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Ah ! Ce Pouvoir économique qui n’aime pas la perte du Pouvoir Politique

Publie le dimanche 10 octobre 2010 par Open-Publishing

Equateur : chronique d’un coup d’état annoncé

par Marc Vandepitte

source : cubanismo

Une tentative de coup d’état a eu lieu ce 30 septembre en Equateur. Elle fut déjouée grâce à la mobilisation rapide de la population, au soutien inconditionnel de l’Amérique Latine et l’action courageuse du président Correa. Cette tentative de coup d’état ne tombe pas du ciel.
Tous les ingrédients d’un coup d’état

Tout d’abord, les faits. Le président Correa avait annoncé des restrictions budgétaires au sein de la police. Il n’y a eu aucune protestation dans la perspective du vote de cette loi. Mais une fois que celle-ci fut votée, quelques dizaines de policiers descendirent soudainement dans la rue pour protester. Il apparut très vite que la situation était bien plus sérieuse. Une unité de l’armée de l’air occupait l’aéroport. Des policiers rebelles prirent le contrôle des casernes de police dans plusieurs villes. Ils essayèrent d’empêcher l’accès à la capitale avec des barrages routiers. Des dizaines d‘insurgés se sont rendus dans les bâtiments de la télévision publique. Les studios les plus importants ont été pris et les émissions interrompues. L’attaque a été menée par l’avocat de Lucio Gutiérrez. Gutiérrez est un colonel à la retraite qui a gouverné le pays de 2003 à 2005. Il est l’un des principaux adversaires politiques de Correa. Un début de chaos et d’anarchie a commencé à régner dans le pays. Dans la capitale ainsi que dans d’autres villes, les entreprises et les écoles restèrent fermées. Ici et là, on a assisté a des pillages et des banques ont été dévalisées.

Le président Correa est parti à la rencontre des agents de police protestataires afin de les convaincre de mettre fin à leur rébellion. L’ambiance était très électrique. Le président fut touché par une grenade de gaz lacrymogène et fut conduit dans un hôpital. Du coup, l’hôpital a été encerclé pendant douze heures par des policiers insurgés, parmi lesquels des tireurs d’élite, qui voulaient sa peau. Il y a eu des fusillades à plusieurs reprises. Finalement, Correa fut secouru par une unité spéciale de 600 militaires. Le véhicule blindé dans lequel Correa a été transporté montre plusieurs impacts de balles. Correa a pu revenir indemne au palais. L’état d’urgence a été levé, après quoi le calme est revenu.

Tous les ingrédients d’un coup d’état classique étaient réunis. Il s’agissait ici d’une action orchestrée, qui fut déjouée grâce à différents éléments. Tout d’abord, la population est descendue rapidement dans la rue pour manifester contre cette tentative de coup d’état. Sur le plan diplomatique, l’UNASUR s’est réunie en urgence à Buenos Aires. Les dirigeants des gouvernements d’Amérique Latine ont assuré leur soutien inconditionnel au président Correa. Le Pérou et la Colombie ont fermé leurs frontières avec l’Equateur afin d’affirmer leur soutien à Correa. De nombreux pays européens ont également fermement condamné le coup d’état. Enfin, il y a eu l’action courageuse et combative du président, malgré le fait que sa vie était en danger.

Le rôle des USA

La blague suivante est très populaire en Amérique Latine : « Question : savez-vous pourquoi il n’y a encore jamais eu de coup d’état aux Etats-Unis ? Réponse : parce qu’aucune ambassade américaine ne s’y trouve ». Alberto Acosta, l’ex-président de l’assemblée constituante en Equateur avait déclaré après le coup d’état au Honduras en 2009 que « aucune armée en Amérique Latine ne commet de coup d’état sans l’accord de Washington ».(1) En 2008, le gouvernement d’Equateur publia un communiqué accusant la CIA d’infiltrations dans les services de police et dans l’armée. Cela concernait le paiement d’informateurs, l’équipement et la formation de personnes de contact et le financement de certaines opérations. Heather Hodges, l’ambassadrice des Etats-Unis, n’a pas vraiment démenti ces allégations. Elle a répondu dans les termes suivants : « Nous collaborons avec les gouvernement de l’Equateur, avec les militaires et avec la police, avec comme but principal la sécurité ».(2)

Heather Hodges est une femme de poigne de l’extrême droite. Elle connaît tout de la subversion.(3) Cela fait déjà plus de trente ans qu’elle exerce des fonctions diplomatiques à l’étranger. Ainsi, elle était au Guatemala dans les années quatre-vingt lorsque Rios Montt fit un coup d’état et installa plus tard une dictature extrêmement sanglante avec le soutien direct des USA. Au début des années quatre-vingt-dix, elle fut directrice adjointe du Bureau des Affaires Cubaines, à partir duquel de la subversion contre Cuba est organisée en étroite collaboration avec la CIA. De 2003 à 2008, elle fut ambassadrice en Moldavie. Là, elle a participé à la préparation d’une « révolution colorée » telle qu’il y en avait déjà eu en Serbie, Géorgie, Ukraine, Kirghizie et en Ouzbékistan. La révolution Twitter comme on l’a appelée en Moldavie a cependant échoué.(4) Elle fut envoyée en Equateur par Bush en 2008.

Washington ne mène pas uniquement ses stratégies d’infiltration à travers les services de sécurité. Les organisations sociales sont au moins aussi importantes. Chaque année, des dizaines de millions de dollars sont ainsi alloués au Ministère des Affaires Etrangères des Etats-Unis en soutien aux organisations sociales en Equateur. Cela se fait e.a. via USAID et le National Endowment for Democracy (NED). Un ancien directeur du NED aurait un jour lâché ouvertement : « Une grande partie de ce que nous faisons aujourd’hui était déjà fait en secret par la CIA il y a 25 ans ».(5) En Equateur, ces fonds vont e.a. à des organisations indigènes telles que CONDENPE, CONAIE, l’Associations des Entrepreneurs Indigènes, la Fondation Qellkaj et Pachakutik. Ce n’est pas un hasard si Pachakutik a lancé un appel pendant la tentative de coup d’état afin d’exiger le départ du président Correa. Cela ne veut bien sur pas dire que les organisations sociales qui émettent des critiques à l’encontre du gouvernement sont des agents des USA. Il y a sans aucun doute certaines plaintes fondées à l’encontre de la politique menée par Correa, mais il y a au sein de certaines de ces organisations des forces dont l’agenda ressemble méchamment à celui de Washington.(6)

Nous avons à faire à la deuxième tentative de coup d’état depuis qu’Obama est entré à la Maison Blanche. La première a eu lieu au Honduras au cours de l’été 2009, elle a abouti. Sous son prédécesseur, il y en avait déjà eu deux : une au Venezuela en 2002 et une en Bolivie en 2008. Comme par hasard à chaque fois des pays qui (à ce moment) sont membres de l’ALBA. Il est généralement admis que la Maison Blanche a négligé son arrière-cour traditionnelle après le 11 septembre. Mais ceci ne correspond pas à la réalité. Nous constatons depuis lors une augmentation du nombre de militaires Latino-Américains qui ont reçu des formations des Etats-Unis et des visites de militaires Nord-Américains haut-gradés en Amérique Latine. Après le 11 septembre, le grand bassin Caribéen, qui comprend les îles des Caraïbes, le Mexique, le Panama et l’Amérique Centrale, devint partie intégrante du territoire de défense national. Entre 2000 et 2006, la Colombie a reçu environ cinq milliard de dollars en aide militaire et arriva ainsi à la cinquième place après l’Irak, l’Afghanistan, Israël et l’Egypte. Le nombre de bases militaires a également été étendu et depuis 2008 la Quatrième Flotte est à nouveau opérationnelle après soixante ans. Tout porte à croire que la Maison Blanche veut compenser l’influence économique et politique qu’elle a perdue par la puissance militaire.(7)

Les péchés de Correa

Le fait que Rafael Correa soit visé n’a rien d’étonnant. L ‘Equateur est l’un des pays les plus pauvres d’Amérique Latine. Les richesses y sont particulièrement mal réparties. Les 20 % les plus riches possèdent 60 % des richesses nationales, pendant que les 25 % les plus pauvres doivent se débrouiller avec à peine 4 %. Les programmes néolibéraux du FMI des années ‘80 et ‘90 ont engendré un bain de g social. A l’heure actuelle, un peu plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Le chômage y a atteint 46% de la population active.

Dans le but de prendre cette situation en main, Correa s’est présenté comme candidat aux élections présidentielles en 2006. Il les a remportées. Son programme mentionne qu’il veut redistribuer la richesse du pays et réaliser des investissements importants dans les secteurs sociaux. Une nouvelle loi prévoit qu’à l’avenir toute l’exploitation du pétrole, la branche principale de l’économie, sera aux mains de l’Etat. Auparavant, cela ne représentait que 20%. La priorité est à présent donnée aux soins de santé et à l’enseignement. Correa a doublé le pourcentage du PNB alloué à ces secteurs. Un projet à grande échelle a été mis en place de façon conjointe avec des médecins Cubains afin de soigner toutes les personnes atteintes d’un handicap, et ce sur tout le territoire y compris dans les régions les plus reculées. De nombreux emplois ont également été créés, ce qui a fait rechuter le taux de chômage à 8% de la population active. La pauvreté reste encore très élevée, mais a déjà diminué de 5%.(8)

Cette politique n’est pas appréciée par la classe supérieure de la population. Ceux-ci n’aiment pas voir partir en fumée les privilèges qu’ils ont accumulés au fil des siècles. Il n’est pas non plus adoré à la Maison Blanche. Correa s’est mis en tête de fermer une base militaire des USA sur son territoire. Il remet aussi en question le remboursement de la dette extérieure qui a été accumulée par le passé. Il a demandé que celle-ci soit auditée.(9) Il compte également parmi ses amis de ‘mauvais’ présidents, tels que Hugo Chávez, Evo Morales, Raúl Castro ou Manuel Zelaya du Honduras. Lorsque ce dernier a été démis de ses fonctions par un coup d’état, Correa a joué un rôle de premier plan afin d’essayer d’annuler sa destitution. Enfin, cerise sur le gâteau, Correa a fait adhérer son pays à l’ALBA, l’Alternative Bolivarienne pour les Amériques. Autant de raisons donc pour en finir une bonne fois pour toute avec Correa.

* * *

La tentative de coup d’état a échoué, heureusement. Vraisemblablement, le président Correa ressortira même renforcé de cette crise. Mais il ne faut pas se faire trop d’illusions. Les forces dirigeantes des Etats-Unis et les couches privilégiées en Amérique Latine n’en resteront pas là. Ils vont continuer à essayer, par tous les moyens et de différentes façons, de perturber les gouvernements qui ne marchent pas au (à leur) pas.