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Annette Wieviorka : "J’ai été choquée puis révoltée"

Publie le dimanche 17 février 2008 par Open-Publishing
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la sortie de Sarkozy au diner du CRIF ne finit pas de faire des vagues

ci dessous, une interview d’Annette Wieviorka, historienne

J’ajouterai que les enfants juifs (les enfants juifs étrangers ayant déjà subi le "traitement spécial") , après avoir été déchus de leur nationalité française par Vichy, ont été remis aux nazis par la police française (celà, on n’en parle guère) ; leur sort serait-il différent dans la france de Sarkozy ?

En quoi est-elle différente de celle de Vichy ? C’est une question d’échelle ?
Une réhabilitation insidieuse ?

Nous sommes dans un pays démocratique qui s’apprête à constitutionnaliser le racisme, sans guère de réaction

Je n’ai certainement pas tout compris.... et je me refuse à comprendre

Patrice Bardet

rem : un jeune homme vient de se pendre... dans le "pays des Droits de l’Homme" : parait-il...


Annette Wieviorka : "J’ai été choquée puis révoltée"

Propos recueilis par Alexandre Duyck
Le Journal du Dimanche

Chercheuse au CNRS, l’historienne Annette Wieviorka est l’auteur de nombreux ouvrages sur la Shoah dont Auschwitz expliquée à ma fille (Seuil). La chercheuse estime qu’il n’y a pas de risque d’oubli et que la proposition du chef de l’Etat est même dangereuse pour la démocratie. Ce n’est pas le rôle du président que de s’occuper du contenu de l’enseignement scolaire.

Un "cadeau" ? Ce terme est insultant

"En entendant la proposition du président de la République, j’ai d’abord été choquée, puis révoltée. Et l’âge évoqué (10 ans) rend cette idée encore plus choquante. Mais mon hostilité aurait été identique à n’importe quel âge. Que veut-on faire ? Jumeler un enfant vivant et un enfant mort ? Donner au vivant la charge d’un fantôme, l’introduire dans la mort ? Doubler sa vie de la mort d’un autre ? C’est insupportable. "On ne traumatise pas un enfant en lui faisant ce cadeau de la mémoire d’un pays", a dit vendredi Nicolas Sarkozy. Un cadeau ? Mais ce terme est insultant ! La mémoire de ces enfants assassinés n’est certainement pas un cadeau. C’est une tragédie, une charge. Les enfants de 10 ans, on peut leur faire d’autres "merveilleux cadeaux" que celui-là. Alors comme Simone Veil, je trouve cette proposition "inimaginable, insoutenable, dramatique et surtout injuste". Nos enfants, nos petits-enfants n’ont pas à porter des crimes qui ne sont pas ceux de leur génération. Il faut bien mal connaître les enfants pour faire une telle proposition, tout à fait indécente. A ce compte-là, si l’on veut aller plus loin encore dans l’obscénité, pourquoi pas servir la soupe d’Auschwitz à la cantine des écoles une fois par an ?

Lubie ou "coup" mémoriel

Pourquoi cette proposition ? Je ne sais pas. Il n’y a pas eu de demande de la communauté juive. Je pense plutôt à une lubie ou à un "coup" mémoriel, plutôt raté puisqu’il me semble qu’à l’exception de Serge Klarsfeld, qui vit depuis des années en compagnie de ces enfants morts dont il a retrouvé les noms, et pour beaucoup d’entre eux les visages, ce dont nous lui sommes à jamais reconnaissants, la proposition n’a pas rencontré grand succès. Le président de la République avait déjà exigé que les enseignants célèbrent la mémoire de Guy Môquet. Ces injonctions, hors de propos, dont on comprend mal la logique, me semblent néfastes. Elles imposent un usage politique étroit de l’Histoire. De façon curieuse, elles plongent les enfants et les adolescents dans le culte d’enfants et d’adolescents de leur âge morts. Je trouve étrange et malsain que ce Président, qui prétend représenter la jeunesse, ne donne aux jeunes comme modèles que des jeunes assassinés, qui n’ont pas demandé à mourir. Nicolas Sarkozy doit trouver ces thèmes de la déportation et de la Résistance porteurs, moins glissants que d’autres périodes de l’Histoire qui seraient plus conflictuelles. Mais la façon dont il intervient dans le débat aboutit à faire de ces sujets, sur lesquels il y avait accord, des sujets de discorde. Parce qu’il s’agit de sa part d’injonctions qui ne sont ni pensées ni conçues dans la concertation. Encore une fois, ce sont des coups. Il n’y a ni réflexion ni profondeur.

Il n’y a pas de risque d’oubli

J’ai écrit Auschwitz expliqué à ma fille en pensant à des enfants de 14-15 ans, l’âge de ma fille à cette époque. Elle était en 3e. Je ne pense pas qu’il y ait un âge idéal pour évoquer la Shoah avec les jeunes. Ce que je sais, c’est qu’il faut attendre. Aborder le génocide des juifs à l’école primaire est selon moi une mauvaise chose. La spécificité de la Shoah n’est guère compréhensible aux écoliers. Comment comprendre que des hommes sont venus chercher des enfants de leur âge, parfois dans leur propre école, pour aller les tuer à des milliers de kilomètres de là ? C’est aujourd’hui encore incompréhensible à nos esprits d’adultes, ça l’est forcément pour des enfants. Il y a la littérature, les visites des survivants dans les classes, des films autant qu’on en veut, autant de moyens d’entrer dans cette Histoire sans ajouter cette surcharge émotionnelle insupportable. L’enseignement de la Shoah en France est très satisfaisant, énormément de choses ont été mises en place. Il est faux de dire, comme Nicolas Sarkozy : "Si vous ne leur parlez pas de ce drame-là, ne vous étonnez pas que cela se reproduise." Il n’y a pas de risque d’oubli. Cette période historique est sans doute celle sur laquelle on insiste le plus au cours de la scolarité, celle pour laquelle les moyens les plus considérables sont déployés.

Dangereux pour la démocratie

Les enseignants n’aiment guère cette incursion du politique dans leurs classes. Certes, il leur reste la liberté de travailler selon leur conscience. Mais je trouve la démarche de Nicolas Sarkozy significative d’un manque de confiance à leur égard. Avec lui, l’Etat se mêle trop de l’enseignement de l’Histoire. Cela me choque beaucoup. Que l’Etat organise des célébrations, des commémorations, c’est normal. Mais un président de la République n’a pas à faire le métier des enseignants à leur place. C’est insultant. Il existe des procédures régissant la rédaction des programmes, il existe un ministère de l’Education nationale, avec des enseignants, des inspecteurs... Il n’a pas non plus à délivrer des bouts d’idéologie en permanence. C’est dangereux pour la liberté des historiens et pour la démocratie. Je fais en cela le rapprochement entre la proposition de Nicolas Sarkozy sur la mémoire des enfants juifs morts et ses discours de Saint-Jean-de-Latran et de Riyad sur la religion. On n’a jamais vu ça en France, un président de la République intervenant sans cesse à-propos ou hors de propos dans des domaines qui ne relèvent pas nécessairement de sa fonction. Nous avons en France une séparation entre l’Eglise et l’Etat et c’est très bien comme ça. Et ce n’est pas à lui de la remettre en cause. Ni de décider des enseignements que doivent recevoir les écoliers."

http://www.lejdd.fr/cmc/societe/20087/annette-wieviorka-j-ai-ete-choquee-puis-revoltee_95682.html

Messages

  • Toute mort déclenche des mécanismes psychologiques bien connus qu’on appelle le Deuil ; ce deuil n’est possible que lorsque le défunt était connu de son entourage.La destruction des juifs d’Europe nous laisse sur une énigme:est-il possible de faire le deuil de tous ceux qui ont péri par l’application méthodique d’un programme d’extermination...l’horreur de ce génocide nous laisse génération après génération devant l’impossible consolation, apaisement....C’est ce constat qui pousse à demander aux jeunes générations de régler la dette..c’est l’impuissance face à l’histoire passée qui nous fait errer dans une quète eperdue de mémoire.....Porter le poids d’un enfant mort inconnu revient à empêcher la possibilité du deuil et donc condamner ces enfants à échouer tout comme nous dans le règlement de la dette. Outre que cette lubie présidentielle ne solutionne rien elle enfermera les jeunes générations dans des conflits psychiques sans rapport avec leur histoire présente.Je pense que les parents d’élèves doivent se mobiliser pour empêcher que leurs enfants subissent des programmes éducatifs à haute teneur politique. France Furby