Affaire Fouad Mourtada : Facebook dit merci au Maroc.

Le Maroc est le premier pays au monde à reconnaître au site social Facebook, en manque de légitimité croissante, un caractère juridique officiel. La création d’un profil sur le site, qui n’était jusque-là pas pris très au sérieux par ses propres utilisateurs, devient pour le coup synonyme de mise en ligne d’une pièce d’identité opposable. La création d’un faux profil…c’elle d’une usurpation d’identité. Du pain béni pour Facebook, qui n’en demandait pas tant, au moment où l’on parle de son rachat par des multinationales bien établies.

Il y a quelques jours, un ami, Paul Lemercier, pour ne pas le citer, m’a envoyé une invitation sur Facebook pour trinquer à sa santé. Il s’agit d’une des centaines de petites applications virtuelles, aussi drôles qu’absurdes, qui foisonnent dans Facebook et qui n’ont à vrai dire pas d’autre intérêt que de rappeler de temps à autre sa propre existence aux membres de sa liste de contact. Paul Lemercier, c’est vrai, je n’avais plus eu de ses nouvelles depuis le lycée. Je me suis alors demandé si cela pouvait me valoir, dans un pays où l’alcool est interdit par exemple, d’être trainé devant les tribunaux pour « alcoolisme public », « atteinte à la morale » ou que sais-je encore.

Il faut dire que le cas Fouad Mourtada, l’ingénieur marocain condamné à trois ans de prison pour avoir créé un profil qui n’est pas le sien sur Facebook, n’est pas très loin. Le Maroc vient, en effet, de reconnaître sur son territoire au site Facebook un caractère juridique officiel. Désormais, toute information que les marocains posteront sur le site, pourra être retenue contre eux. Une date de naissance erronée (typique quand on veut s’offrir un petit lifting virtuel gratuit), un parcours scolaire trop flatteur, une photo retouchée sur Photoshop, un ami annoncé comme membre de sa famille éloignée qui a quelques déboires avec la justice…bref, vous risquez de vous voir infliger quelques années de prison pour : faux, usage de faux, falsification de données informatiques, usurpation d’identité, pratiques crapuleuses (ce sont les termes de l’agence officielle marocaine, la MAP)…

Pour Facebook, c’est une nouvelle exceptionnelle. L’entreprise, qui pédale un peu ces derniers temps, notamment au Royaume Uni, vient de trouver-là un complice inattendu : un Etat souverain, qui la sort du folklore dans lequel elle se situe, pour la parer d’un habit officiel dont elle n’avait même pas songé en rêve : devenir un registre des citoyens du monde, reconnu juridiquement par les Etats et opposable aux tiers. Imaginez un instant la manne financière que cela peut représenter.

Mais le cadeau du Maroc à Facebook ne s’arrête pas là. La condamnation à trois ans de prison ferme pour un faux profil est le message le plus efficace, sans que Facebook n’en assume la responsabilité, qui pouvait être envoyé à ces dizaines de milliers de parasites (aux yeux de l’entreprise, toujours en quête de légitimité) qui créent des faux profils sur le site : sachez désormais que nous avons des complicités policières dans le monde entier et qu’il vous en coûtera. La charte de Facebook qui invite les internautes à ne pas se prendre pour Paris Hilton est donc accompagnée, à l’initiative d’Etats à qui on n’a rien demandé et qui ne sont même pas rétribués pour cela, de mesures concrètes pouvant mener à la prison. Voilà ce qu’on appelle du pain béni des dieux.

Facebook, qui est en train en ce moment même de négocier son rachat auprès des grandes entreprises de l’Internet, tel que Google ou Microsoft, a donc, grâce au Maroc et à Fouad Mourtada, des arguments solides pour faire monter les enchères.

Qu’elle ait donc la décence de proposer un petit boulot à ce pauvre ingénieur marocain, brillant du reste à ce qu’on dit, à sa sortie de prison, histoire de montrer qu’elle n’a pas complètement usurpé le prétendu caractère social dont elle se targue.

Sebastien Reyes