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Algérie 1er novembre : contribution au débat du journal Partisan
Publie le mercredi 3 novembre 2004 par Open-PublishingCet article est à paraître dans le prochain numéro du journal Partisan de
novembre. La première partie est parue dans le Partisan d’octobre. On peut
obtenir ce numéro comme le suivant à notre BP n°48 93802
Epinays-sur-Seine, France
Algérie (2) L’insurrection du 1er novembre, le FLN et la lutte du Peuple
L’insurrection, et la guerre du peuple algérien
Les actions déclenchées le premier novembre 1954 étaient d’une faible
ampleur militaire. Mais revendiquées au nom du FLN (Front de Libération
nationale), elles agirent comme un détonateur. L’oppression et
l’exploitation coloniale avaient accumulé une immense révolte et un grand
besoin de changement. En Kabylie, dans les Aurès, le Constantinois, le FLN
s’organisa très vite. L’insurrection paysanne du 20 août 1955 dans le
Constantinois contribua à la généralisation du soulèvement.
Le FLN eut l’initiative militaire jusqu’en 1958. A cette époque, l’ALN
(armée de Libération nationale) était forte de 20.000 moudjahidin et 20.000
auxiliaires. En 1956, la mobilisation du contingent par le gouvernement du
socialiste Guy Mollet porta les effectifs de l’armée française à 500.000
hommes. La construction de deux barrières électrifiées aux frontières
tunisienne et marocaine coupa les maquis d’un approvisionnement en armes
régulier. Ils furent dès lors sur la défensive. En 1962, l’ALN à l’intérieur
ne comptait plus que 7000 combattants dont seulement les deux tiers étaient
bien équipés.
L’armée française ne connaîtra pas un nouveau Diem Bien Phu. L’indépendance
sera acquise par la combinaison de la lutte armée, de la solidarité
internationale, de la lutte diplomatique, et de l’utilisation des
contradictions de la bourgeoisie française pour qui la guerre devenait un
boulet.
La guerre fut très dure pour le peuple algérien qui soutenait l’ALN dans sa
grande majorité. Elle fit des centaines de milliers de morts (pas 1,5
million, sans doute 4 fois moins, ce qui était déjà énorme pour 9 millions
d’habitants). 3 millions d’Algériens furent déplacés de force et obligés de
quitter leurs villages et leurs champs. Pour couper les combattants de leurs
bases, la France créa des villages de regroupement où ils furent entassés
dans des conditions effroyables. Des zones entières furent vidées de leurs
habitants et interdites.
Le FLN et la lutte du peuple
La direction et les cadres du FLN étaient dans leur majorité issus de la
petite bourgeoisie rurale, plus rarement de celle des villes. Les paysans
formaient la masse des combattants « des junuds ». Rapidement la plupart de
partis à base algérienne se rallièrent au FLN. D’abord la fraction
centraliste du MTLD, dont les cadres étaient des petits bourgeois des
villes, l’UDMA, parti de Ferhat Abbas formé de notables qui avaient misé
sur la démocratisation du système colonial, le mouvement de Ouléma
(mouvement de réforme religieuse), enfin le PCA (Parti Communiste Algérien).
Mais le FLN n’était pas un front et les mouvements devaient se dissoudre
pour y adhérer.
Malgré ces différents apports, le pouvoir dans le FLN resta dans les mains
des initiateurs de l’insurrection et des militaires qui leur succédèrent.
Les communistes tenus en suspicion, tant du fait de leur chauvinisme
français antérieur, que du fait de l’anticommunisme du FLN, furent
marginalisés quant il ne furent pas liquidés après leur ralliement.
Le programme du FLN se limitait à l’indépendance, sans donner à celle-ci un
contenu politique et social bien défini. Les congrès qui définissaient sa
politique n’ont jamais été que l’œuvre de quelques personnes. Ils furent
sans impact notable et durable sur la ligne du FLN. Le premier programme,
celui du congrès de la Soummam, donnait un caractère laïc à l’État futur et
précisait la place qu’occuperaient les minorités dans l’Algérie
indépendante. Il était le fruit d’un compromis entre 16 dirigeants
politiques et miliaires. Il fut dénoncé par Ben Bella parce qu’il ne se
fondait pas assez sur l’Islam. En 1962, celui du congrès de Tripoli fut
rédigé par une commission. Il définissait l’état futur comme socialiste et
dénonçait la bureaucratisation du parti. Il fut voté à l’unanimité par ceux
qui étaient critiqués.
Dans les campagnes, le FLN mis en place un appareil administratif,
judiciaire et politique, qui visait à se substituer à l’état colonial. Voulu
au départ comme un système démocratique, il fut surtout imposé par le haut.
Le peuple le reconnut néanmoins comme son État.
La devise du FLN était « la révolution par le peuple et pour le peuple »,
mais seule la première affirmation fut vraie. La révolution fut portée par
le peuple, dirigée par une petite bourgeoisie qui voyait dans le
renversement de l’ordre colonial l’occasion de sa promotion sociale. Dans la
lutte le FLN ne chercha pas à favoriser l’éducation politique des exploités,
l’élévation de leur conscience et de leur organisation. Les ouvriers
organisés dans l’UGTA ne jouèrent qu’un rôle très limité. Le FLN récusait le
notion de lutte de classe. Les ressorts de la mobilisation populaire étaient
recherchés dans l’idéologie religieuse et dans les sentiments communautaires
spontanés.
Le FLN se méfiait du peuple. Lorsqu’en décembre 1960, à Alger et Oran, il
manifesta spontanément et massivement pour l’indépendance, le FLN s’attribua
la paternité des manifestations, tout en essayant de reprendre le contrôle
d’une dynamique qui lui avait échappé.
La lutte armée et la lutte politique
Le congrès de la Soummam établissait la primauté du politique sur le
militaire et de l’intérieur sur l’extérieur. Ce principe, combattu par les
chefs militaires, vola en éclat après la bataille d’Alger (1957) qui imposa
à la direction de quitter l’Algérie. Après l’assassinat de Abane
(organisateur du Congrès de la Soummam) par Boussof sur décision d’une
partie des colonels, le pouvoir passa intégralement dans les mains de
l’état major général (EMG). Les instances politiques, comme le CNRA (conseil
national de la révolution algérienne), puis le GPRA (gouvernement provisoire
de la république algérienne), n’avaient aucune autonomie politique. Leur
politique dépendait des rapports de force entre les clans militaires
installés à Tunis et Oujda (au Maroc).
Au sein des armées des frontières se constitua le futur appareil d’État
algérien tant sur le plan administratif, financier que militaire. Cette
bourgeoisie en formation, sûre de son avenir était déjà méprisante pour le
peuple. Au Maroc et en Tunisie, à de nombreuses occasions les soldats se
révoltèrent contre la dureté de leur condition misérable comparée à celle de
leurs officiers, et contre le mépris de ceux-ci.
A la fin des années 50, le colonel Boumediene s’imposa à la tête de l’EMG.
Il était plus soucieux des conditions de vie des soldats et plus austère, ce
qui renforça son influence politique. Il s’appuya sur Franz Fanon (médecin
antillais et écrivain) pour développer dans l’armée une idéologie
révolutionnaire tiers-mondiste et anti-marxiste. Cette idéologie allait être
celle de l’Algérie indépendante.
Les Colonels des armées des frontières se réclamaient de la légitimité du
1er novembre 1954. Mais en 1962, ils n’avaient plus que des liens très
faibles avec les maquis. Certains n’y avaient jamais combattu. C’était le
cas des officiers déserteurs de l’armée française, qui formèrent ensuite
l’essentiel du haut état major de l’armée algérienne des années 80 et 90
(comme le général Nezzar).
La libération et la lutte pour le pouvoir
Dès 1960, l’indépendance était acquise. Il ne s’agissait plus que d’une
question de temps et de conditions. Dès lors la question du pouvoir devint
l’enjeu principal. Certaines willaya de l’intérieur (la III : Kabylie, la IV
: algérois) étaient hostiles à l’EMG. Elles reprochaient entre autres choses
à celui-ci de priver d’armes les maquis, mais les motifs de conflits
politiques étaient nombreux, sans que les clivages recouvrent réellement des
lignes politiques claires.
En 1962, l’armée des frontières comptait plus de 45.000 hommes équipés d’une
artillerie lourde et de blindés. Ce matériel avait été acheté grâce à l’aide
des pays arabes et de la Chine. Il ne servit pas contre les Français. La
Tunisie et le Maroc s’opposaient à l’usage de ce matériel à partir de leur
territoire.
L’indépendance négociée à Evian fut proclamée en juillet 1962. Les Willaya
III et IV tentèrent de prendre le pouvoir dans leurs régions et à Alger. Au
cours de l’été 1962, les armées des frontières par trois voies différentes
convergèrent sur Alger. Des affrontements eurent lieu avec les combattants
de la IV. Il y eut un millier de morts.Mais le peuple, fatigué de sept ans
de guerre, s’interposa au cri de « sept ans ça suffit ».
L’armée des frontières pris le pouvoir. Ben Bella, libéré des prisons
françaises, fut placé à la tête de la république algérienne par l’armée.
Trois ans après, Boumediene lassé de son populisme, le renversa.
La guerre de libération nationale fut de bout en bout dirigée par la petite
bourgeoise. Elle put ainsi se substituer à la bourgeoisie coloniale. La
révolution avait été faite par le peuple, mais pour elle. Elle le put
d’autant plus facilement qu’aucune force politique révolutionnaire ne lui
avait disputé la direction de la lutte anti-coloniale. Le PCA disqualifié
par ses ambiguïtés à propos de l’indépendance n’avait pu jouer aucun rôle.
Ralliés tardifs, ses militants furent marginalisés et n’infléchirent pas la
politique du FLN.
Le PCA avait raté le rendez-vous avec le peuple algérien, et ses prolétaires
industriels et ruraux. Il ne sut pas rompre avec la société coloniale.
Pourtant s’il avait pu, un temps, organiser les exploités algériens dans la
lutte sociale, encore fallait-il qu’il les organise dans la lutte nationale
pour couper l’herbe sous les pieds aux couches nationalistes petites
bourgeoises, qui ambitionnaient un pouvoir sur toute la société.
GF
Le PCF et le soutien à la lutte du peuple algérien
La mémoire ouvrière et populaire attribue au PCF un soutien constant à la
lutte du peuple algérien. Cela est loin d’être le cas. Sa première réaction
au 1er novembre a été une dénonciation.
Le comité central du PCF affirmait le 8 novembre 1954 que « fidèle à
l’enseignement de Lénine, le Parti Communiste Français ne saurait approuver
le recours à des actes individuels susceptibles de faire le jeu des pires
colonialistes, même s’ils n’étaient pas fomentés par eux. ».
En 1956, le PCF a voté les pleins pouvoirs à Guy Mollet, pouvoirs que
celui-ci va utiliser pour accroître l’effort militaire en mobilisant le
contingent, en instaurant une justice d’exception en Algérie exercée par
l’Armée, et couvrant la torture. L’union des forces de gauche primait toute
autre solidarité. Il ne désavouera jamais ce soutien fait au nom d’une
politique du "moindre mal".
Ce n’est qu’après 1956, que le PCF a renoncé explicitement à concevoir
l’avenir de l’Algérie exclusivement dans l’union avec la France, sans
toutefois adopter comme mot d’ordre l’indépendance pour l’Algérie. Son mot
d’ordre était l’ "arrêt de la guerre", au mieux "autodétermination" (quand
De Gaule l’avait déjà acceptée) et jamais soutien à l’indépendance de
l’Algérie.
La montée de l’OAS dans les années 1961 / 62, va lui fournir l’occasion
d’effacer cette série de trahisons. Il retrouvait enfin le terrain de lutte
de l’anti-fascisme. Sa réaction avait été très modérée lorsque le 17 octobre
1961, la police avait réprimé une manifestation pacifique du FLN à Paris qui
protestait contre le couvre feu imposé aux Algériens. La répression fit des
centaines de victimes.
Début 1962, il prendra l’initiative d’une grande manifestation à Charonne
pour protester contre les attentats de l’OAS. Les CRS matraquèrent les
manifestants au métro Charonne, 9 personnes, toutes membres du PCF, périrent
dans la bousculade. Leur enterrement fut l’occasion d’une manifestation
monstre. Lors de cet enterrement ni la CGT, ni le PCF ne firent le lien avec
le massacre des algériens en octobre. Seule le CFTC le fit. Dans la mémoire
collective de la gauche, Charonne effaça octobre 61. Et le PCF sortit grandi
de cette guerre. Il était à nouveau du coté des victimes, alors que pendant
tant d’années il n’avait été au mieux que le spectateur de la lutte des
peuples contre le colonialisme.