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Affaire Polanski : Lettre ouverte à Monsieur Kouchner et Monsieur Mitterrrand

Publie le jeudi 1er octobre 2009 par Open-Publishing
14 commentaires

de Manu A, Invalide sans profession.

Vos prises de position au sujet de l’affaire Polanski me forcent à venir à vous. En 1989, il y a donc 20 ans de cela, je me suis rendu coupable des mêmes faits que l’on reproche à Monsieur Polanski. Je croyais, moi aussi, que j’avais un rapport sexuel avec une adolescente de 14 ans consentante. Contrairement à votre pauvre cinéaste, j’ai attendu sagement la venue des gendarmes, puis je suis resté en cellule deux ans et demi, jusqu’à mon procès devant la Cour d’assises. Et, toujours en cellule, j’ai compté deux mille deux cent cinquante cinq (2255) jours avant d’être enfin élargi. Soit dit en passant, sans une seule permission de sortir préalable.

Le fait est que la prison, le procès et la psychanalyse aidant, j’ai fini par saisir une subtilité qui jusque là m’avait échappé et qui, je l’avoue, était sinon à l’origine de mon acte, tout du moins un élément déclencheur de ce que j’infligeais à ma victime.

Comme j’ai pu constater, suite à l’affaire Polanski, que cette subtilité vous échappe à tous deux, je m’empresse de vous en faire part. J’ai appris à mes dépends, mais aussi et surtout aux dépends de celle à qui j’ai fait tant de mal, qu’une gamine de 13 ans ne peut en aucun cas donner son consentement pour une relation sexuelle avec un adulte. Je le répète, il est impossible qu’elle donne son consentement, y compris lorsqu’elle est explicitement demandeuse, c’est vous dire combien certains font fausse route et pourquoi je fus très justement condamné pour viol. Si vous me demandiez la raison de cette impossibilité, je vous répondrais ce par quoi je commençais ce paragraphe.

D’où, Messieurs les ministres, la nécessité de répondre de ses actes devant la justice, devant la victime et de les revoir, les mâcher, les ruminer, jour après jour, nuit après nuit. Tout cela bien sûr dans la douleur, les larmes, la contrainte, l’humiliation, la honte et la solitude de la prison. Travail qu’on ne peut nullement réaliser dans le strass et les paillettes. Travail que vous, Messieurs les ministres et tous ceux qui protègent Polanski depuis si longtemps, l’avez empêché de réaliser.

Voilà pourquoi cette affaire lève un tel tollé parmi les gens communs, et voilà la raison du décalage abyssal qu’il y a entre l’opinion du petit peuple, dont je suis, et vous et vos amis intellectuels : parce que vous vous dressez comme un seul homme contre ce que nous enseigne toute notre civilisation - excusez du peu !

Vous, Messieurs, voilà que tout d’un coup, vous nous crachez que l’homme ne doit nullement faire amende honorable, ni redresser son chemin. Et vous voilà, soudain, la bouche pleine de ses pitoyables excuses que l’on entend si souvent dans la bouche de tristes individus, dont j’étais, plus proches de l’animalité que de ce à quoi ferait penser leur silhouette : "Elle était consentante, elle paraissait vingt ans, il y a si longtemps"

Vous, ministres et intellectuels, vous n’avez loupé aucune de ces bestialités, plus l’insulte faite à tous ceux qui purgent leur peine dans la promiscuité, le silence et l’oubli de nos prisons.

Mais il y a pire.

Les faits dont je me suis rendu coupable, je les ai commis en 1989, il y a donc vingt bonnes années. Personnellement, j’ai assumé, j’ai payé et j’ai même payé un second crime que je n’avais pas commis et puis surtout, j’ai réalisé l’infinie gravité de mes actes. Et si je n’ai jamais eu droit au pardon, j’ai en revanche eu droit à l’oubli... Jusqu’en février dernier.

Car voilà qu’en février 2009, donc vingt ans après, ces messieurs en uniforme sont venus me notifier que dorénavant j’héritais d’une nouvelle punition qui consiste à devoir me rendre deux fois par an dans leurs locaux pour leur confirmer mon adresse. Vingt ans après Monsieur Kouchner ! Vingt ans après Monsieur Mitterrand ! Alors que j’ai tout assumé, payé et jamais récidivé. Alors qu’ils ont devant leurs yeux vingt longues années de non récidive. Et cette loi scélérate, c’est vous, Monsieur Kouchner, c’est vous, Monsieur Mitterrand, vous qui demandez à ce qu’on oublie un fugitif, c’est vous qui l’avez voulue et votée, quand pour Polanski "c’est si vieux, quel acharnement, méchants américains..."

Depuis février, je fais des cauchemars, depuis février, j’ai perdu ma paix et l’on m’a arraché à l’oubli, celui que la coutume ancestrale me concède.

Depuis que vous m’avez infligé une nouvelle punition, vingt ans après les faits, ça va mal. Mais depuis trois jours, Messieurs les ministres, depuis que vous avez réagi pour Polanski, là vous m’avez mis la haine, j’ai perdu mon peu de sagesse. Vous m’avez empoisonné le sang. Je vous demande donc au nom du simple principe de cohérence de me faire enlever cette dernière punition aussi injuste que traumatisante. De lancer une pétition avec vos amis les intellectuels et autres cinéastes.

Redonnez-moi mon droit à l’oubli, car moi, oui, j’y ai droit, j’ai fait plus juste que le "Pianiste" et son auteur : J’ai payé !

http://www.lemonde.fr/opinions/chro...

Messages

  • Lettre incroyablement bien tournée sur un sujet dramatique et personnel, qui montre l’injustice, même à ce niveau-là, selon qu’on est du peuple ou d’une certaine caste friquée par le talent. Il y a une justice pour le peuple et une justice différente pour les nantis. L’écart entre ces deux justices se creusent anormalement aujourd’hui avec toutes les affaires qui apparaissent, les doigts et bras levés, puis le délit de fuite des fils Sarkozy et Fillon lors d’accrochages sur la voie publique, un ex-président amnistié dans de faux emplois, et le cas Polanski. Comment voulez-vous qu’il n’y ait pas de violences dans le peuple après cela ?

  • Cher Manu A

    Cette lettre incroyable comme dise certains fait preuve à mon avis d’un grand courage.
    Expliquer comme ça, avec sincérité ce qui s’est passé il y a 20 ans est touchant.
    Quand Bertrand B. a tué Marie T., les artistes lui ont également trouvé des excuses, il n’avait pas fait exprès. Peut être que si on lui avait demandé la pauvre Marie aurait répondu qu’elle n’avait pas fait exprès de mourir.
    Peut être que si on demandait à la jeune victime de R.P. elle dirait que c’est elle qui l’a violé.
    Le seul tort que tu as c’est de t’appeller Manu A.
    Regarde les infos, le fils Sarkozy, le fils Fillon pour des cas bien moins graves n’ont rien. Si c’était toi ou moi qui les ayons accroché, je pense que ça ne serait pas la même chose.
    Il y a réellement deux mondes aujourd’hui, le nôtre et le leur. Si le peuple se réveillait, peut être que...............
    Mais il dort bien en ce moment.
    Encore bravo pour ton courage
    jd

  • Cette affaire montre surtout le décalage existant entre le pekin moyen et une certaine elite tellement sure de son impunité et de son bon droit qu’elle n’a pas mesuré l’impact et les ravages faits par sa déclaration de défense d’un criminel qui doit rendre des comptes comme TOUT LE MONDE tout Polanski qu’il soit. Dire qu’un certain BHL qui se prétend philosophe a meme argué d’une erreur de jeunesse de ce pauvre Polanski qui avait 46 ans à l’époque des faits !!! C’est QUAND notre 4 aout à nous, ça URGE !!!

  • Je suis profondément choqué par l’intervention de ces ministres et très touché par votre histoire ! Voilà , dans ce monde civilisé , nul n’est à l’abri d’une faute , et la loi est là , suffisante pour remettre le fautif en face de ses responsabilités !...Nous devons apprendre à être tous plus responsables de nos actes et voilà qu’en l’espace de 3 semaines deux cas m’ont choqué au plus haut point .
    le premier concerne un préfet de la république " poursuivi pour des propos raciste" et mis en retraite d’office par le ministre de l’intérieur qui lui même fait la première page des journaux pour des propos de même nature la semaine suivante ! . Celui là , par contre n’est nullement inquiété !
    Ensuite , cette intervention de deux ministres dans l’affaire Polanski , qui se permettent de défendre un homme simplement parce qu’il est reconnu chez les bourgeois et donc au dessus des lois !
    Dans votre cas , la loi est là , dans le cas Polanski on ne reconnait pas la loi ! Deux poids , deux mesures ! Les principes même de notre démocratie sont remis en cause !
    Mr Mitterrand menace les jeunes internautes qui télécharge de la musique ( culture) de poursuite , de prison . Et de l’autre il excuse un homme , qui a commis une erreur grave qu’il a d’ailleurs reconnu !
    Des jeunes croupissent dans les geôles sans nom , pour avoir volé scooter, ou fumer des joints ! de l’autre on réclame l’indulgence de la justice alors que les faits sont autrement plus grave.
    Dans quel monde vit-on , on marche sur la tête et le message contredit toute morale !
    Aujourd’hui , la surenchère populiste prend le pas sur la réflexion , mme Le Pen réclame la peine de mort , les autres la castration chimique , ou la tête des juges ! Maintenant , punir les récidivistes avant qu’ils récidivent . De qui se moque t’on ! Depuis quand la justice se fabrique t’elle au gré des faits divers ! Les lois présentes sont suffisantes pour juger tous ces actes ! et la seule chose qui manque pour que cela fonctionne , ce sont des hommes politiques moins lâches et des moyens financiers pour assurer le suivi de ceux qui en ont besoin et surtout oublier ceux qui ont a force de volonté corrigé leurs défauts et leurs faiblesses.
    Ces ministres ( Hortefeux , Mitterrand et Kouschner ) ont ces dernières semaines démontrés qu’ils n’avaient ni le courage , ni les compétences et trop de lâcheté pour mener à bien leurs missions (honneur de notre démocratie mise à mal en dépend.

  • Merci pour ce témoignage qui bouscule les personnes qui parlent sans connaitre la situation psychologique de l’agresseur.

    Une terminologie me gêne : le mot oubli.

    Comment peut on arriver à être dans l’oubli de la souffrance infligé à l’autre et la sienne ?

    Le pointage à la gendarmerie n’est pas une agression :pour que ça bouscule à ce point ce Monsieur c’est que la cicatrisation était à fleur de peau et qu’il n’était pas dans "l’oubli".

    A mon avis, il ne le sera jamais.

    Qu’en pensez vous ?

  • Pourquoi un passe droit qu’il assume comme les autres ses vices et surtout qu’il ne nous fasse pas de film dessus !!!

  • « Le fait est que la prison, le procès et la psychanalyse aidant, j’ai fini par saisir une subtilité qui jusque là m’avait échappé »
    « Je le répète, il est impossible qu’elle donne son consentement, y compris lorsqu’elle est explicitement demandeuse »
    « Redonnez-moi mon droit à l’oubli, car moi, oui, j’y ai droit, j’ai fait plus juste que le "Pianiste" et son auteur : J’ai payé ! »
    Étonnante lettre ouverte !
    Son argumentation au delà de la véracité du témoignage, tient dans l’articulation des 3 citations ci-dessus.
    Manu a appris que le droit n’accorde pas le consentement à une mineure et que les majeurs parce qu’ils le sont ne peuvent ignorer la loi. La mineure ignore le droit par hypothèse parce qu’elle est mineure. Le juge n’a que faire que la mineure soit « explicitement demandeuse » et la mineure n’obtiendra pas d’un juge la réponse à la question : explicitement demandeuse de quoi ? La notion de consentement est réglée par le droit, en deçà comme au-delà cette notion soulève des montagnes de problèmes…
    Manu a payé, il espère de la société l’oubli plutôt que lui rappeler son acte 2 fois l’an au commissariat. Polanski a eu quelques privations de liberté de mouvement depuis 30 ans et ni le droit ni la société ne l’oublie.
    Qu’il y ait une solidarité de classe ce n’est pas nouveau, qu’elle s’exprime sur de tel sujet entre fractions de la même classe ce n’est pas nouveau non plus, qu’une fraction soit factieuse et milite à l’inverse ça arrive, que dans la classe opposée on trouve des suiveurs de ces deux camps de la bourgeoisie n’est pas évitable. Pour la réflexion des jeunes je conseille ces liens : http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Loi_de_la_pudeur
    et
    http://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9titions_fran%C3%A7aises_contre_la_majorit%C3%A9_sexuelle#1977_P.C3.A9tition_adress.C3.A9e_au_Parlement