Accueil > Lettre ouverte à Robert Guédiguian

Lettre ouverte à Robert Guédiguian

Publie le jeudi 26 novembre 2009 par Open-Publishing
15 commentaires

de Elise Frydman

Je m’appelle Elise Frydman, la fille de Mme Frydman que vous citez dans votre film, L’Armée du crime. Je suis également la cousine germaine de Marcel Rayman. Lui m’a connue quelques mois (je suis née en mai 1942) ; moi, malheureusement pas, j’étais un bébé. Cependant, j’ai vécu plusieurs années avec Simon Rayman lorsqu’il est rentré des camps et qu’il habitait chez mes parents. Ses copains rescapés venaient souvent chez nous, rue des Immeubles-Industriels : Jean Lemberger, Maurice Weimberg, André Terreau…

Simon parlait tout le temps de son frère, de ses parents. Ma mère parlait de ses frères et sœurs. J’ai vécu toute mon enfance avec leurs souvenirs. Je buvais leurs paroles. Ils ont toujours été présents en moi.

Simon n’était pas le petit falot qui suivait toujours son grand frère en suçant un bâton de réglisse. A 14 ans, il mesurait 1 m 75, il était déjà dans la Résistance. A 15 et 16 ans, il était responsable de groupes du XIe arrondissement et de plusieurs actions et attentats (documents à l’appui).
Bien que l’image que vous donnez de mon cousin Simon, qui a fait partie de ma vie jusqu’à sa mort en 2005 (image que vous avez transformée pour coller avec votre interprétation de l’histoire) soit pour le moins grotesque, ce n’est rien comparé à celle, scandaleuse, que vous inventez concernant mon cousin Marcel et son aventure amoureuse.

Je vous ai entendu sur France Culture, dans l’émission de Michel Ciment, citer vos sources d’information et de documentation avant la réalisation du film. Notamment Adam Rayski, Stéphane Courtois et Denis Pechanski. Il ne vous a donc pas échappé qu’il y a eu de nombreux témoignages se recoupant, concernant Lucienne Goldfarb. Simon a aussi écrit un témoignage sur ce qu’il a vécu en tant que résistant et déporté. Dans ce document, il dit que Marcel et lui se sont toujours méfiés de cette fille qui voulait intégrer leur réseau. Adam Rayski l’a souligné également à maintes reprises.

Je suis étonnée que vous n’ayez pas eu la curiosité de rencontrer des témoins encore vivants et faisant partie de la famille, dont Madeleine Peltin-Meyer, ma cousine, alors très proche de Simon et Marcel. Elle avait 12 ans en mars 1943 quand elle a vu sa mère, son père et sa tante arrêtés sur dénonciation de l’appartement de mes parents.

Jamais personne de ma famille ou de notre entourage, avant, pendant, ou après la guerre, n’a fait état d’une relation entre Marcel et Lucienne Goldfarb. Je m’interroge sur la source qui vous a amené à imaginer une telle relation. Lors de leur arrestation le 20 mars 1943, des témoins, dont Henri Krasucki, ont vu Lucienne Goldfarb se promener et plaisanter avec des policiers de la Brigade spéciale de Puteaux.

Vous vous êtes longuement entretenu avec Henry Karayan qui, comme vous le savez, a bien connu Marcel puisque celui-ci était son instructeur. D’ailleurs, Henry a certainement dû vous dire que Marcel n’était pas ce Lucky Luke exalté que vous avez bien voulu décrire (par le biais de Robinson Stévenin, excellent malgré tout) mais au contraire un jeune homme déterminé, réfléchi, prêt à tout pour vivre. Et non pas pour mourir.

Pourquoi n’avez-vous pas demandé à Henry Karayan s’il connaissait des membres de la famille Rayman ? Nos témoignages valent certainement autant que d’autres sources. J’ai été très surprise d’autre part que vous changiez le nom de Lucienne Goldfarb en Monique Stern alors que celui de ma mère, Mme Frydman, ne change pas, ni ceux des résistants.

Non, j’oubliais, Davidovitch, celui qui a dénoncé le réseau à la Gestapo en octobre 1943, devient Petra et l’inspecteur Piget… Pujol. Bizarre ! D’autant que vous ne citez pas la lettre de Manouchian jusqu’au bout alors qu’il dit ne pas pardonner "à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus" (une impasse qui a particulièrement choqué Henry Karayan).

Vous vous êtes beaucoup répandu dans la presse, à la radio, à la télévision en disant, entre autres choses, que votre film était un film historique. Il est vrai, cependant, que vous prenez vos précautions en annonçant, en conclusion, avoir commis quelques arrangements avec les faits réels, mais afin que ces résistants entrent dans la légende. Ces héros n’ont pas besoin de légende, monsieur Guédiguian, ils ont surtout besoin de vérité.

http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/11/26/lettre-ouverte-a-robert-guediguian-par-elise-frydman_1272724_3232.html

Messages

  • Ces héros n’ont pas besoin de légende, monsieur Guédiguian, ils ont surtout besoin de vérité.

    Exactement, la vérité se suffit à elle-même, la légende c’est comme la pub, c’est juste bon pour vendre des choses qu’on achéterait pas si on savait la vérité.

    C’est la vérité qui fait avancer le monde dans la bonne direction, un mensonge, même de bonne volonté, n’entraine rien de bon.

  • quel témoignage,

    j’ai lu un livre sur la vie de Manouchian et de tous ces héros.

    ce n’est pas une légende, c’est l’histoire de notre pays, tout simplement.

    merci madame.

    jd

  • Je ne comprend pas les polémiques à propos de guediguain : bon, pour la famille des personnes dont l’histoire est raconté pourquoi pas , ce n’est pas la 1ere fois....mais pour tous les autres ??????

    enfin un film qui parle de cette histoire et qui en apprend beaucoup ( voire TOUT ) aux mêmes qui critiquent ce film en jouant les spécialistes !

  • Bonsoir,

    Je peux comprendre votre énervement par rapport au film de Guédiguian, vous qui êtes si proche (ou trop proche) de Marcel Rayman ; je pense néanmoins que Robert Guédiguian a le mérite de parler de cette armée, dont Manouchian était à la tête, car ils ne sont pas nombreux à le faire actuellement, et de façon honnête.
    Par légende, je pense que Robert Guédiguian entend surtout faire connaître auprès des jeunes, les actes de résistance du groupe Manouchian, afin peut-être de réveiller les consciences, de donner l’envie de se battre et de militer, ce que représentait justement le groupe Manouchian pour lui lorsqu’il était jeune (c’est ce qu’il a expliqué à la fête de l’huma en septembre dernier). Il n’a d’ailleurs pas fait un documentaire ou un docu-fiction, il a fait un film (donc fiction), basé sur des évènements historiques, des évènements appartenant à l’Histoire ; est-ce que l’existence ou pas d’une relation amoureuse entre Marcel Rayman et Lucienne Goldfarb appartient à l’Histoire ? D’autre part, ne peut-on pas imaginer, d’après ce que vous dîtes des agissements de cette femme, que c’est justement pour cela que Guédiguian a créé le personnage de Monique Stern ? Ce personnage n’est pas forcément celui de Lucienne Goldfarb, il appartient à la fiction.
    Enfin, connaissez-vous le livre "Missak" de Daeninckx ? Ce "polar" colle davantage à la réalité (les noms sont ceux des acteurs de l’époque) et peut-être adhèrerez-vous plus à ce rappel de l’Histoire.
    Pour ma part, j’ai beaucoup aimé le film et le livre, car ils m’aident à penser le monde actuel et à lutter !

    • On ne peut pas excuser les entorses à la vérité historique (surtout lorsqu’elle est documentée) au nom du "au moins il en parle c’est déjà pas mal".

      A ce tarif là stéphane courtois aussi c’est sympa puisqu’il parle des communistes alors que plus personne n’en parle ou presque.. mais faut voir comment !!!!

      Alors vraiment, et à plus forte raison parce que cette dame parle de sa propre famille je la comprends et l’approuve.

    • ELSA à tout a fait raison lorsqu’elle dit que la fiction vient et peut graver dans le marbre de la mémoire, in fine , l’authentique histoire de ces jeunes résistants pas seulement rebelles contre le joug de l’envahiseur , mais empreint d’une volonté de désobéissance et de légitime liberté.La carriére du cinéaste Guédiguian ne laisse aucun doute sur la sincérité de son discours : Mettre en exergue tout ce qui peut rendre l’individu à travers l’acte collectif son ... ÉMANCIPATION ! (voir ses films svp )

    • Je ne partage absolument pas ce point de vue.

      Et la "sincérité " de Guédiguian (par ailleurs, soutien du "Front de gauche" - ce qui suffit en soi seul à lui faire perdre un peu de crédibilité) n’est pas en cause ici, ni son talent de réalisateur.

      Mais si on dit soi même faire un film "historique", on fait un film HISTORIQUE. Et en tant que tel on s’expose aux revendications critiques... faites du point de vue de l’Histoire.

      Donc la lettre de Madame est juste à double titre.

      Sinon encore une fois on admet Courtois comme "historien du PCF" valable par exemple ? C’est peut être ton cas, ce n’est pas le mien.

    • << "honnête", "sincère" >>...

       Les fameuses "bonnes intentions" : c’est précisément le matériau qui a toujours servi à paver L’ENFER sur cette planète.

      << Y’en a marre de ces petits égos d’artistes narcissiques qui se font mousser sur le dos des martyrs. >>...

       Il est urgent de voir l’imposture de tous les narcissiques qui font mousser leur ego sur le dos de LA VERITE...

      ...mais, par un ’hasard’ ’malencontreux’ ou un ’détail’ ’innocent’ donc ’acceptable’, toujours au bénéfice du système.

       << Les héros n’ont pas besoin de légende >> et le peuple non plus : le peuple n’a pas besoin qu’on lui raconte des légendes à la place de la Vérité.

      Qui en a besoin ?

    • A propos de la vérité historique et de ses arrangements, j’ai acheté récemment en DVD le très beau film de Franck Cassenti, "L’affiche rouge", un film intelligent, suivi d’un interview récent d’Arsène Tchakarian, membre du réseau Manouchian. Le film est paru dans les années 70 et fait preuve à la fois d’inventivité tout en respectant, je pense, la vérité. On peut donc créer tout en étant respectueux. Je n’ai pas encore eu l’opportunité de voir celui de Guédiguian, mais après la contribution, je me sens un peu refroidie...

    • Et la "sincérité " de Guédiguian (par ailleurs, soutien du "Front de gauche" - ce qui suffit en soi seul à lui faire perdre un peu de crédibilité) de quoi tu parles ?????????

    • le personnage de monique stern existe vraiment et si elle avait une liaison amoureuse avec Rayman, c’était pour bonne raison, elle était une indicatrice de la police.

  • Excuse moi , mais encore une fois , qu’est ce que "l’honnêteté" (dont tu avoueras que c’est très difficile à prouver) vient faire là dedans ?????

    Le fait qu’une erreur soit commise honnêtement lui enlève t il sa nature d’erreur ???
    Je ne pige pas vos arguments - pas très "rationnels" ni factuels....

    Quant au fait que soi disant les "amourettes" comme tu les appelles, feraient partie du "décor" , surtout au sujet de "Katia la rouquine" aka "Lucienne Goldfarb" - grande amie par la suite de R. Dumas.... je pense qu’il y a un pan de cette période de l’histoire qui t’échappe et que tu parles de ce que tu ne connais pas....

    A moins que tu dises que Krazu et S Rayman etc était des menteurs ?

    LL

    • Si jamais ce que vous nommez LA Vérité existe (je le crois, et le disant j’affirme que c’est une croyance), ce n’est certainement pas une représentation qui va vous la donner, la délivrer, la dévoiler.
      Une représentation a pour vocation, certes de "dévoiler" le Réel. Mais fichtre !, pas de montrer la vérité toute nue. Et ce disant, j’aime Badiou quand-même !!!

      Une représentation, c’est un mythe, et ça crée des légendes.
      Même basée sur des "faits historiques".

      Vos réactions ne font qu’illustrer le fait que vous avez une CROYANCE, une FOI, dans des IMAGES !!!

      Et aujourd’hui, c’est cela qui est extrêmement grave.

      Et le fait de n’avoir pas encore vu le film ne m’enlève aucune légitimité à affirmer ce que je pose ici.

      D@v !d B.

      P.S. ;-) : Vos petites querelles Front de Gauche—NPA sont ici indécentes. On pourait causer de Ken Loach.
      Et je suis persuadé que la plupart d’entre les offusqués ici aime Michael Moore. C’est la mort du langage, qu’ils signent...

    • Où tu as vu des querelles front de gauche NPA ?

      La proximité de Guédiguian avec le FDG et le PDG (participation publique à xieurs réunions) n’est pas indécente c’est signifiant dans ce contexte précis - il faut être bien jésuite pour prétendre que Guédiguin n’est pas un sympathisant d’un parti ou même un militant et que cette proximité n’influence pas son travail, au demeurant respectable à certains égards et que j’apprécie par ailleurs dans d’autres réalisations.

      Ensuite, dire que l’on sait que nbx sont ceux qui CROIENT aux représentations, et donc qu’il est légitime quand on fait un film sur un tel sujet, d’être prudent dans son historiographie, n’implique nullement que l’on y croie soi même... Mais bien sur on peut continuer à "faire des films" en racontant parfois n’importe quoi du point de v ue de l’histoire qui est une science, n’en déplaise à certains,

      Un peu court tout ça comme raisonnement donc...

    • Moi, ça me plaît, que l’histoire soit une science.

      Parce qu’une science est une croyance qui se reconnait en tant que telle : elle est capable demain, parce que la nouvelle théorie, le nouveau paradigme seront "meilleurs" — plus aptes à éclairer la réalité, ce qui fait de la science le lieu d’enracinement du pragmatisme, aussi, dans l’ordre des luttes d’idées — de démentir ses propres certitudes du jour.

      L’histoire est une science, et la science a son histoire. Et croire que celle-ci (l’histoire des sciences) ne se déploie que vers un progrès, sans contre-révolutions, sans sa propre dialectique, et sans lien (qui n’est pas nécessairement directement causal) avec l’histoire des idées, l’idéologie, et donc la dialectique qui anime le "reste de la société", serait coupablement naïf.

      — Je crois qu’il nous faut prendre acte de la contre-révolution post-moderniste, bien plutôt que se voiler la face derrière la défense arrière-gardiste du positivisme écrasé par le subjectivisme. Inutile de rappeler ici que chez Marx, la connaissance est une praxis. Et on ne combat pas la contre-révolution au nom de la vérité précédente, mais au nom de celle à venir : prendre acte ne signifie donc pas prendre pour vraies les vérités contre-révolutionnaire : c’est examiner ce qui leur a permis de s’imposer pour tenter d’imposer une vérité plus haute encore... ce sera, pour nous, imposer un socialisme épistémologique, qui affirme que la réalité matérielle de l’objet n’est descriptible que depuis la somme des points de vue subjectifs sur l’objet. La dialectique n’est pas un "ni-ni", mais un "et-et-puis" —

      Ceci outre le fait que les archives de l’époque sont encore loin, très loin d’avoir été toutes dépouillées... (Il a été longtemps de notoriété "’scientifique" que le groupe Manouchian avait été livré par les responsables du Parti... Les plus récentes recherches — maintenant que ce parti n’est plus que le spectre de lui-même, qui ne hante même plus grand-monde — semblent soutenir que non. Et demain ?)

      Alors bon, Guédiguian peut bien "prendre ses aises" (à d’autant plus forte raison qu’il le revendique) avec nos connaissances actuelles...

      Bien que j’entende parfaitement la défense par Elise Frydman de l’honneur la mémoire de son cousin, a fortiori sur la question du traitement des noms propres qui semble, lui, étonnant, voire de parti-pris...

      C’est bien la mythologie de la Résistance qui a permis et permettra d’élever de futurs résistants, plus que les arguties historiques qui, si elles ont lieu d’être, ne contribuent qu’à remettre du doute sur le doute...

      D@v !d B.