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EDVIGE, EDVIRSP et les pièges du retrait d’un décret

Publie le mardi 28 octobre 2008 par Open-Publishing
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Le Conseil d’Etat est censé avoir examiné aujourd’hui le projet de décret portant retrait d’EDVIGE. L’avis émis n’est pas connu, mais les médias prévoient la publication imminente du décret de retrait et spéculent sur un éventuel non lieu dans les trois référés examinées hier matin en audience publique. A mon sens, la situation est plus complexe. Non seulement ma demande de suspension provisoire de CRISTINA n’a pas été traitée à l’audience de lundi (apparemment, l’inscription au rôle de mon référé 321705 concernait seulement EDVIGE), mais dans l’état des pièces qui me sont connues le retrait d’EDVIGE risque de déboucher sur une entrée en application de fait d’EDVIRSP en dehors de toute procédure régulière.

 
La logique est simple : le Fichier des Renseignements Généraux ne pouvant plus être alimenté, il faut bien installer et classer les données quelque part et d’après des critères bien définis. La solution adoptée par le Ministère de l’Intérieur, dans sa lettre du 17 octobre au Directeur Général de la Police Nationale, consiste apparemment à « anticiper » d’ores et déjà par rapport à EDVIRSP en tant que critère de sélection et de conservation des données.

Or, en réalité, le retrait du Décret 2008-632 portant création d’EDVIGE impliquera de manière rétroactive l’illégalité de toutes les données récoltées en dehors du domaine de compétence du Fichier des Renseignements Généraux tel qu’il était défini avant juin 2008.

EDVIRSP n’étant pas en vigueur, j’ai notamment demandé la suspension provisoire de la partie de la lettre de la Ministre de l’Intérieur du 17 octobre qui prend ce futur fichier comme référence.

Il y a également la question de l’archivage : de quel droit archiverait-on des données dont la récolte aurait été déclarée illégale à titre rétroactif ?

 

Suit la note que j'ai adressée mardi matin avant 9h par télécopie et courrier électronique à la Vice-Présidence du Conseil d'Etat et au Bureau des Référés.

 

« à Monsieur Jean-Marc SAUVE, Vice-Président du Conseil d'Etat

et

à Monsieur Bernard STIRN, Président de la Section du Contentieux, agissant en tant que Juge des Référés

 

NOTE A L'ADRESSE :

- DU DOSSIER CONCERNANT LE PROJET DE DECRET PORTANT RETRAIT DU  DECRET 2008-632 SUR LE FICHIER EDVIGE

- DE MON RECOURS EN REFERE SUSPENSION 321705

 

Messieurs le Vice-Président du Conseil d'Etat et le Président de la Section du Contentieux agissant en tant que Juge des Référés,

 

Le Conseil d'Etat se trouve simultanément saisi d'un projet de retrait du décret 2008-632 portant création d'EDVIGE, et de trois référés suspension visant le même décret. Ma propre requête (321705) demande également la suspension provisoire des décrets 2008-631 et 2008-609, ainsi que du décret non publié portant création de CRISTINA et de la lettre du 17 octobre de Madame la Ministre de l'Intérieur (signée par son Directeur de cabinet) produite dans le mémoire en défense du Ministère. La suspension provisoire de cette lettre est demandée « en ce qu’elle évoque déjà, à titre opérationnel, le dispositif EDVIRSP qui à ce jour n’a fait l’objet d’aucun décret ni même d’un avis de la CNIL ou du Conseil d’Etat », mais le débat à l'audience de lundi matin a mis également en évidence qu'elle prévoit aussi l'archivage de données dont la collecte deviendra à titre rétroactif dépourvue de base légale avec le retrait du décret 2008-632.

Le projet de décret de retrait dont le Conseil d'Etat se trouve saisi prévoit également la suppression d'un alinéa de l'article 1er du décret 2007-914 qui fait explicitement mention d'EDVIGE. Mais, dans sa version produite dans le mémoire en défense, il ne met pas en cause les modifications du décret 91-1051 introduites par le décret 2008-631 prévoyant notamment que « La collecte et l'enregistrement de nouvelles données dans les traitements et fichiers prévus par le (...) décret [91-1051] sont interdits à compter du 1er juillet 2008 ». Cette mesure vise, notamment, le Fichier des Renseignements Généraux.

 

C'est cette situation qui porte Madame la Ministre à considérer, dans sa lettre du 17 octobre, trois fichiers dans ces termes :

 Le Fichier des Renseignements Généraux (FRG), créé par décret du 14 octobre 1991, ne peut, depuis le 1er juillet 2008, faire l'objet d'aucune alimentation nouvelle ; à partir du 31 décembre 2009, toute consultation de ce fichier sera également impossible.

 Le Fichier EDVIGE, créé par décret n° 2008-632 du 27 juin 2008, fait l'objet d'une procédure de retrait.

 Le Fichier EDVIRSP (...) est en cours d'examen par la CNIL.

(...) (fin de citation)

 et à prescrire :

«  1.  Dès lors qu'elles conservent leur pertinence opérationnelle, les données de l'ancien FRG entrant dans le champ de compétences de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur doivent lui être transférées.

2.  Selon le même critère, les données de l'ancien FRG entrant dans le champ de compétences de la sous direction des courses et jeux de la Direction Centrale de la Police Judiciaire doivent lui être transférées.

3. Les données restantes du FRG, qui représentent le plus grand nombre, doivent faire l'objet d'une analyse exhaustive et fine. Il convient de distinguer :

a) les catégories de données qui conservent leur pertinence opérationnelle et qui feront partie de celles autorisées par le futur décret EDVIRSP pourront être intégrées dans ce fichier. Il s'agit :

 des données qui auront vocation à intégrer ce futur fichier au titre de sa première finalité (sécurité publique) ;

 des données qui auront vocation à intégrer ce futur fichier au titre de sa seconde finalité (enquête).

b) les autres données, qui n'entrent pas dans le cadre des finalités futures d'EDVIRSP, ou qui ne feront pas partie de celles autorisées par le futur décret, seront destinées à l'archivage ou à la destruction. Une mission d'appui sera mise en place à cette fin, avec le concours des services spécialisés du Ministère de la Culture et de la Communication.  »

(fin de citation)

A la fin de sa lettre, Madame la Ministre souligne également :

«  ... les conséquences qui s'attachent au processus de retrait du décret du 27 juin 2008 précité. Cette mesure ôtera, rétroactivement, toute existence juridique à EDVIGE, et il est nécessaire d'en anticiper d'ores ét déjà les effets. A cette fin, il convient (...) de cesser toute alimentation ou consultation du fichier, et de retirer de ce fichier les données qui ont pu y être intégrées depuis la publication du décret.  » (fin de citation)

Mais de telles mesures reviennent de fait à considérer EDVIRSP comme étant déjà opérationnel et la seule destination possible des données « pertinentes » évoquées dans le point 3 . EDVIRSP devient également, de ce fait, le critère de pertinence, alors qu'il n'a pas à ce jour d'existence légale. Cette situation m'apparaît contraire au droit et susceptible de causer un préjudice irréparable aux citoyens.

 

C'est pourquoi je me permets de suggérer que l'avis du Conseil d'Etat sur le projet de décret portant retrait d'EDVIGE prévoie également le retrait des modifications récéntes du décret 91-1051. Je n'entends pas par cette démarche défendre le bien-fondé du Fichier des Renseignements Généraux, mais uniquement m'opposer à des modifications de fait dépourvues de base légale et qui, du point de vue de nombreuses organisations et du mien propre, empirent la situation sans qu'un débat global transparent sur la question des fichiers et des données informatiques ait pu avoir lieu.

Pour la même raison, et vu l'opacité générale qui entoure à ce jour la question des traitements de données à caractère personnel, j'ai l'honneur de demander dans le cadre du référé 321705 :

 Que la suspension provisoire de la lettre du 17 octobre précitée soit ordonnée dès à présent, non seulement au titre de la référence à EDVIRSP mais aussi sur la question de l'archivage.

 Que la suspension provisoire des dispositions du décret 2008-631 intéressant EDVIGE ou le Fichier des Renseignements Généraux soit également ordonnée. 

 Que le reste de mes demandes de suspension qui n'ont pas été traitées à l'audience du 27 octobre soit inscrit à une nouvelle audience publique.

 

Je vous prie de recevoir, Messieurs le Vice-Président du Conseil d'Etat et le Président de la Section du Contentieux agissant en tant que Juge des Référés, l'expression de ma haute considération. »

 

(fin de la note)

 
Voir également mes articles :

Référes : audience sur EDVIGE, mais pas sur CRISTINA (27 octobre)

http://bellaciao.org/fr/spip.php?article73362

Quelques infos, avant l’audience du 27 octobre (I) et (II) (26 octobre)

http://notresiecle.blogs.courrierinternational.com/archive/2008/10/26/quelques-infos-avant-l-audience-du-27-octobre-i.html

http://notresiecle.blogs.courrierinternational.com/archive/2008/10/26/quelques-infos-avant-l-audience-du-27-octobre-ii.html

 

Luis Gonzalez-Mestres
lgm_sci@yahoo.fr
http://scientia.blog.lemonde.fr
http://notresiecle.blogs.courrierinternational.com

 

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