Accueil > Anjouan : Rafles, humiliations, torture…
La “normalisation” passe par la case prison et rime avec répression. Le tout dans une totale indifférence.
Mohamed C. rentre de la prison de Koki, sur les hauteurs montagneuses de Patsi, près de l’aéroport d’Ouani. La mine défaite, il est soucieux de faire partager son témoignage au Collectif de réflexion pour la vraie unité des Comores dont il est un des observateurs. Qui est-il ? L’une des nombreuses personnes assurant le ravitaillement de cette prison et l’un des témoins phares de la répression actuelle.
Et ce qu’il rapporte est alarmant : l’île d’Anjouan est devenue un pays sans loi. Après avoir connu le régime fort du colonel Mohamed Bacar et de ses bavures, aujourd’hui tous ceux soupçonnés de sympathie pour l’ex-homme fort d’Anjouan sont à leur tour soumis à une horrible répression. « La différence de ces deux chasses aux sorcières, affirment les responsables du Collectif de réflexion pour la vraie unité des Comores, c’est que, hier, l’ayatollah Sambi bénéficiait de tout l’appareil médiatique, diplomatique, associatif et politique pour dénoncer la répression du pouvoir de Mohamed Bacar, alors qu’aujourd’hui, c’est dans le mutisme des politiques, des défenseurs des droits de l’homme et des médias, qu’on tue, maltraite, humilie et incarcère à Anjouan. »
Parqués comme du bétail
Car en dehors de quelques cas particuliers de suspects relâchés faute de preuves après une garde à vue de moins en moins appliquée, des centaines de civils sont inquiets et incarcérés pour délit d’opinion au mépris des lois, tout comme souvent leurs proches parents. A la prison centrale de Koki, ils sont plus de cinq cents, peut-être six cents pour 70 places, hébergés dans des vieux bâtiments insalubres, sans éclairage ni adduction d’eau courante.
Les détenus dorment à même le sol, parqués comme du bétail dans des cellules sombres et mal aérées qu’ils ne quittent que deux fois par jour, le matin pour faire leur toilette et en fin d’après-midi pour prendre leur seul repas de la journée. Certes, il n’est pas exclu que quelques privilèges soient accordés à certains détenus, mais ça l’est surtout dans l’intérêt des gardiens eux-mêmes qui en profitent pour se faire un peu d’argent, par exemple en transformant leur téléphone portable en cabine téléphonique. Selon d’autres témoignages, les prisonniers malades ne sont conduits à l’hôpital qu’en cas de grave maladie, à l’exemple de Caabi el Yachroutu.
Cette personnalité très respectée du régime Bacar, après avoir été vice-président, premier ministre, ministre et secrétaire de la Commission Océan Indien, a été hospitalisé pour avoir mal supporté des conditions de détention inhumaines. D’autres noms circulent : Toifani Moini, originaire de la Cuvette, époux de la sœur de Mohamed Bacar Fatima, actuellement dans le coma après avoir été tabassé sans révéler la cachette de son épouse. Parmi d’autres témoignages, citons le populaire Hachime Abdou Petit, originaire de Mutsamudu, Ministre de l’Intérieur lors de l’insurrection séparatiste de juillet 1997.
Battu jusqu’à perdre un œil
Directeur de la Sopotram, il a été incarcéré, humilié, promené à travers les rues de Mutsamudu, en slip, avec un fruit à pain dans la bouche. Zaki Taanlamou dit Larba, directeur du Service phyto-sanitaire, lui, a été violenté par plusieurs personnes avant son incarcération. Le docteur Anliane Bouteil, originaire de Mutsamudu, inspecteur de la Santé, incarcéré, a été humilié et menotté pendant trois jours. Même sort pour Saïd Omar Mirhane, originaire de la même ville, directeur de l’Electricité d’Anjouan. Tout comme Ibrahim Keche dit Aho, originaire de la capitale, professeur d’arabe et théologien, promené pieds nus à travers les rues. Sourette Abdallah, Président de la Cour constitutionnelle, déchu sous Sambi, diabétique, a été hospitalisé à Moroni dans un état grave.
Abdoul Maddjid, commerçant originaire de Mutsamudu, tabassé à coups de poing sur la mâchoire a perdu plusieurs dents. Aoulad Abdouttatuf, originaire de la même ville, notable, ancien instituteur, arrêté à deux reprises, a été promené en ville menotté aux fins d’humiliation. “Le Roi Fort”, toujours de Mutsamudu, commerçant, a vu son magasin pillé et lui-même a été malmené, hospitalisé puis évacué pour raisons sanitaires. Kabaya, directeur de l’aérodrome de Ouani, Inzou Massaba, géomètre, André Ibou, agent des Hydrocarbures, Maho, agent de la Socopotram, Laïdada, instituteur, Bacar Moudra… et bien d’autres sont en prison.
Il y a enfin Djanffar Combo Salim dit Mvoura. Ce sympathique musicien a été “promené” pieds nus aux fins d’humiliation avant d’être incarcéré. Mohamed Nidhoim, commerçant itinérant, a lui été battu jusqu’à perdre un œil. Salim Abdou dit Bagoulam, religieux populaire de Mirontsi, a été tabassé si violemment qu’il a dû subir une opération chirurgicale avant d’être incarcéré. Son fidèle “Elément”, ancien enfant soldat des “Embargos” originaire de la même ville, reconverti comme employé au Service des hydrocarbures, a été lynché lui aussi.
Face à ces graves atteintes aux droits de l’homme et à la dignité humaine, le Collectif de réflexion pour la vraie unité des Comores lance un appel à tous ceux qui ne veulent pas être complices de cette nouvelle tragédie anjouanaise.
Une nomination qui ranime de vieilles blessures
Le chef de l’Etat comorien, Ahmed Abdallah Sambi, vient de nommer Mohamed Daoud alias Madaba, jusqu’ici chef d’escadron en Grande-Comore, commandant régional de l’Armée nationale de développement (AND) à Anjouan. Cet officier d’origine anjouanaise s’est illustré lors des événements de 1997 en abattant de sang froid un ancien militaire de l’armée française, le Major Abdallah Mohamed dit “Bellela”, ce qui lui a valu d’être immédiatement “exfiltré” d’Anjouan à la Grande-Comore pour le soustraire à la vindicte populaire. Le crime de Bellela : avoir refusé de retirer un drapeau tricolore qui flottait sur un mat à Mutsamudu lors des manifestations pro-françaises du 14 juillet officialisant la rupture d’Anjouan avec le pouvoir central à Moroni.
Un rapport d’autopsie effectué le jour même par le docteur Robert K. Thiel avait alors conclu que la victime avait été touchée par trois balles dans la poitrine tirées à bout portant. Le nouveau commandant régional de l’AND n’a retrouvé son île natale qu’à la faveur de l’opération militaire de mars dernier contre le régime de Mohamed Bacar, le meurtrier étant déclaré personae non grata à Anjouan depuis son forfait. La tâche de Mataba est loin d’être une sinécure.
Outre les rancœurs qui ne manqueront pas de se manifester parmi la population anjouanaise, il doit veiller à instaurer la paix dans une île meurtrie par les rafles, les humiliations, les arrestations et les tortures.
B.A.