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Agression verbale d’une enseignante enceinte

Publie le lundi 17 mai 2010 par Open-Publishing
5 commentaires

de Alexandra Bonvalot

Rue89 publie le témoignage qu’une enseignante de collège, agressée à deux reprises, adresse à ses collègues d’Aubervilliers.

Professeur de français au collège Jean Moulin d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), Alexandra Bonvalot est enceinte de cinq mois. La semaine dernière, elle a été agressée par le frère d’un élève qu’elle avait sanctionné. En arrêt de travail pour un mois, elle a écrit à ses collègues de l’établissement où elle travaille depuis cinq ans pour leur raconter ce qui lui était arrivé. Elle a accepté que Rue89 publie cet e-mail pour témoigner.

« Chers collègues,

Tout d’abord, je vous remercie profondément pour tous les messages de soutien que j’ai pu recevoir depuis ce fameux vendredi 7 mai. Je tiens également à vous exprimer d’une certaine manière ma présence durant cette période, puisque j’ai été directement atteinte, tout comme Mme R., la chef d’établissement.

Cet événement touche tout le personnel de l’établissement et peut-être plus encore les élèves de troisième, dont les visages effrayés lors de l’agression me resteront longtemps gravés dans la mémoire.

Vous connaissez très certainement les éléments essentiels de cet épisode. Je me permets toutefois de vous faire revivre par la lecture cette page sombre, afin de répondre peut-être à certaines interrogations. Je vous dirai ensuite quelles seront mes démarches.

Sandwich de routine

Remontons au 1er avril 2010 : j’allais simplement et “routinement” acheter mon sandwich à la boulangerie “orange”, face au collège. Une fois à l’intérieur du commerce, une élève entre furieusement se réfugier entre la boulangère et moi-même car elle se faisait “taquiner” par un être réputé pour sa douceur : X, élève exclu du collège depuis 2005.

D’après les dires de certains, X passe son temps à semer sa petite terreur, faute d’avoir autre chose à faire de sa vie.

Ma première “erreur” fut celle-ci : oser dire à ces deux excités, qui se battaient dans la boulangerie, d’aller régler leurs comptes dans la rue. Jamais je n’aurais imaginé la suite. X se retourne, lâche les cheveux de la fille, et me regarde d’un air outré :

“Quoi ? T’es qui toi pour me parler comme ça…. ! ”

S’en sont suivis des aboiements que ma mémoire n’a pas pu reformuler. J’ai pu, son visage touchant presque le mien, sentir son haleine et surtout une violence inouïe, gratuite, bien présente, qui m’imposait de ne pas bouger et de ne rien dire. N’étant plus seule depuis bientôt cinq mois maintenant, je pensais surtout à ce petit être vulnérable que je porte et que je dois protéger, autant que faire se peut.

La boulangère, enfin, est intervenue et a réussi à nous séparer. Elle m’expliquera plus tard qu’ayant vu X grandir, ce dernier ne lui aurait jamais fait aucun mal. Bon, bon, bon … Elle, au moins, aura trouvé une barrière de protection, bien fragile selon moi.

Son visage se rapproche dangereusement du mien

L’histoire ne s’arrête pas là. Je sors vite de la boulangerie, traverse la rue quand j’aperçois l’individu me courir après et m’arrêter dans ma course vers le collège. Son visage se rapproche encore dangereusement du mien, sa violence verbale qui, on le sait, n’attend qu’une toute petite réaction de la victime pour devenir physique, m’envahit. Je ne bouge pas. Je ne dis rien. Je fais la morte et entends :

“T’avais pas le droit de m’parler comme ça, la vie de ma mère, ça s’fait pas. Toi, tu vas voir, la vie de ma mère, je te reconnaîtrai, ça va pas s’passer comme ça…”

Là-dessus, un ange passe : plus grand, plus vieux, plus fort que X. Cet inconnu, je le remercie profondément. Il nous a séparés une seconde fois, sermonnant l’adolescent en furie et me raccompagnant jusqu’au collège. Telle une automate, je marche, et craque avant d’arriver à la loge.

Je préviens Madame R., qui aussitôt appelle l’inspection. Puis fait venir (mais cela n’est pas si simple apparemment) une sorte de patrouille payée par l’Education nationale.

Le soir, une collègue me raccompagne au métro. Il faut dire que j’étais assez impressionnée par ces gardes du corps et n’ai pas osé bénéficier de leur aide musclée. Ils s’en sont donc allés chercher des informations sur l’agresseur.

Je n’ai pas porté plainte pour cette affaire. Ce que mon médecin, quelques jours après, m’a vivement reproché.

Retour au collège

Nous arrivons au jeudi 6 mai. Rendez-vous avec la mère d’un élève de troisième en présence du fils et de collègues. Le but : s’expliquer sur une affaire de portable continuellement tapoté en classe, d’inscriptions sur la table et de refus de travail. Et faire comprendre à l’élève sa sanction -un jour d’exclusion.

Plus d’une heure d’entretien afin d’effacer un malentendu élève-prof et repartir sur de saines bases. Il a semblé que tout était “accepté et compris” et que le ciel était un peu plus clair… J’en étais même arrivée à offrir un livre à l’élève qu’il devait lire pour la semaine suivante. La maman, bien entendu, ignorait qu’elle devait l’acheter depuis un mois. Bref, une réconciliation seulement apparente, je crois.

Vendredi 7 mai, 11h40 environ, salle A206 : les élèves de cette classe de troisième préparent un sujet de révision du brevet. La classe est plutôt calme ce jour-là. Ma porte, comme d’habitude, est ouverte.

Soudain, X apparaît dans la salle, casquette sur la tête, appareil mobile rose dans une main. De son pas décidé, il approche sans aucune retenue de mon bureau. Les élèves de la classe se sont transformés en poupées de cire. Immobiles et plus silencieux que jamais : ils le connaissent dans la cité.

Je n’en croyais pas mes yeux. Je le vois en me fixant droit dans les yeux :

“Qu’est-ce que vous avez fait à mon cousin ? Hein ? Qu’est-ce qu’il va devenir maintenant que vous l’avez exclu ? Ça s’fait pas d’exclure quelqu’un pour un portable. Je rêve ! ”

Il se rapproche toujours plus près. Je ne bouge pas. Terrorisée mais essayant de ne rien laisser transparaître sur le visage, j’ose lui dire que cela ne le regarde pas. Que son cousin avait accepté sa sanction, et que je croyais le reconnaître.

Là-dessus, il s’excite et grogne des phrases que je n’ai pas retenues, la peur m’envahissant. Car je sentais toujours chez lui cette même violence qui n’attendait que ça : sortir. Et comme les mots ne sont pas assez forts dans sa bouche.

Il crachait son indignation

Je vous laisse imaginer à qui je pensais pendant que cet individu se trouvait à moins de 50 centimètres de moi. Je me suis re-transformée en statue. Unique protection qui me restait désormais. Pendant que l’autre justicier s’excitait à me cracher son indignation, j’ai essayé de faire comprendre à une élève d’aller chercher un surveillant.

Cette dernière -comme je la comprends- n’a pas osé bouger le petit doigt, évidemment. Protection des élèves aussi. Un “heureux hasard” a fait que le mobile rose a sonné. X a répondu, compris qu’il fallait vite décaniller car la police avait été alertée.

Alors qu’il fait rapidement volte face, le plus gratuitement du monde, il se met à frapper dans le dos l’élève le plus proche de la sortie. Parce qu’il n’avait pas pu consommer sa dose de violence. Par la suite, cet élève ne voudra pas se plaindre et encore moins révéler l’identité de l’illustrissime X.

Les élèves silencieux comme jamais

Un silence exceptionnel hante la salle après le départ de l’autre. Je ne peux pas parler. Je regarde l’élève frappé sans pouvoir même lui demander s’il va bien. Je vois ses yeux ronds et étonnés -c’est tout. Une feuille, un stylo, je regarde l’heure : 11h40. J’écris maladroitement les faits sur une feuille de brouillon, les élèves restent silencieux comme jamais. Je ne peux pas leur parler. Eux non plus. La violence de la scène, coupée plus tôt que prévu, nous rend tous muets.

J’entends que quelqu’un marche dans les couloirs. Je lui balbutie quelque chose mais il comprend qu’il faut alerter quelqu’un aussitôt. Je pleure, je pleure et aperçois vaguement mes élèves silencieux qui me regardent, bouche bée.

Arrive une collègue qui garde ma classe. Je cours dans le bureau de Madame R., qui revenait tout juste de se faire très gravement menacer par le grand frère de l’élève exclu. Il était visiblement venu rendre sa justice pour son frère, défonçant le portail avec une violence tout aussi inouïe. Totalement drogué, d’après les témoins.

C’est ce frère justicier qui avait appelé X, son complice, afin qu’ils ne soient pas chopés par la police. Ils sont repartis aussi librement qu’ils étaient entrés.

X connaissait mes horaires

J’ignore aujourd’hui ce qu’il en est des recherches. X avait très peu de temps pour agir. Il devait donc connaître mes horaires, le numéro de ma classe et même mon apparence puisqu’il n’a pas pris la peine de me demander mon nom en entrant.

C’est très rassurant d’être connue par des ravagés du ciboulot qui peuvent agir autant à l’extérieur qu’à l’intérieur d’une enceinte qui n’a, à mes yeux désormais, plus grand-chose de protecteur. Les élèves, j’en suis convaincue, ont également dû sentir la fragilité, voire, la disparition de cette protection sans laquelle aucun équilibre, aucune structure n’est possible.

Je terminerai sur la polysémie du mot “enceinte”. Puisque je le suis, et que je protège corps et âme un être précieux, je me sens en totale incompatibilité avec le lieu dans lequel j’essaie d’être utile, un lieu dont les brèches et les risques m’effraient.

Enfin, bien que ce mail soit quelque peu trop prolixe, je tenais à ce que les collègues n’ayant pas eu cours vendredi ne tombent pas des nues lors de l’AG qui aura lieu demain, et qu’ils sachent.

Nous restons en contact, chers collègues. »

http://www.rue89.com/2010/05/12/enceinte-de-cinq-mois-jai-ete-agressee-par-un-ancien-eleve-151120

Messages

  • Á la suite de l’agression d’une professeur enceinte, l’équipe enseignante du collège Jean-Moulin d’Aubervilliers a fait valoir son droit de retrait...
    Et réclame depuis des mesures pour enrayer la violence.

  • plus c’est médiatiser plus ca prends de l’ampleur , il serait plus judicieux de rendre le pouvoir d’éducation aux parents , depuis le temps ou les profs font de l’éducation et plus de l’instruction , ces jeunes ne sont pas plus fous ou malade que ceux de ma génération , mais ils n’ont plus de repère, après faites ce que vous voulez , la grève demander plus de moyen , ca ne changera rien .une reforme de fond serait plus judicieuse .que la une réformette qui demande un peu plus de moyen , même si les moyens sont aussi une cause (manque de prof 30 a 40 élèves par prof )je comprends que cela soit compliqué. j’ai une solution qui est assez simple et cela a produit ses fruits , nous avions une association de quartier qui donnait du soutiens scolaire les profs participaient avec nous , cela a permis de calmer le jeu et ces même jeunes ont termines leur lycée tous le bac en poche avec mention .je me demande pourquoi personne ne veut m’entendre ,politique comme associatifs voir même certain profs .

  • Un établissement scolaire après l’entrée des élèves se doit d’être fermé, en tout cas ça fonctionnait comme ça du temps où j’étais en collège et lycée.

    Comment se fait-il que des individus n’ayant pas droit de citer dans les établissements scolaires puissent s’introduire comme par enchantement dans les salles de classe ??

    Qui dirige ces établissements ?? Les élèves exclus pour divers motifs ou les responsables en titre.

    J’avoue que ça me dépasse mais en tout cas je tire ma révérence devant ces enseignants qui assument tant bien que mal leur travail et aussi envers les élèves qui veulent bosser et y arriver, car rien n’est facile non plus pour eux.

  • Il existe hélas beaucoup de cas comme celui de ce professeur. On n’en parle jamais ou si peu dans les médias, ceux qui sont les plus graves, ceux où l’enseignant a été blessé...

    Ce qui se passe est inadmissible, mais ce qui est inadmissible aussi, c’est le manque de réaction des parents, des inspecteurs, des supérieurs hiérarchiques. On laisse les profs seuls. Pour la "paix sociale" - ...on conseille à l’enseignant de ne pas porter plainte ...

    Quand ces faits arrivent, on refuse aux profs "leur droit de retrait" et on refuse de les payer. ils doivent mourir pour qu’on les écoute ?

    C’est pourtant la réalité de chaque jour. Quand j’étais prof, j’invitais à tour de rôle les parents pour une journée dans la classe ( ZEP).

    Combien de fois ai-je entendu " mais comment vous faites ?.... moi je ne pourrais pas...10 minutes et je deviendrais fou...etc.." Et pourtant je n’étais pas "trop" chahuté par les élèves et j’avais le bonheur que "ça" fonctionne sans trop de difficultés...

    A la retraite maintenant, je me dis que l’explosion arrive : ces jeunes profs... aujourd’hui sur les bancs de la fac, demain dans ces classes sans avoir aucune formation... comment vont-ils faire ? Comment vont faire ces intérimaires que l’on va embaucher pour remplir le rôle du prof ?

    En attendant je souhaite bon courage à la collègue. Bien sûr qu’elle doit protéger son bébé ! et se protéger elle-même.