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(SEPTIÈMES) RÉFLEXIONS DE FIDEL CASTRO

Publie le mardi 15 mai 2007 par Open-Publishing
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[SEPTIÈMES] RÉFLEXIONS DE FIDEL CASTRO

CE QUE NOUS AVONS APPRIS
AUX SIXIÈMES RENCONTRES CONTINENTALES DE LA HAVANE

Maria Luisa Mendonça a amené aux Rencontres de La Havane un documentaire bouleversant sur la coupe au Brésil de la canne à sucre.

Comme pour mes réflexions antérieures, je résume, partant de paragraphes et de phrases de sa communication, l’essence ce qu’elle affirme :

La plupart des guerres des dernières décennies ont eu comme motivation fondamentale, on le sait, le contrôle de sources d’énergie. La consommation d’énergie est garantie à des secteurs privilégiés dans les pays du centre aussi bien que la périphérie, tandis que le gros de la population mondiale n’a même pas accès aux services de base. La consommation d’énergie par habitant est de 13 000 kilowatts aux Etats-Unis, alors que la moyenne est de 2 429 dans le monde et de juste 1 610 en Amérique latine.

Le monopole privé de sources d’énergie est garanti par des clauses des accords de libre-échange bilatéraux ou multilatéraux.

Le rôle des pays de la périphérie est de produire de l’énergie bon marché pour les pays riches du centre, ce qui signifie une nouvelle étape de la colonisation.

Il faut démythifier la propagande relative aux prétendus avantages des agrocarburants. Dans le cas de l’éthanol, la culture et le traitement de la canne à sucre polluent les sols et les sources d’eau potable parce qu’ils utilisent une grande quantité de produits chimiques.

La distillation de l’éthanol laisse un résidu qui s’appelle la vinasse, à raison de 10 à 13 litres par litre d’éthanol produit. Une partie de ce résidu peut être utilisé à titre d’engrais, mais le plus gros pollue les cours d’eau et les sources d’eau souterraines. Si le Brésil produisait de 17 à 18 milliards de litres d’éthanol par an, au moins 170 milliards de litres de vinasse se déposeraient dans les régions de plantations de canne à sucre. Imaginez un peu les retombées sur l’environnement !

Le brûlage de la canne à sucre, qui facilite la récolte, détruit une grande partie des micro-organismes du sol, pollue l’atmosphère et provoque de nombreuses maladies respiratoires.

L’Institut national de recherche spatiale du Brésil décrète presque tous les ans la région de Sao Paulo – qui représente 60 p. 100 de la production d’éthanol du pays – en situation d’alerte parce que le brûlage rabaisse l’humidité de l’air à des niveaux extrêmement bas (de 13 à 15 p. 100), si bien qu’il est impossible d’y respirer durant la période de récolte.

Des compagnies spécialistes d’organismes génétiquement modifiés (OGM) ou transgéniques, telles que Monsanto, Syngenta, Dupont, Dao, Bass et Bayer, souhaitent beaucoup, on le sait, pousser la production d’agroénergie.

Au Brésil, la société Votorantim a mis au point des technologies permettant de produire de la canne transgénique non comestible, et de nombreuses sociétés, nous le savons, le font aussi. Comme il est impossible d’éviter la pollution par les transgéniques des plantations natives, cette pratique met en danger la production d’aliments.

Quant à la dénationalisation du territoire brésilien, de grosses sociétés ont acheté des sucreries : San Bunge, Novo Group, ADM, Dreyfus, sans parler des méga-industriels George Soros et Bill Gates.

L’expansion de la production d’éthanol a entraîné par conséquent l’expulsion de paysans de leurs terres et provoqué une situation de dépendance envers l’économie de la canne à sucre, d’autant plus grave que cette industrie, non contente de ne pas créer d’emplois, engendre au contraire le chômage dans la mesure où elle contrôle le territoire et ne laisse aucun espace à d’autres secteurs productifs.

On nous vante par ailleurs l’efficacité de cette industrie. Or, nous le savons, elle repose sur l’exploitation d’une main-d’œuvre bon marché, parce que semi-esclave. Les travailleurs sont rémunérés à la quantité de canne coupée, et non à l’heure.

Dans l’Etat de Sao Paulo, où se trouve l’industrie la plus « moderne » et qui est le plus gros producteur du pays, chaque travailleur doit couper de dix à quinze tonnes de canne par jour.

Un professeur de l’Université de Campinas, Pedro Ramos, a fait les calculs suivants : dans les années 80, un travailleur coupait environ quatre tonnes par jour et gagnait en gros l’équivalent de cinq dollars ; aujourd’hui, pour en gagner trois, il doit couper quinze tonnes de canne.

Le ministère brésilien du Travail a mené une étude qui indique que cent mètres carrés de canne coupés produisaient auparavant dix tonnes ; de nos jours, avec la canne transgénique, il faut couper trois cents mètres carrés pour atteindre ces dix tonnes. Les travailleurs doivent donc couper trois fois plus de canne pour les mêmes résultats. Ce modèle d’exploitation a causé de graves problèmes de santé et a même conduit des coupeurs à la mort.

Une chercheure du ministère du Travail en Sao Paulo affirme que le sucre et l’éthanol au Brésil sont baignés de sang, de sueur et de mort. Ce même ministère y a enregistré en 2005 un total de 450 décès de travailleurs pour d’autres motifs (assassinats et accidents du travail, car le transport vers les sucreries est très précaire), mais aussi à cause de maladies comme l’arrêt du cœur et le cancer.

Selon Maria Cristiana Gonzaga, qui a mené l’enquête en question, 1 383 travailleurs de la canne sont morts ces cinq dernières années rien que dans l’Etat de Sao Paulo.

Le travail servile est aussi commun dans ce secteur. Les travailleurs, qui viennent en général du Nordeste ou du Minas Gerais, sont recrutés par des intermédiaires, qu’on appelle degatos, chargés de choisir la main-d’œuvre pour les sucreries, au point que c’est directement avec eux, et non avec les entreprises, que sont signés les contrats.

En 2006, le ministère public a inspecté en Sao Paulo soixante-quatorze sucreries, et toutes ont été condamnées.

Rien qu’en mars 2007, les procureurs du ministère du Travail ont sauvé 288 travailleurs en situation d’esclavage en Sao Paulo.

Ce même mois, au Matto Grosso, 409 travailleurs d’une sucrerie produisant de l’éthanol, dont 150 indigènes, ont été sauvés de la sorte ; l’une des caractéristiques de cette région centrale du pays est d’utiliser les indigènes comme esclaves dans les plantations de canne à sucre.

Des centaines de travailleurs connaissent tous les ans des conditions semblables dans les cannaies. Quelles conditions ? Pas d’inscription formelle ; pas d’équipements de protection ; pas d’eau ni d’alimentation adéquates ; pas d’accès à des toilettes ; des logements très précaires à louer ; paiement de la nourriture, qui coûte très cher ; achat d’articles comme les bottes et les machettes ; bien entendu, en cas d’accidents du travail – extrêmement nombreux – pas de soins adéquats.

Pour nous, le point central est l’élimination du latifundio, qui dément l’image de modernité du Brésil. Au Brésil et dans d’autres pays latino-américains, bien entendu. Il faut aussi une politique de production d’aliments sérieuse.

Ceci dit, je voudrais vous projeter un documentaire que nous avons tourné auprès de travailleurs des cannaies dans l’Etat de Pernambouco, l’une des régions du pays qui produit le plus de canne à sucre, et vous verrez comment sont les conditions réelles.

Nous avons tourné ce documentaire avec le concours de la Commission pastorale de la terre au Brésil et de syndicats de travailleurs de la floriculture dans cet Etat.

C’est sous les applaudissements que l’éminente dirigeante brésilienne a conclu son intervention.

Je transcris ci-dessous les témoignages de coupeurs de canne apparaissant dans le documentaire de Maria Luisa. Pas tous, bien entendu, car ce serait trop long. Quand le documentaire n’identifie pas nommément les coupeurs, j’indique simplement qu’il s’agit d’un homme, d’une femme ou d’un jeune.

Severino Francisco da Silva. Mon père est venu à la sucrerie du Junco quand j’avais huit ans. Quand je suis arrivé et que j’avais presque neuf ans, mon père a commencé à travailler et je liais la canne avec lui. J’ai travaillé quatorze ou quinze ans à la sucrerie du Junco.

Une femme. Ça fait trente-six ans que je vis ici dans cette sucrerie. Je me suis mariée ici et j’ai onze enfants.

Un homme. Ça fait beaucoup d’années que je coupe la canne, je ne sais même pas compter.

Un homme. J’ai commencé à travailler à sept ans, et ma vie c’est couper la canne et débroussailler.

Un jeune. Je suis né ici, j’ai vingt-trois ans, je coupe la canne depuis mes neuf ans.

Une femme. J’ai travaillé ici treize ans, à la sucrerie Salgado. Je semais de la canne, je semais des engrais, je nettoyais la canne, je désherbais.

Severina Conceiçao. Tous ces travaux de la canne, je sais les faire : semer des engrais, semer de la canne. Je faisais de tout avec le ventre comme ça [elle veut parler de la grossesse] et le panier à côté, et je continuais de travailler.

Un homme. Je travaille, tous les travaux sont difficiles, mais la récolte de la canne, c’est le pire au Brésil.

Edleuza. Je rentre chez moi et je dois faire la vaisselle, arranger la maison, m’occuper du ménage, faire les choses. Je coupais la canne, et parfois quand je rentrais à la maison, je ne pouvais même faire la vaisselle, j’avais les mains abîmées, pleines d’ampoules.

Adriano Silva. Le problème, c’est que le gérant exige beaucoup au travail. Y’a des jours où vous coupez la canne et vous gagnez, mais y’a des jours où vous gagnez rien. Parfois, vous y arrivez, et parfois pas.

Misael. Ici, la situation est perverse. Le gérant veut diminuer le poids de la canne. Il a dit que ce qu’on coupe ici, c’est ce qu’on a, un point c’est tout. On travaille comme des esclaves, vous comprenez ? Comme ça, c’est pas possible !

Marcos. Couper la canne, c’est un travail d’esclave, c’est un travail difficile.

Un homme. On part à trois heures du matin, on rentre à huit heures du soir. C’est bon juste pour le patron, parce que, lui, il gagne plus tous les jours, et le travailleur perd, lui, en diminuant la production, et tout va au patron.

Un homme. Parfois, on se couche sans se laver, y’a pas d’eau, on se baigne dans un petit ruisseau qui coule par là.

Un jeune. Ici, y’a pas de bois pour faire la cuisine. Si tu veux manger, tu dois te débrouiller pour trouver du bois.

Un homme. Le déjeuner, c’est ce que tu amènes de chez toi, et tu manges ici en plein soleil. Tu te débrouilles comme tu peux dans la vie.

Un jeune. Celui qui travaille beaucoup doit manger assez. Alors que le patron de la sucrerie vit comme un pacha, qu’il a tout ce qu’il y a de bon et de mieux, nous, ici, on fait que souffrir.

Une femme. J’ai eu très souvent faim. Je suis allée me coucher des tas de soirs en ayant faim. J’avais parfois rien à manger, ni à donner à ma fille. Quelquefois, je cherchais du sel, le plus facile à trouver.

Egidio Pereira. Vous avez deux ou trois enfants, et si vous faites pas attention, vous mourez de faim. Ça suffit pas pour vivre.

Ivete Cavalcante. Ici, y’a pas de salaire. Faut nettoyer une tonne de canne pour huit reales. Vous gagnez ce que vous arrivez à couper : si vous coupez une tonne, vous gagner huit reales. Y’a pas de salaire fixe.

Une femme. Un salaire ? Non, je sais pas ce que c’est.

Reginaldo Souza. Parfois, ils paient en argent. A cette époque-ci, ils paient en argent, mais en hiver, ils paient qu’en bons.

Une femme. Le bon ? Vous travaillez, il vous note tout sur un papier, et il vous le passe pour que vous achetiez au marché. Vous ne voyez pas l’argent que vous gagnez.

José Luiz. Le gérant fait ce qu’il veut avec les gens. Tenez, quand j’ai voulu « faire la moyenne » de la canne, il a pas voulu. Il vous oblige à travailler de force, vous comprenez ? Comme ça, vous travaillez gratis pour la sucrerie.

Clovis da Silva. C’est la mort ! Vous passez une demi-journée à couper la canne, vous pensez que vous allez toucher un peu d’argent, et quand il calcule, vous découvrez que votre travail vaut rien ! C’est pas bien du tout.

Natanael. C’est le camion à bestiaux qui transporte les travailleurs. C’est pire que le cheval du patron, parce que quand le patron transporte son cheval, il lui met de l’eau, il lui met de la sciure par terre pour qu’il s’abîme pas les sabots, il lui met du fourrage, il lui met quelqu’un pour l’accompagner. Les travailleurs, qu’ils se débrouillent comme ils peuvent : vous montez, on ferme la portière, et débrouillez-vous. Ils traitent les travailleurs comme des bêtes. Le « tout-alcool » n’aide pas les travailleurs. Ça convient aux fournisseurs de canne, ça convient aux patrons et ça les enrichit toujours plus. Si au moins ça créait des emplois pour les travailleurs, ce serait essentiel pour nous, mais même pas ça.

José Loureno. S’ils ont tant de pouvoir, c’est parce qu’ils ont un politicien qui représente ces sucreries à la Chambre, celle du pays ou celle de l’Etat. Y’a des patrons qui sont députés, ministres, ou alors y’a des parents qui facilitent cette situation pour les patrons, pour les maîtres de sucreries.

Un homme. Notre lutte, faut croire qu’elle arrête jamais. On a pas de vacances, pas d’étrennes, on perd tout. Même le quart de salaire, qui est obligatoire, on l’a pas, ce qui permettrait d’acheter un vêtement à la fin de l’année, un vêtement aux enfants. On nous donne rien de tout ça, et la situation est toujours plus difficile.

Une femme. Je suis une travailleuse enregistrée, et j’ai jamais eu droit à rien, même pas de certificat médical. Quand vous tombez enceinte, vous avez droit à un certificat médical, mais j’ai pas eu ce droit, une garantie de famille. J’ai même pas eu d’étrennes. Avant, je recevais toujours un petit quelque chose ; maintenant, plus rien. Ça fait douze ans qu’il paie plus d’étrennes et de congés.

Un homme. Tu peux pas tomber malade, tu travailles jour et nuit sur le camion, à la coupe de la canne, au petit matin. J’y ai perdu ma santé, et pourtant j’étais costaud.

Reinaldo. Un jour, j’avais des tongs aux pieds. Quand j’ai donné un coup de machette pour couper la canne, je me suis coupé l’orteil, j’ai fini le boulot et je suis rentré chez moi.

Un jeune. Non, ici, on a pas de bottes. On travaille comme ça, beaucoup travaillent même pieds nus. Y’a pas de conditions. On nous a dit que la sucrerie allait nous donner des bottes. Ça fait une semaine qu’il s’est coupé le pied [geste pour l’indiquer] parce qu’il y a pas de bottes.

Un jeune. Je suis tombé malade, j’ai été malade trois jours, j’ai rien touché, on m’a rien payé. Je suis aller voir le médecin, j’ai demandé un certificat et il m’a rien donné.

Un jeune. Y’a un garçon qui est arrivé de Macugi. En plein boulot, il a commencé à se sentir très mal, il a vomi. C’est un gros effort, le soleil tape dur, et les gens sont pas de fer. Le corps humain y résiste pas.

Valdemar. Ce poison qu’on utilise [il parle des herbicides] cause des tas de maladies. De plusieurs sortes : cancer de la peau, cancer des os. Ça vous entre dans le sang et ça vous détruit la santé. Vous avez des nausées, parfois vous vous effondrez.

Un homme. Entre deux récoltes, y’a pratiquement pas de boulot. Le boulot que le patron vous ordonne de faire, faut le faire, parce que si vous le faites pas… C’est pas nous qui commandons ici, c’est eux. Si on vous donne un boulot, faut le faire.

Un homme. J’espère qu’un jour, je pourrais avoir un petit lopin de terre pour finir comme ça ma vie à la campagne, pour que je puisse me remplir la panse et remplir la panse de mes enfants et de mes petits-enfants qui vivent avec moi. Y’a-t-il quelque chose de mieux ?

Fin du documentaire.

Personne ne saurait être plus reconnaissant que moi pour ce témoignage et cette communication de Maria Luisa dont je viens de faire le résumé. Ils me rappellent des souvenirs de ma prime jeunesse, un âge où les êtres humains sont d’ordinaire extrêmement actifs.

Je suis né dans un latifundio de canne à sucre de propriété privée, borné au nord, à l’est et à l’ouest par de grandes étendues de terres appartenant à trois transnationales étasuniennes qui possédaient ensemble plus de deux cent cinquante mille hectares. La coupe de la canne verte se faisait à la main, et on n’utilisait alors pas d’herbicides, ni même d’engrais. Une plantation pouvait durer une quinzaine d’années. La main-d’œuvre était si bon marché que les transnationales gagnaient énormément d’argent.

Le propriétaire de l’exploitation de canne où je suis né était un immigrant galicien, originaire d’une famille paysanne pauvre, pratiquement analphabète, arrivé à Cuba d’abord à titre de soldat – au lieu d’un riche qui l’avait payé pour éviter le service militaire – puis rentré en Galice à la fin de la guerre [de 1895-1898]. Il retourna à Cuba de son plein gré, comme le firent de très nombreux Galiciens vers d’autres pays latino-américains. Il travailla comme journalier d’une importante transnationale, l’United Fruit Company. Comme il avait des dons d’organisateur, il recruta un grand nombre de journaliers comme lui, devint employeur et acheta finalement, grâce à la plus-value obtenue, des terres dans la zone mitoyenne au sud de la grande société étasunienne. La population, dans cette région orientale aux traditions de luttes pour l’indépendance, avait beaucoup augmenté et manquait de terre. Au début du siècle dernier, le poids principal de l’agriculture dans cette région retombait sur des esclaves récemment affranchis ou des descendants d’anciens esclaves et sur des immigrants en provenance d’Haïti. Les Haïtiens n’avaient pas de familles : ils vivaient seuls dans leurs misérables huttes de planches de palmier et de toits de palmes, regroupés en hameaux, avec juste la présence de deux ou trois femmes. Durant les quelques mois de campagne sucrière, la distraction était les combats de coqs. Les Haïtiens y misaient une part de leurs misérables revenus, et utilisaient le reste pour acheter des aliments qui, passant par de nombreux intermédiaires, étaient chers.

C’est là que vivait ce propriétaire d’origine galicienne, dans cette exploitation de canne. Il partait seul inspecter ses plantations et parlait avec quiconque le lui demandait ou souhaitait quelque chose. Il acceptait bien souvent les requêtes, pour des raisons plus humanitaires qu’économiques. Il pouvait prendre des décisions.

Les gérants des plantations de l’United Fruit Company étaient des Etasuniens triés sur le volet et grassement rémunérés. Ils vivaient entourés de leurs familles dans de splendides demeures, à des endroits choisis. Ils étaient comme des dieux distants que les travailleurs affamés mentionnaient sur un ton de respect. On ne les voyait jamais à la coupe de la canne où intervenaient leurs subordonnés. Les actionnaires des grandes transnationales vivaient aux Etats-Unis ou ailleurs. Les dépenses des plantations étaient budgétisées et nul ne pouvait les dépasser d’un centime.

Je connais très bien la famille issue du second mariage de cet immigrant galicien avec une jeune paysanne cubain, très pauvre, qui, tout comme lui, n’avait jamais été à l’école, très dévouée, entièrement consacrée à sa famille et aux activités économiques de la plantation.

Ceux qui liront à l’étranger ces réflexions sur Internet se surprendront de savoir que ce propriétaire était mon père. Je suis le troisième enfant des sept de ce couple, nés dans une chambre à la campagne, très loin de n’importe quel hôpital, avec l’aide d’une sage-femme qui était une paysanne consacrée corps et âme à cette tâche et n’ayant que des connaissances empiriques. La Révolution fit don de toutes ces terres au peuple.

Il me reste juste à dire que nous soutenons à fond la nationalisation d’un brevet appartenant à une transnationale pharmaceutique en vue de produire et de vendre au Brésil un médicament contre le sida, l’Efavirenz, qui coûte, comme tant d’autres, un prix abusivement élevé, et le règlement mutuellement satisfaisant donné récemment au différend avec la Bolivie au sujet des deux raffineries de pétrole.

Je réitère mon profond respect au peuple frère brésilien.

Fidel Castro Ruz
14 mai 2007
17 h 12

Messages

  • C’est quand même incroyable comme l’internationalisme de Fidel Castro peut reléguer à des années-lumiéres le nationalisme de Nicolas Sarkozy...

    Ou comment la vision sociale et politique du monde de Castro est mille fois plus moderne,combative, et enrichissante que le projet rétrograde que nous promet Sarkozy.

    Deux façon de voir le Monde,deux manières de faire de la politique,et l’on s’aperçoit que le plus archaïque des deux n’est pas celui que l’on pourrait croire.

    Merci encore à Mr Bonaldi pour ces réflexions qui nous rappellent que la France n’est pas le centre du Monde,et que l’on serait bien inspiré de regarder derrière nos frontières ce qu’il est en train de se passer.

    Mustou (de Narbonne)

  • Les deux réactions précédentes mettent du baume au cœur et on se prend dès lors à croire que tout n’est pas définitivement perdu, puisqu’il reste encore des gens capables de lire et de voir sans oeillères. Oui, Fidel n’est pas, tant s’en faut, cette caricature qu’une presse de marchands de canons nous cesse de nous présenter. Avec lui, oui, on vole toujours très haut, on sort des petitesses politicardes, on frémit, on vibre, on se sent tout d’un coup intelligent. Moi qui fréquente ses idées depuis maintenant trente-six ans et qui ai dû traduire sans doute des milliers de pages de lui (la traduction, soit dit en passant, est la lecture la plus impitoyable qui soit vis-à-vis des idées), je ne cesse de m’étonner de sa vivacité d’esprit, de sa jeunesse de vues et de conceptions, de sa capacité à générer des idées… A aucun moment de sa déjà longue carrière de révolutionnaire, Fidel (et partant la Révolution cubaine) n’a été « nationaliste » (n’est-ce pas d’ailleurs une contradiction dans les termes ?) ; il a toujours été un révolutionnaire qui se bat pour les pauvres, les couillonnés de l’Histoire, les démunis, les pressurés, pour ceux, toujours les mêmes, qui reçoivent des coups ; ses approches politiques ont toujours été en fonction du monde dépendant dont la misère engraisse les nantis du Premier monde ; qui a toujours été pour les pauvres contre les riches ; toujours pour les exploités contre les exploiteurs… Et ce, depuis soixante ans. Et son peuple en révolution avec lui.

    Comme en 1985, quand il s’est lancé dans une bataille inlassable pour faire prendre conscience aux gouvernements du tiers-monde, surtout latino-américains, que la dette extérieure ne devait pas être payée parce qu’elle l’avait déjà été plusieurs fois et que le moment était venu de faire un front commun, puisque les créanciers étaient regroupés, eux, dans le Club de Paris (sans succès, hélas, parce que la face du monde en aurait été changée…), il repart en guerre vingt-deux ans après pour alerter au sujet de la politique des transnationales qui aspirent à convertir les terres arables du tiers-monde en « aliments à bagnole » ! Pour l’instant, les autres gouvernements se taisent, font comme si de rien n’était ou emboîtent avec enthousiasme cette nouvelle politique de la Maison-Blanche, devenue officielle en avril, et de l’Europe qui prend le même chemin. Bientôt plus de pétrole ? Qu’à cela ne tienne, on prend les terres du tiers-monde (surtout celles d’Afrique et d’Amérique latine) et on y fait produire le bioéthanol et le biodiesel ! Sans modifier d’un iota, bien entendu, le mode de surconsommation des sociétés nanties. Qu’importe les répercussions (de plus en plus mise en lumière par les mouvements sociaux et paysans latino-américains) sur la vie des gens dans les pays dépendants ! N’est-ce pas ainsi depuis toujours ? Les transnationales ne gouvernent-elles pas le monde ?

    Il serait bon que la gauche française sache lever de temps à autre la tête de ses problèmes de clocher et jette un coup d’œil sur le monde tel qu’il va (mal). A cet égard, ce genre de regard a été incroyablement absent des campagnes électorales et des analyses des candidats et des partis, toutes obédiences confondues. Pourtant, sur cette planète globalisée, le cœur du problème est et sera toujours plus le sort prochain des gueux du tiers monde, ces milliards d’êtres humains qu’aucun néolibéralisme ne sortira jamais du dénuement et de l’exploitation… Au contraire.

    Mettant sur Bellacio les quatrièmes réflexions de Fidel (qui portent toutes sur cette question de l’agro-énergie), j’avais ajouté ce commentaire que je crois bon de reprendre : « Ces "réflexions" de Fidel… touchent un point qui va être un des chevaux de bataille, du moins en Amérique latine, laquelle devra se battre maintenant non seulement contre les traités de libre-échange made in USA mais contre la nouvelle stratégie des transnationales étasuniennes consistant à lui faire payer une fois de plus la surconsommation des sociétés développées, puisqu’il s’agit de faire fabriquer au tiers-monde les "aliments à bagnole" dont une société toujours plus vorace a toujours plus besoin puisqu’il n’est pas question, bien entendu, de changer le modèle de gaspillage en place... Les bagnoles avant les gens...

    Des Rencontres continentales de lutte contre les traités de libre-échange et pour l’intégration des peuples, les sixièmes du genre, se tiennent actuellement à La Havane, une des tables rondes ayant justement porté sur cette nouvelle problématique des biocarburants ou de l’agro-énergie. La TV a passé un documentaire tourné par des Brésiliens sur les coupeurs de canne de ce pays. Eprouvant pour la sensibilité ! Je crois que les serfs de la glèbe du Moyen-Age étaient mieux traités par les seigneurs féodaux que ces journaliers par les compagnies qui les emploient... Ce n’est pas loin en fait de l’esclavage... Quand on pense que Lula est le grand porte-drapeau de cette transformation de la canne à sucre en éthanol pour remplir les réservoirs à essence du Premier monde, on se dit qu’il a bien oublié l’époque où il était métallo (si je ne me trompe) et syndicaliste... A moins que les métallos ne soient au Brésil l’ "aristocratie ouvrière", ce qui expliquerait sans doute un certain nombre de choses... »

    Mettant sur ce site les deuxièmes réflexions de Fidel, j’avais ajouté ce commentaire qui me semble toujours aussi pertinent : « Les habituels contempteurs qui n’en ont jamais lu une ligne ni entendu un mot parleront sans doute d’un radotage de vieux. Quand on sait toutefois que Fidel fait partie de ces rares individus que l’on qualifie de prophètes (bien souvent, "de malheur", mais ce n’est pas sa faute, et contrairement à Jérémie, il se bat contre, lui, et fonde son action sur l’optimisme), on se dit que les hommes politiques décents (s’il en reste encore toutefois) et les gens de gauche feraient bien de prêter l’oreille à ce qu’il dénonce et où il voit le schéma habituel de l’Empire et des transnationales qui le fondent : avant (et encore) préserver ses propres réserves d’hydrocarbures en s’emparant de celles du voisin (par simple jeu commercial ou par la guerre) ; maintenant, faire produire au tiers monde les biocarburants (alors que les USA sont pourtant le plus gros producteur d’éthanol au monde) dont un modèle de surconsommation inchangé aura demain toujours plus besoin. Avant (et encore), on "délocalisait" l’industrie dans les pays du tiers-monde ; maintenant, on y " délocalise" même l’agriculture ! »

    Ultime petite réflexion : quand je pense que la France va se coltiner dès demain un Sarkozy comme président, je me réjouis égoïstement de vivre à Cuba et d’avoir comme « président » un géant comme Fidel. Entre un défenseur inlassable des pauvres et un partisan frais émoulu des transnationales qui l’ont façonné pendant plusieurs années pour qu’il occupe enfin ce poste, mon choix est vite fait. On respire mieux…

    Jacques-François Bonaldi (La Havane)
    jadorise@ifrance.com

    P.S. Les sept réflexions de Fidel sont toutes sur Bellaciao.

    • bien sûr chacun a les réflexions qu’il peut ; un Sarko, un Bush, un Fidel, un Mao (feu), un Staline (feu), un Napoléon (feu), ont tous un moment donné dispensé leurs "réflexions" mais de là prétendre que Fidel est le meilleur...
      Venez voir en France comment les bétraviers sont contents quand ils peuvent augmenter leur contingent de bétraves pour l’éthanol.

    • Je ne comprends pas bien votre position, "93 202" . quel est votre problème finalement ? Sarkosy, Bush, Fidel , Mao, Staline, Napoléon, les betteraviers français que vous prétendez connaître ou votre patron devant lequel vous faites le dos rond ?

      Chacun a les réflexions "qu´il peut" comme vous dites.

      Pour Jean-François Bonaldi qui s´impatiente : les réflexions du commandant sont très pertinentes, tout le monde l´a remarqué, (ça va comme ça compa ? content ?), mais elles font le tour de la toile dans toutes les langues et Bellaciao n´est pas le seul site à les publier. Et puis, il n´y a pas que la France dans le monde....
      Personnellement, je suis bien aise de constater qu´un chef d´Etat, en convalescence mais chef d´Etat quand même, se retrouve sur les positions de mouvements populaires, ou sociaux, comme le MST brésilien ou les Zapatistes, pour ne citer que les plus "visibles".

      Je ne crois pas que Fidel soit "le meilleur", pour reprendre l´expression du grognon du dessus, mais il me semble que de réflexion en réflexion, il se démarque y compris de ses alliés bolivariens, non ?

      Valérie

    • Je me souviens d’une affiche punaisée sur un des murs de ma chambre d’ado,ou l’on voyait un dessin représentant la figure de Fidel Castro,au dessus de cette phrase qui lui était attribuée :

      "La science véritablement révolutionnaire,c’est la science de la conscience,c’est la science de la confiance en l’homme,c’est la science de la confiance dans les êtres humains"

      Il m’aura fallut de nombreuses années avant d’en mesurer la pertinence.Et ces jours-ci ,elle me reviens d’autant plus fort que la campagne des élections présidentielle française a atteint des sommets dans la promotion de l’idéologie capitaliste et libérale (jusque dans les rangs de la gauche) avec le succès que l’on sait.A un tel point que(d’après un sondage...) la majorité des français n’est pas choquée de voir son président diner au "Fouquet’s" et dormir à "l’hotel des Champs-Elysée" le soir de son élection,puis de partir se prélasser trois jours sur le yacht d’un affairiste milliardaire de ses amis, le jour de la commémoration de la victoire du 8 mai 1945 sur les nazis.

      Quelle meilleure image après la victoire de Sarkozy que celle du "coup de pied dans la fourmilière".Une société éventrée par les méthodes brutales d’un opportuniste qui a tout sacrifié à son appétit de pouvoir.Et toutes ces petites fourmis qui courrent dans tous les sens et qui ont perdues tous repères.

      La gauche est en miettes.Et nombre de ses éléments rallient le camp adverse.Après Besson,on parle de Kouchner,de Védrine,de Allègre (pour le PS),puis c’est au tour de Baylet (les Radicaux de gauche) de tenter un rapprochement avec la droite.

      La gauche est un champ de ruines.On a vu Bové rallier au pas de course la candidate Royal entre les deux tours,sans avertir aucun de ses partisans qui pensaient sincèrement qu’il allait faire de la politique "autrement"(on l’a d’ailleurs entendu se glorifier de s’être fait expulser de Cuba,en réponse à un interlocuteur qui lui demandait des gages de son anti-marxisme...)On a vu les verts s’effondrer.Laguiller s’écraser.Buffet se scracher.Et certains notables du PS appelant à faire alliance avec l’UDF de Bayrou (Rocard,Stauss-Khan,...).

      Dans ces conditions,la maxime de Fidel résonne à mes oreilles avec d’autant plus de force que l’alternative à gauche est mal en point.

      Mustou. Militant du parti communiste français, conscient (j’espère) et confiant (j’en suis sûr),notamment grâce à vos interventions,Mr Bonaldi.

      Sincères salutations

    • Et allez voir au Brésil comme les grands propriétaires sont contents de pouvoir augmenter leur contingent de canne à sucre(et leur profits) en utilisant les ouvriers agricoles réduits à l’état d’esclaves.Avec l’assentiment des donneurs d’ordre américains.(et bientôt européens ?).

      Mais cessez donc de ne voir que vos petits intérêts personnels,et essayez donc d’avoir une vision un peu plus large du monde qui vous entoure, et qui crève de la satisfaction de désirs égoïstes.La satisfaction de quelques-uns ne doit plus se faire au détriment de la planète et de l’immense majorité de sa population.

      L’individualisme est le carburant (l’ethanol ?) du libéralisme,qui est lui-même le moteur du capitalisme.

      Mustou