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Compte rendu du Sommet Mondial de la Société de l’Information (SMSI)

Publie le mardi 13 avril 2004 par Open-Publishing

Nous vous proposons là un document de toute première importance.

Il s’agit en effet du compte rendu du Sommet Mondial de la Société de l’Information vue de l’intérieur puisqu’il émane du délégué de l’association CSDPTT à ce Sommet, Jean Louis Fullsack, ancien expert de l’Union Internationale des Télécommunications.

Ci-dessous vous trouverez le texte des conclusions, pour télécharger le compte-rendu en entier : http://csdptt.org/article271.html


4 Conclusion

Quelles conclusions tirer de ce Sommet de Genève : succès ou échec ?

Indiscutablement il a échoué dans ses principaux objectifs :
droits et libertés des médias,
gouvernance d’Internet, et
financement du Plan d’Action

Pour CSDPTT, c’est ce dernier objectif qui est le plus révélateur de l’échec de ce Sommet, dont les protagonistes continuent de promettre des solutions-miracles à tous les maux de la terre.

Réussites et avancées

Le SMSI a indiscutablement permis des avancées voire quelques réussites ponctuelles.

Ainsi le processus tripartite qu’il a mis en route a eu des retombées, certes limitées, sur les contenus des documents officiels du Sommet, cela surtout par les contributions de la SC lors des PrepCom-1 à 3. De même a-t-il rapproché les représentants des Etats et ceux de la SC lors des groupes de travail « informels » mis en place et pilotés par la Plénière intergouvernementale. Dans ces groupes de travail et en fonction de la sympathie de leur président, la SC pouvait s’exprimer et montrer le sérieux de ses contributions. Pour ne prendre qu’un seul exemple, les modalités de financement des propositions du Plan d’Action reprennent en bonne partie les contributions que j’avais présentées au Groupe de travail informel sur le financement des infrastructures au nom du Groupe Contenus & Thèmes de la SC. Y compris les réserves sur le Fonds de Solidarité Numérique.

Une retombée indirecte mais positive du SMSI a été que la SC se soit … rencontrée ! Sa participation en forte croissance depuis le début du processus en est la parfaite illustration. Certes, cela ne lui confère aucune légitimation car sa représentativité soulève toujours de sérieuses réserves. Cela est particulièrement le cas de la SC des Pays en Développement et plus particulièrement de l’Afrique. En effet, une analyse des accréditations de ses associations auprès du SMSI montre que la grande majorité est soit active dans le domaine Internet, soit utilisatrice et promotrice de ses applications. Au détriment des associations représentant la véritable SC africaine, telle qu’on l’avait vue à Bamako avec Aminata Traoré.

Cependant la SC a appris à se reconnaître mutuellement et surtout à travailler ensemble. La constitution de son groupe de travail « Contenus & Thèmes » en est la parfaite illustration, y compris dans ses limites et imperfections. Il est devenu le véritable cerveau et acteur de la SC et a fourni la quasi totalité des contributions, d’abord aux documents officiels puis à sa Déclaration alternative, lorsque la SC a vu ses contributions censurées voire ignorées et a décidé de ne plus y collaborer.

Enfin, la SC a pu approcher les délégations gouvernementales et établir avec certaines -la Canada, la Suède, le Brésil, mais aussi la Suisse et l’Union Européenne- quelques relations intéressantes. Le « lobbying » a ainsi été une pratique à laquelle les représentants de la SC se sont rapidement habitués et qu’ils ont su utiliser pour présenter les points de vue de la SC sur les problèmes concrets … et pour avoir des informations sur l’évolution des débats « derrière le portes closes », c’est-à-dire les réunions où la SC était exclue.

Echecs et impasses

Hélas, cette « chronique » est beaucoup plus fournie, à tel point que je me bornerai à l’essentiel. Le multipartenariat entre représentants des Etats, organisations internationales, le Secteur privé et la SC s’est avéré un véritable bide qui s’est manifestée sous plusieurs formes :

L’exclusion de la SC de certains débats et réunions, pratiquée de façon très sélective par des représentants d’Etats très sourcilleux de leurs prérogatives (USA par exemple) ou simplement opposés à une quelconque coopération avec la SC (Chine, Pakistan, Iran, certains Etats arabes, …).
Le financement du SMSI lui-même est dans l’impasse car les contributions pour son fonctionnement proviennent à plus de 95% des Etats (du Burkina Faso, mais rien des USA ! ) ou d’organisations internationales (comme l’UNESCO). Pour le secteur privé, dont les entreprises seront pourtant les premiers bénéficiaires de ce SMSI, seuls des opérateurs de télécoms (japonais) et une entreprise suisse (Ascom) ont versé leur obole .

La « réduction de la fracture numérique », un des objectifs principaux du SMSI invoqué par tous les chantres et de façon récurrente tout au long de son processus, est un autre échec marquant. Les victimes en seront -une fois de plus- les populations des PeD, en premier lieu desquelles on trouvera les peuples africains. Cet échec a plusieurs raisons, au-delà des égoïsmes des pays industrialisés et nantis :
La prise de conscience très tardive de la SC africaine représentée aux PrepComs quant à la problématique du développement et sa traduction dans le domaine de l’usage des TIC.
Le manque d’une formulation claire dans les relations développement - « fracture numérique »- financement.
La focalisation excessive des ONG africaines en particulier, sur le « Fonds de Solidarité Numérique » (FSN) qui est devenu un enjeu exclusif d’autres , bien plus importants, comme la problématique du développement et ses aspects concrets tels que le « fossé énergétique » qui prime sur, et précède le « fossé numérique ».
La concentration des réflexions sur l’apport des TIC traduites presque exclusivement en termes d’usage de l’Internet tant dans les instances intergouvernementales que parmi les ONG. On a ainsi vu l’objectif emblématique « d’un accès au réseau de (télé)communication par village et communauté représentative » reporté de 2005 (et donc au « menu » du Sommet de Tunis) à 2015, autant dire aux calendes grecques, sans la moindre protestation de la SC, dont les ONG africaines alors que l’Afrique est la plus concernée par cet objectif !

Non seulement l’Afrique, mais aussi l’Union Européenne a échoué dans cette enceinte du SMSI où elle avait pourtant de solides arguments, nourris par son action et son expérience en termes de Développement par le jeu des mécanismes combinés des Accords ACP-UE et du Fonds Européen de Développement (FED). En fait elle s’est plus échinée à combattre le FSN en tant que tel que de proposer une véritable alternative de financement des infrastructures notamment (c’est le domaine le plus urgent et le plus stratégique) par le biais de son FED, comme je l’avais proposé lors de PrepCom-3 au Groupe de travail informel intergouvernemental sur le financement des infrastructures.

On a vu ainsi l’UE, le plus grand bailleur de fonds pour l’aide publique au développement, condamnée par l’ensemble des pays africains (et au-delà par une grande partie des PeD) au même titre et pour les mêmes motifs que les USA dont elle a trop facilement emboîté le pas. Un comble et une aberration ! Pour l’européen convaincu que je suis, une telle situation est inacceptable, et imputable en grande partie aux positions incohérentes des Commissaires européens concernés, MM. Nielson et Likkanen.

Au lieu d’une telle incohérence, on aurait aimé voir l’UE organiser un grand Forum et/ou une Table ronde pour présenter sa vision d’une Société de l’information et de la communication en y associant ses partenaires des ACP, et évoquer le rôle d’une telle Société et des TIC pour répondre de manière concrète à la problématique du développement.

S’agissant du processus du SMSI, les deux documents qu’il a produits sont le fruit d’un consensus laborieux qui ont vidé de leur substance la plupart des idées et propositions. En outre, le Plan d’Action ne mentionne ni les objectifs prioritaires, ni calendrier d’exécution et encore moins les moyens financiers pour les réaliser. C’est un document creux qui sera une base médiocre pour un travail programmatique pour la deuxième phase du SMSI.

Mais la Déclaration de la SC manque aussi de souffle et accuse de graves lacunes dans son analyse ; ainsi ni l’impact néfaste de la déréglementation ni l’indispensable réforme des institutions internationales n’y sont évoqués. C’est à peine si elle mentionne les services publics comme indispensables (mais non comme une priorité).

Perspectives et propositions

La deuxième phase du SMSI entamée au soir du 12 décembre a deux problèmes majeurs à régler sinon résoudre :
la gouvernance d’Internet,
le financement du Plan d’Action.

Deux « groupes de travail » ont été créés pour donner leur point de vue et leurs propositions d’ici au Sommet de Tunis. La SC devra particulièrement veiller à son implication dans les deux groupes de travail. A cette fin elle engagera ses participants à y présenter des propositions conformes aux idées exprimées dans la Déclaration alternative et adoptées par la plénière de la SC selon un mandat clair. De même ses participants rendront systématiquement compte des activité des deux groupes de travail à la Plénière de la SC.

Comme on le voit, ces questions requièrent des connaissances particulières voire une expertise avérée. Cela implique que la SC ses représentants les plus qualifiés, mais aussi les plus « solides » pour ne pas céder aux chants des sirènes … Pour ce qui concerne les problèmes liés au financement, les infrastructures et l’accès en seront les domaines essentiels. On s’étonnera qu’aucun document ni aucune réflexion n’aient proposé un montant chiffré -ou au moins un ordre de grandeur- des besoins ! On s’étripe lors de discussions nocturnes mais on ignore tout de la hauteur de l’enjeu ! Cette remarque vaut en particulier pour le(s) protagoniste(s) du FSN qui à raison d’un dollar (tiens, pourquoi pas un euro ?) par PC acheté « au Nord » rêve(nt) de rassembler une cagnotte de quelques milliards de dollars. Irréaliste ! Un simple raisonnement partant des besoins qui pourraient être compris entre 10 et 20 milliards de dollars pour les infrastructures africaines, déduit qu’il faudrait que « le Nord » achète autant de PC. On délire ! Même à 10 dollars « versés volontairement » on est dans l’irrationnel.

Nous demandons donc que le financement soit remis à plat et attendons que l’UE reconsidère sa position quant au FED comme un des mécanismes envisageables pour financer ces infrastructures sans lesquelles l’Afrique ne pourra se développer réellement.

Pour la SC et son organisation cette deuxième phase demande une structure plus adaptée pour répondre à des problèmes concrets notamment en termes de mise en œuvre du Plan d’Action et de suivi des deux problèmes majeurs en instance de la 1ère phase. Sa crédibilité en dépend. La nébuleuse des caucus et autres familles ne répond plus aux exigences d’actions et d’engagements plus concrets.

De même la SC devra s’ouvrir davantage aux organisations et associations qui ne l’ont pas (encore) rejointe soit du fait de leurs ressources limitées pour participer aux réunions lointaines, soit par engagement plus social auprès de leurs concitoyens. C’est le cas notamment des associations regroupées dans le collectif « WSIS we seize » ou celles militant au Forum Social Européen : ils doivent trouver une porte largement ouverte car visiblement la SC « installée » dans le SMSI a besoin de leur impulsion. Cela nous changera des débats concentrés sur l’Internet et ses problèmes … Et nous aidera à nous focaliser sur notre priorité des priorités : le développement des pays du Sud et en premier lieu de l’Afrique.

Jean Louis Fullsack

Délégué de CSDPTT au SMSI