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Agent Orange, Chronique 2
par André Bouny
Publie le mardi 29 janvier 2013 par André Bouny - Open-PublishingLe 8 juillet 2010, une délégation d’élus du Congrès US, conduite par le sénateur démocrate de l’Iowa, Thomas Harkin (ayant servi dans la Navy de 1962 à 1970), est reçue à Hanoi par le Premier ministre vietnamien, Nguyen Tan Dung. Ce dernier se félicite de la visite de travail de cette délégation qui s’est rendue dans les zones contaminées par l’Agent Orange au Centre du pays. Dung dit avoir particulièrement apprécié la contribution du sénateur Harkin au processus de normalisation des relations entre les deux pays, tout comme son appui afin que le gouvernement étasunien décide d’une assistance pour le règlement des conséquences laissées par l’« herbicide ». Le Premier ministre vietnamien rappelle que les suites de la guerre américaine sont lourdes (5 millions de morts, dont 4 millions de civils soit 80%, plusieurs millions d’invalides, et 3 millions de personnes encore intoxiquées à ce jour par la dioxine contenue dans l’Agent Orange, 300 000 disparus, et autres victimes des engins non explosés, etc.) « N’oubliant jamais le passé, les Vietnamiens sont également tournés vers l’avenir et souhaitent engager avec les États-Unis une coopération équilibrée », a-t-il exprimé. S’agissant de l’Agent Orange, Harkin déclara qu’il s’agit là pour lui comme pour son pays d’une « obligation morale ». Ensuite, la délégation étasunienne a été reçue par le Vice-président de l’Assemblée nationale vietnamienne, Nguyen Duc Kien. Il a réaffirmé la volonté du Viêt Nam de renforcer ses relations de coopération multiforme avec les États-Unis, y compris sur le plan international, et plus particulièrement dans les domaines économique, du commerce, de l’éducation et de l’investissement. Il a ajouté que les deux pays devraient également faire de même pour le règlement des effets de l’Agent Orange/Dioxine.
Puissent paroles devenir actes.
Le 9 juillet, l’Association Orange Fleurs d’espoir (fondée par la regrettée Phuong), relaie la lettre du Général Nguyen Van Ring, président de Vietnam Association for Victims of Agent Orange (VAVA), faisant suite à l’annonce de la recommandation du Groupe de Dialogue Vietnamo-Étasunien (préconisant 300 millions de dollars sur 10 ans pour lisser les conséquences de l’Agent Orange). Ring insiste (à juste titre) sur « l’importance de la coordination entre tous les acteurs qui luttent contre les conséquences du produit chimique, des gouvernements aux ONG. Et souligne la nécessité de répondre prioritairement aux personnes les plus en difficulté : celles âgées, celles ayant des traitements quotidiens lourds ou qui sont dans l’incapacité de travailler, subissant ainsi, en plus de leurs souffrances, une grande pauvreté. Ce plan d’action n’est que le premier pas. Maintenant c’est à tous les acteurs impliqués dans cette cause à faire connaître leurs programmes et leurs actions. La coordination de tous, dans le cadre d’un nouveau partenariat Viêt Nam-USA, ne sera pas une mince affaire mais offre un réel espoir pour de nombreux Vietnamiens qui attendent soutien et reconnaissance. »
Vite, tous sur le pont semble dire ce troublant message, aussi pathétique que la cause. Le Général nous fait survoler le pays au-dessus des ravages de l’Agent Orange : un « Radeau de la Méduse ». Mais il s’agit plutôt d’un « Bateau ivre » de joie, d’incompréhension face à l’argent tombant soudainement du ciel… alors que la somme est dérisoire, et surtout qu’elle n’existe pas. Incongruité des médias qui disséminent l’équivoque entre recommandation et décision au bénéfice d’une certaine image des États-Unis, mais aussi la faute à l’espoir à fleur de peau qui en fait une interprétation favorable. Enfin, le discernement fait son chemin, et les naufragés réalisent leur méprise. Jeu dilatoire du chat et de la souris, tandis que le grand « Exodus » continue à dériver.
Le 10, visite de la Secrétaire d’État, Hillary Clinton, au Viêt Nam dans le cadre d’une tournée en Asie du Sud-est. Avant d’assister au forum de l’ASEAN se tenant au Cambodge, ce « sera une bonne opportunité de faire avancer la position du gouvernement américain au regard du règlement des effets causés par l’Agent Orange », déclare David Devlin-Foltz, expert de haut rang de l’Institut de recherche Aspen, lors d’un point de presse tenu à Washington. Il a précisé qu’avant de partir pour le Viet Nam, Mme Hillary Clinton a été informée du Programme d’action (non, de la recommandation d’un programme d’action !) pour la période 2010-2019 qui a été élaborée par le groupe de dialogue États-Unis-Viet Nam sur l’Agent Orange afin de restituer la fertilité aux terrains contaminés, reconstituer l’écosystème détruit, et développer les services de soutien des victimes vietnamiennes de l’Agent Orange et de leur famille. Dans la réalité, la chef de la diplomatie étasunienne émit de vagues gages à propos de l’Agent Orange, et critiqua le non respect des droits de l’homme au Viêt Nam « des arrestations et condamnations de personnes exprimant pacifiquement leur désaccord, des attaques contre les groupes religieux et des atteintes à la liberté d’Internet », comme si l’Agent Orange respectait ceux-ci. Une façon de taper en touche.
Le 15, à l’initiative d’Eni F. H. Faleomavaega (une personne remarquable, vétéran du Viêt Nam 1967/1968, alors capitaine de l’US Army), élu du Congrès (Chambre des représentants, Samoa), président du Sous-comité de l’Asie-Pacifique et de l’Environnement global et du Comité sur les Affaires étrangères à la Chambre des représentants, ouvre une troisième audience sur l’Agent Orange au Viêt Nam afin d’examiner les méthodes susceptibles de répondre à ses conséquences désastreuses. Précédemment, Faleomavaega avait également convoqué et présidé une première audience du Congrès américain sur l’Agent Orange au Viet Nam en mai 2008, et une seconde en juin 2009. Lors de cette 3ème audience, participeront Matthew Palmer, sous-secrétaire-adjoint par intérim chargé des affaires de l’Asie de l’Est et du Pacifique au Département d’État américain, le docteur John Wilson, directeur du Bureau de l’appui technique chargé de l’Asie et du Moyen-Orient relevant de l’Agence américaine pour le développement international, l’obstétricienne Nguyen Thi Ngoc Phuong (une des meilleures expertes des effets de l’Agent Orange sur la santé, ancienne directrice de l’Hôpital-maternité de Tu Du de HCM-Ville, dans l’enceinte duquel se trouve le « Village de la paix » accueillant des victimes de l’AO), membre du groupe de dialogue États-Unis-Vietnam sur l’agent orange/dioxine, et Tran Thi Hoan, victime vietnamienne de la deuxième génération (née dans le district de Duc Linh, province de Binh Tuan, Centre, étudiante à l’Université des langues étrangères et d’informatique de Hô Chi Minh-Ville). La venue de ces deux dernières participantes était parrainée par Vietnam Agent Orange Relief & Responsibility Campaign, basée à New York. Elles rencontreront d’autres membres de la Chambre des représentants et du Sénat afin de sensibiliser l’administration étasunienne au sort des victimes vietnamiennes.
Il ressort de cette audience une prise de conscience de la part de certains membres du Congrès qui pourront ainsi demander et/ou soutenir le financement d’éventuels plans et programmes aux bénéfices des victimes vietnamiennes.
Un travail de fond certainement plus efficace que la visite officielle de la Secrétaire d’État aux déclarations imprécises sur le sujet.
Le 29 Juillet 2010, le magazine Bioaddict publie un article sous le titre « Les bébés étasuniens ingèreraient 77 fois la dose limite de dioxine. » United States Environmental Protection Agency (EPA) se concentre sur une forme particulière appelée tétrachlorodibenzo-para-dioxine (TCDD), la plus toxique et la mieux étudiée de cette famille de produits chimiques (qui est la variété de dioxine contenue dans l’Agent Orange). L’analyse de Environmental Working Group (EWG) qui analyse l’eau, l’air, les aliments, note que la TCDD « a été associée à une panoplie d’effets néfastes sur la santé » incluant les maladies cardiaques, le diabète, le cancer, l’endométriose, la ménopause précoce, la réduction des taux de testostérone et de la thyroïde, des troubles du système immunitaire et des anomalies de la peau, des dents et des ongles (cette liste est très incomplète) « Il y a un grand corps de recherche datant des années 1950 montrant que la dioxine affecte le développement du fœtus, endommage les systèmes reproductifs (effets tératogènes : enfants-monstres), immunitaires, et augmente le risque de cancer », déclare une scientifique d’EWG, Olga Naidenko. Un rapport de recherches menées par des laboratoires indépendants et l’Agence fédérale de Protection de l’Environnement (EPA) montre que la dioxine, un polluant dangereux que l’on trouve notamment dans les sols et les sédiments, entre dans le corps des nourrissons à des niveaux beaucoup plus élevés que ce que l’EPA estime comme acceptable, selon l’association de défense de l’environnement américaine EWG. (Il faut savoir qu’il n’y a pas de dose acceptable, mais que ce sont des seuils empiriques, par défaut) Selon l’Union Européenne, les dioxines sont “essentiellement des « sous-produits non Intentionnels » de réactions chimiques et procédures de combustion. Les dioxines sont plus toxiques que les PCB, mais les quantités de PCB libérées dans l’environnement sont plus importantes. La consommation d’aliments est la principale voie d’exposition de l’homme à ces substances. Le cancer n’est pas le seul effet des dioxines et il n’est donc pas nécessairement l’effet principal à considérer : les dioxines peuvent aussi entraîner des troubles cognitifs, l’immunosuppression…
La dioxine est donc un cancérigène connu et un perturbateur du système endocrinien, produit principalement lors des procédés de combustion comme l’incinération des déchets, la combustion des déchets ménagers, la métallurgie et des procédés industriels y compris la fusion, le blanchiment du papier sans chlore et la fabrication des pesticides. Ce polluant, qui possède une action toxique rémanente et un grand pouvoir de bioaccumulation dans la chaîne alimentaire, se trouve partout dans l’environnement et chez les individus. « Une fois que les dioxines ont pénétré dans l’organisme, elles s’y maintiennent longtemps à cause de leur stabilité chimique et de leur capacité à être absorbée par les tissus adipeux, dans lesquels elles sont stockées. On estime que leur demi-vie, le temps nécessaire pour perdre la moitié de son activité dans l’organisme, va de sept à onze ans (il faut 20 ans pour perdre 80% de la bioaccumulation dans l’organisme – à condition de cesser d’y être exposé-, tandis que dans la nature, selon l’exposition des zones contaminées, on avance possiblement 100 ans et plus…) Dans l’environnement, elles tendent à s’accumuler dans la chaîne alimentaire. Plus on monte dans cette chaîne, plus les concentrations en dioxines augmentent », note l’OMS qui a évalué la dose journalière admissible (DJA) entre 10 à 12 pg/kilo de poids/jour (selon une étude de l’Université Columbia de New York,80 g ont le pouvoir théorique de tuer 8 000 000 de personnes). Selon l’association de défense de l’environnement américaine EWG, l’exposition débuterait dans l’utérus lorsque les dioxines traversent le placenta et lorsque les nouveau-nés commencent à les ingérer des les premiers jours de leur vie dans le lait maternel (c’est ce qui se passe au Viêt Nam). Les recherches de l’EWG ont révélé que la quantité de dioxines qu’un nourrisson ingère quotidiennement est jusqu’à 77 fois plus élevé que le niveau que l’EPA a proposé pour protéger les systèmes endocriniens et immunitaires.
« Le fait que le lait maternel soit contaminé par la dioxine souligne le besoin urgent pour l’EPA de finir son évaluation. Pour le risque de cancer, la situation est également alarmante : le public en général est exposé aux dioxines 1 200 fois plus que les taux considérés sûrs par les organisations de réglementation », informe EWG dans le contexte de la révision par l’EPA de la valeur maximale quotidienne d’absorption humaine.
L’agence devait rendre son rapport le 20 septembre suivant.
« Chaque jour qui passe sans prendre de mesures sur la dioxine est un jour de plus où des millions d’Américains, y compris les bébés nourris au sein, ingèrent ce contaminant à un niveau que l’EPA juge dangereux », informe une scientifique d’EWG, Olga Naidenko.
Le ton alarmiste de l’article est à l’urgence. Que dire alors de ce qui se passe au Viêt Nam depuis un demi-siècle, sans répit, et dans des proportions tellement incomparables ?