, et surtout pour les camarades de parti de Claude Allègre, l’ex-conseiller spécial de Lionel Jospin, ministre de l’Education nationale et de la recherche. Il alterne le meilleur : un vigoureux plan de recrutement d’universitaires, un réinvestissement du politique dans les choix stratégiques de la recherche, des crédits en hausse, la volonté de voir des jeunes disposer de crédits autonomes. Et le pire : autoritarisme, tentative maladroite - et ratée - de réforme du CNRS, chantage aux crédits - « pas de réforme, pas d’argent » -, intrusion dans les programmes spatiaux qui entraîne le Cnes dans l’impasse d’une mission martienne jamais réalisée. Son refus de lancer le synchrotron Soleil (un accélérateur de particules, aujourd’hui en phase finale de construction dans l’Essonne) énerve jusqu’à ses derniers partisans. Il sera remplacé par Roger-Gérard Schwartzenberg pour calmer le jeu.

2002-2006 L’arnaque Chirac

Candidat, Jacques Chirac promet une grande politique scientifique et « 3% du PIB consacré à la R&D ». Elu, il fait l’inverse. Baisse des budgets, gels des crédits votés, emplois stables sacrifiés au profits de CDD, limogeage de la directrice général du CNRS Geneviève Berger... l’arrivée de l’astronaute Claudie Haigneré au ministère, saluée d’abord avec une certaine perplexité, tourne au cauchemar. Exaspérés, les scientifiques se lancent dans un mouvement de protestation sans précédent. Ils créent l’association « Sauvons la Recherche », organisent une démission massive des directeurs de laboratoires en mars 2004, manifestent dans la rue à la veille des élections régionales, obtiennent le soutien de l’opinion publique et de nombreux organes de presse.

Piteusement, au lendemain des élections régionales et cantonales, Jacques Chirac fait marche arrière et promet « une grande loi pour la recherche ». Les scientifiques se mobilisent pour des Etats-Généraux, tenus à Grenoble en novembre 2005 afin d’en proposer le contenu. Las, votée au printemps dernier, sous la houlette d’un nouveau duo ministériel (De Robien et Goulard), elle n’opère qu’un rattrapage budgétaire des coupes précédentes et met en place des structures - Agence nationale de la recherche, Haut conseil de la science, Agence d’évaluation - visant le double objectif d’un contrôle politique accru sur la distribution des crédits au nom d’une « réorientation » de la recherche et des dépenses publiques vers les « besoins économiques », en réalité vers les entreprises privées, et d’une précarisation massive de l’emploi des jeunes chercheurs.

*
Le site du collectif « Sauvons la recherche »
Che

Messages