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"La dérive droitière du PS a même atteint la gauche radicale"

Publie le vendredi 19 mars 2010 par Open-Publishing
8 commentaires

de David Servenay

Didier Eribon est un intellectuel engagé, professeur de philosophie à l’université de Berkeley aux Etats-Unis. Auteur d’une célèbre biographie de Michel Foucault, il a publié cet hiver D’une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française, aux éditions Leo Scheer.

Dans ce petit livre, il revient sur l’impasse idéologique et politique dans laquelle s’est, selon lui, fourvoyée la gauche. Nous lui avons demandé de commenter ces derniers mois de la vie politique française. Entretien.

Quel bilan dressez-vous des arguments utilisés, à gauche, pendant la campagne électorale présidentielle ?

Ce qui m’a le plus frappé, tout au long de cette séquence électorale, c’est la manière dont la dérive droitière du Parti socialiste a produit des effets dans l’ensemble de la gauche et jusqu’à la gauche radicale.

En effet, pendant que la calamiteuse candidate socialiste, dont les conditions de désignation avaient déjà traduit l’état de délabrement politique et intellectuel de son parti, menait campagne sur des voies douteuses, pour ne pas dire dangereuses, au gré de ses pulsions conservatrices (une sorte de conservatisme compassionnel, du sarkozisme avec des larmes), on a vu une partie de la gauche radicale (notamment chez les intellectuels) la soutenir sans condition et sans distance critique, et souvent même dès le premier tour, au nom des nécessités du vote utile.

Ce qui a permis ensuite au PS de faire comme s’il avait réellement réuni 26% des suffrages au premier tour et que les autres courants de la gauche avaient effectivement quasiment disparu. Par conséquent, là où il y avait un espace possible pour réfléchir à ce que peut être la gauche aujourd’hui (ou à la manière dont les différentes gauches peuvent se rejoindre le temps d’une élection), on a renoncé à penser et à élaborer des réponses de gauche aux questions, anciennes ou nouvelles, qui appelaient une réflexion d’ensemble, et on s’est laissé aspirer par une sorte de logique électorale qui enjoignait de taire les critiques et les divergences pour ne pas nuire à la candidate. Avec le merveilleux résultat que l’on sait ! A l’évidence, ce n’était pas ainsi que pouvait se créer une dynamique de gauche.

Qu’entendez-vous par des « réponses de gauche » ? Pensez-vous, comme Ségolène Royal, que le SMIC à 1500 euros ou les 35h généralisées étaient des réponses trop à gauche ou au contraire pas assez ?

Il ne vous aura pas échappé que, dans la mesure où je suis de gauche, je pense assez rarement comme Ségolène Royal !

Mais, sur le fond, ce que j’appelle des « réponses de gauche », ce sont des réponses qui s’inscrivent dans le cadre général d’une démarche de gauche. Il ne s’agit donc pas de discuter de telle ou telle mesure (si importante ou symbolique soit-elle) comme si elle pouvait constituer un élément séparé des autres et qui relèverait du seul débat entre experts. Car c’est bien là tout le problème : une démarche de gauche ne peut s’élaborer que si elle s’appuie sur un travail collectif auquel participeraient les différents courants de la gauche, syndicats, associations, représentants de divers mouvements, chercheurs et intellectuels, et tous ceux qui veulent contribuer à un tel projet.

C’est-à-dire très exactement le contraire de ce qu’a fait le Parti socialiste, qui n’a cessé d’appeler à une mobilisation de « toute la gauche », mais en insistant toujours sur le fait que cette mobilisation devait s’organiser sur la base de son propre programme. En gros, cela revient à dire : » Votez pour nous et taisez-vous. »

Cela ne peut évidemment pas marcher comme ça ! Donc la question pour moi n’est pas seulement de déterminer si telle ou telle mesure est réellement de gauche (ce qui n’est évidemment pas négligeable), mais aussi de voir dans quel cadre ces mesures s’inscrivent, quelle signification elles revêtent dans une perspective globale et, plus encore, comment ce cadre général et les mesures spécifiques sont élaborées, par qui, quand, pourquoi, etc.

Bref : qui a droit à la parole dans la production des idées politiques ? Ce ne sont donc pas uniquement les solutions avancées qu’il faut entièrement revisiter et repenser, mais d’abord et surtout les processus à travers lesquels les réponses et les solutions, mais aussi les questions et les problèmes eux-mêmes, sont définis et discutés.

A plusieurs reprises, pendant la campagne, Jean-Marie Le Pen a fait référence à la pensée de Gramsci, pour dire que ses idées (conformément au dessein de la Nouvelle Droite dans les années 70) avaient gagné les esprits en 2007. Qu’en pensez-vous ? Croyez-vous que la gauche ait à faire sa révolution pour conquérir le pouvoir en 2012 ou plus tard ?

Il me semble évident en effet que la droite a très largement conquis ce que Gramsci appelait l’hégémonie idéologique. La défaite de la gauche aujourd’hui est le fruit d’une longue histoire qui a commencé il y a plus de vingt ans et que j’ai essayé d’analyser dans mon livre.

Qu’on n’imagine pas en effet que la gauche aurait été seulement victime d’évolutions auxquelles elle ne pouvait pas s’opposer ! Elle a été activement partie prenante de ces phénomènes. Un certain nombre d’idéologues ont travaillé à démolir la pensée de gauche, et le plus surprenant, c’est que ces gens se sont souvent présentés comme des » rénovateurs » de la gauche, alors même qu’ils ne faisaient rien d’autre que recycler tout le répertoire et je dirai même toutes les obsessions de la pensée de droite telle qu’elle s’est façonnée en France depuis les années 1950.

Nous avons véritablement assisté, dans les années 1980 et 1990, à un phénomène de « contre-révolution » dans le domaine intellectuel, qui s’est donné pour tâche d’annuler tout ce que les années 1960 et 1970 avaient apporté et transformé dans la pensée de gauche.

Et le Parti socialiste –tout comme les journaux de gauche– aura été un des principaux réceptacles, un des principaux vecteurs mais aussi un des principaux acteurs de cette contre-révolution idéologique. Il suffit de voir qui est invité aux colloques socialistes, quels thèmes y sont discutés… C’est édifiant !

Si ce sont des idéologues de droite qui sont sollicités pour élaborer une réflexion sur les problèmes que la gauche doit affronter, il est évident qu’il en ressort une pensée de droite. Et si l’on conforte ainsi la pensée de droite, si on lui accorde une reconnaissance, une légitimité et même une quasi évidence, c’est à la droite que cela finit par bénéficier !

On a dit : la droite a gagné la bataille des idées. Ce n’est vrai que parce que la gauche a renoncé à mener la bataille, et a adopté ou ratifié les idées qu’elle aurait dû combattre. C’est aussi ce qui permet de comprendre –même s’il ne faut pas négliger, bien sûr, la force internationale de tous courants et vents mauvais– pourquoi le Front national a pu imposer des thèmes qui ont structuré le débat public, et plus profondément, imprégné les consciences et les inconscients.

Au fur et à mesure que ces discours nationalistes et xénophobes prospéraient, la gauche socialiste, au lieu de s’y opposer en essayant de façonner de nouveaux discours de gauche (mais il aurait fallu les ancrer dans les mobilisations sociales qu’elle a dédaignées, voire dénoncées ou matraquées), a participé à la dérive générale en se déplaçant toujours plus vers la droite, pour récupérer les voix de ceux qui étaient sensibles à l’attrait exercé par l’extrême droite, au point que le vote pour le Front national (un vote, soit dit en passant, que le Parti socialiste avait contribué à installer au début des années 1980), n’a fait que s’amplifier en aimantant de plus en plus toute la vie politique.

Et il a suffi à la droite classique de reprendre à son compte, de façon explicite, les thématiques de l’extrême droite pour récupérer une bonne partie de ces votes. On pourrait résumer la situation : le Parti socialiste a installé la force du Front national, puis a droitisé son discours pour récupérer les voix qu’il renvoyait lui-même au Front national par les politiques qu’il menait, et cette droitisation généralisée, l’emprise sur les consciences des visions de droite, des schèmes de perception de droite, a profité… à la droite.

Par conséquent, en effet, la gauche ne peut reconquérir le terrain perdu que si elle sait réinventer une pensée de gauche, des manières de voir le monde, des modes de perception… Sinon, elle pourra bien sûr gagner des élections, par l’effet de rejet que la politique sarkoziste ne manquera pas d’engendrer. Mais ça sera le prélude à de nouvelles débâcles.

Avec qui les socialistes peuvent-ils reconstruire une vraie gauche ?

Il faudrait peut-être poser la question différemment, car il ne va pas de soi que le Parti socialiste soit le lieu le plus évident aujourd’hui pour qu’une pensée de gauche renaisse, dans la mesure où la logique de droitisation va continuer d’exercer ses effets. Au PS, quand on parle aujourd’hui de « moderniser », cela veut toujours dire droitiser et pousser encore plus loin la droitisation d’hier.

On pourrait donc au contraire se demander : est-ce qu’une pensée et une politique de gauche peuvent se reconstruire aujourd’hui malgré ce qu’est devenu le Parti socialiste ? L’innovation viendra assurément d’ailleurs, et dans une large mesure se fera contre le Parti socialiste. En tout cas, il n’y aura pas UNE pensée de gauche, mais DES pensées de gauche. Et une tension inévitable surgira entre toutes ces tentatives contradictoires.

On peut espérer que cette tension sera féconde et productive. C’est pourquoi je crois que la tâche des intellectuels de gauche est aujourd’hui considérable. Il incombera alors au Parti socialiste de savoir s’il veut travailler avec ceux-ci, et avec tous les mouvements qui font bouger la société et la pensée (et qui sont à mes yeux les lieux où se crée la gauche nouvelle). Ou s’il veut persévérer dans son être actuel : celui d’un parti de dignitaires qui s’entre-déchirent pour les places et les postes. Si c’est le cas, la droite a de beaux jours devant elle.

http://www.rue89.com/2007/06/23/eribon-la-derive-droitiere-du-ps-a-meme-atteint-la-gauche-radicale

Messages

  • Par David Servenay | Rue89 | 23/06/2007 | 22H03

    C’est du rechauffé,depuis il y eu le vote de Versailles, les Europeennes et son abstention,etc...

    C’est comme pour la finance cause toujours...

    Les partis sont sourds etc,

  • dommage qu’au second tour il n’y est plus de liste de gauche, a part peut-etre dans le Limousin !

    • oui c’est du réchauffé, mais quel parti aujourd’hui demande que l’on sorte du FMI, de la banque mondiale, de mettre en place la charte de la havane à la place de ces institutions. Qui demande que l’on sorte de l’euro, que l’Etat puisse frapper sa propre monnaie. Qui demande la gratuité des soins, des transports, qui demande que le travail ne soit plus la centralité de notre société, qui demande un droit opposable à l’emploi, avec une vraie réduction du temps de travail, qui parle d’un revenu garanti pour tous avec une limite maxi des salaires.
      qui demande la retraite à 55 ans.

      qui demande que la monnaie sorte du marché, et qu’elle ne soit plus qu’un moyen d’échange.
      La dérive droitière n’est pas l’apologie des partis, elle est présente aussi chez tous les syndicats.
      Tout le débat des gauches se situent dans le cadre imposé par le capitalisme, la seule question est un peu plus de distribution de richesse envers les salariés, même pas envers les citoyens.

  • Ah ! Je ne supporte ni n’ai jamais supporté ce type.. c’est une sorte de révisionniste de son idole de référence dont il fut le dernier compagnon, qui profite et jouit de la réputation de Foucault, qui a la main sur l’oeuvre, et qui d’une certaine façon réécrit le sens politique de l’oeuvre en faisant disparaître des articles... Pire qu’une veuve exécutrice testamentaire (ou d’une soeur version la soeur de Nieztsche) !

    Par exemple a fait disparaître par exemple la publication que Foucault avait voulue posthume et qui le fut juste avant la fin du journal Les nouvelles littéraires, dans un des derniers numéros... qui était en quelque sorte une réponse à Oublier Foucault, où il avouait qu’il avait été un mandarin académique et dogmatique qui avait exercé sont pouvoir discriminant contre certains penseurs qui étaient des gens pourtant intéressants mais parce qu’ils menaçaient le structuralisme... C’était en quelque sorte une confession et un testament public. :

    "Le retour de la morale", Nouvelles Littéraires n° 2937 (juin-juillet 1984) ; in DE IV, 696-706.
    "Interview de Michel Foucault", 1984 : DE IV, 656-667.

    on n’en retrouve les traces dans le texte NULLE PART !!! Je les cherche depuis plus de 10 ans en vain !

    Je déteste cet héritier parvenu, ce réviso de la pensée de Foucault qui a voulu crever la peau de Baudrillard alors que Foucault lui répondait à juste titre dans ces deux derniers articles.... Je le soupçonne d’ailleurs d’avoir présidé à cette cochonnerie de livre sous couvert de délation sur Baudrillard, qui manipule des extraits hors contextes mais qui dans ce parcours voulant l’accuser globalement d’homophobie se découvre un des textes les plus crasseusement altérophobes néo-fascistes que j’ai jamais lus, un bouquin communautariste hétérophobe grave... chez un éditeur via les éditions Léo Scheer justement qui ont payé l’impression et distribué le livre à l’époque : Bonjour monsieur Baudrillard.. Quelle saleté !

    Parce qu’il avait commencé par exercer un pouvoir impérialiste au sein du mouvement homo Act Up à cause du poids de Foucault mort de cette maladie, et du prestige transmis à son ami !! Et il s’est pris un délire de vouloir venger Foucault mort du bouquin Oublier Foucault alors que dans sa dernière ITW Foucault disait OK, c’est vrai !!

    En fait c’est un essai contre l’accadémisme sous la forme d’un pamphlet de l’académisme — ... Mais justement j’en connais des camarades homos sur des positions de classe qui bien que séropo qui ont quitté ce mouvement à ce moment là tellement ça sentait l’église et ses dogmes de ferveur grande bourgeoise académique...

    Ce type qui veut nous imposer son interprétation de Foucault, vraiment... Foucault n’a pas besoins de lui, il est plus grand que ce parvenu de la philosophie.

    Lui qui en plus se permet de nous donner des leçons !!! Ce type n’est pas respectable et encore moins au plan de ce que peut être une gauche vive aujourd’hui.

    C’est un faux libertaire, en fait un type confit de conformisme intellectuel sans capacité d’invention.

  • "heureusement il y a Bellaciao" ?!!
    Comme,jadis ,Findus (Amérique Latine dont le Chili de Pinochet) ?