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Après l’intervention en Libye, où s’arrête la guerre « humanitaire » ?

Publie le lundi 28 mars 2011 par Open-Publishing
1 commentaire

Réjouissons-nous, bien sûr, que la menace de massacres de civils en Libye se soit éloignée. Le dictateur sanguinaire qui opprime son peuple ne mérite aucune compassion. Mais que cette joie légitime ne nous empêche pas de voir la situation telle qu’elle est et de nous en inquiéter.

La France est en guerre. Elle n’est pas seulement partie prenante d’une large coalition. Le rôle prépondérant que nous avons joué dans l’opération à tous les stades, y compris militaires, nous place en première ligne. Les Libyens des deux bords ne s’y sont pas trompés : on pavoise à Benghazi avec des drapeaux tricolores et, à Tripoli, on lance des anathèmes contre la France.

Car la guerre dans laquelle nous sommes engagés ne se réduit pas à la formule aseptisée de zone d’exclusion aérienne que les membres du Conseil de sécurité ont approuvée. Ce terme d’exclusion aérienne suggère une main protectrice étendue sur le ciel et venant, en douceur, empêcher toute violence. La réalité est plus crue. Nous tuons. Nous bombardons des véhicules remplis de combattants. Nous avons beau affirmer que « nous n’interviendrons pas au sol », c’est bien au sol que sont tués ces soldats.

Nous sommes de fait engagés dans des combats terrestres, même si nous frappons - pour l’instant - depuis le ciel. Pour le justifier, la diplomatie française invoque les petites lignes du contrat, celle que l’on signe sans toujours bien les lire : la résolution 1973 stipule que pourront être prises « toutes les mesures, y compris militaires, visant à protéger les civils ».

(...) Nous y sommes : il s’agit d’une guerre « humanitaire ». Nous lançons des opérations militaires destructrices contre un pays qui ne nous a pas attaqués, qui ne menace pas nos intérêts, autrement dit nous sommes totalement en dehors de la doctrine militaire telle qu’elle a été élaborée, en particulier par le Livre blanc sur la défense en 2007. Notre seul motif d’emploi de la force est la violation du droit humanitaire par le pays en question. Nous sommes dans un cas parfaitement pur du fameux « droit d’ingérence ». Or, ce concept pose de très nombreux problèmes qui ont d’ailleurs conduit à sa mise à l’écart du droit international, au profit d’une formule plus consensuelle : « La responsabilité de protéger. »

Les dangers de ce droit d’ingérence, droit laissé à la discrétion des puissants pour attaquer qui ils souhaitent, ont été souvent soulignés. Le cas le plus flagrant d’ingérence dangereuse fut, en 2003, l’intervention américaine en Irak. La France fut à l’époque le pays qui s’est dressé contre cette intervention et en a souligné les effets pervers.

Reste qu’il faut maintenant dépasser le stade de l’émotion et, pour conduire cette guerre et peut-être d’autres, élaborer une doctrine. Quelle est-elle et qui doit la formuler ? Devons-nous nous préparer à agir demain en Syrie, au Yémen, en Algérie ? Dans le même ordre d’idée, il ne faut pas espérer non plus quitter l’Afghanistan où notre présence continue de garantir le respect des populations civiles...

L’autre hypothèse est que nous ne puissions ni ne voulions être partout les champions de nos principes humanitaires. En clair, cela signifierait que nous devrions choisir. Mais choisir qui et pour faire quoi ? Est-ce une prérogative exclusive et discrétionnaire du président de la République ? Faut-il qu’une situation tire des larmes à l’Elysée pour qu’on envoie nos soldats ?

Pour continuer d’agir et le faire dans l’unité, il faut un débat national sur les fondements de notre action militaire. L’Assemblée ne doit pas seulement être consultée a posteriori sur une opération particulière. Elle doit pouvoir conduire sur ce sujet une réflexion générale et qui fasse participer l’opinion publique. Il ne s’agit pas d’entraver l’exécutif mais de lui donner un mandat clair et des limites.

(...) Notre héritage républicain nous confère des responsabilités internationales particulières et tous les peuples se tournent naturellement vers nous dès que leur liberté est menacée. Quelle réponse devons-nous et pouvons-nous leur apporter ? C’est cela qu’il faudra un jour que les Français décident. Ensemble.

* Jean-Christophe Rufin, écrivain, ancien ambassadeur de France à Dakar.Il est également ex-président d’Action contre la faim (2002-2006) et ex-vice-président de Médecins sans frontières (1991-1993). Cet article est déjà paru dans l’édition du Monde Idées.

http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2011/03/26/apres-l-intervention-en-libye-ou-s-arrete-la-guerre-humanitaire,186692.php

Messages

  • Jean-Christophe Rufin écrit : « … Réjouissons-nous, bien sûr, que la menace de massacres de civils en Libye se soit éloignée. … » et « … . La réalité est plus crue. Nous (?) tuons. … »

    ce réjouir d’être en guerre ? c’est d’une stupidité… la guerre ne fait malheureusement que commencer et « la menace de massacres » (dans les deux camps d’ailleurs) n’est malheureusement que différée...

    Jean-Christophe Rufin écrit : « … La France est en guerre. Elle n’est pas seulement partie prenante d’une large coalition (???) … »

    les anglo-américains et leurs satellites et, et,… nobody ! Plus des deux tiers de l’humanité est hostile à la coalition occidentale et à cette guerre néocoloniale qui ne dit pas son nom, où cette large coalition ?

    que savez vous exactement des antikadhafistes ? quels sont leurs objectifs (autre que de contenter le tandem sarkozy-BHL et les anglo-américains) ?

    Jean-Christophe Rufin écrit : « … Nous sommes dans un cas parfaitement pur du fameux « droit d’ingérence ». Or, ce concept pose de très nombreux problèmes qui ont d’ailleurs conduit à sa mise à l’écart du droit international, au profit d’une formule plus consensuelle : « La responsabilité de protéger. … »

    Vous utilisez la première personne du pluriel NOUS, qui est ce nous, de qui parlez-vous ? « … Nous sommes dans un cas parfaitement pur du fameux « droit d’ingérence » … » dites-vous… ce même droit d’ingérence qu’exhibe à tout bout de champ Kouchner (et en ce qui le concerne il s’agit de culte de la personne "moi" et du spectacle, rien de plus), était mis en avant dans le but de soi-disant "protéger" la population, pas pour faire la guerre !
    « sa mise à l’écart du droit international » ! au profit… Quel est ce charabia ? Le droit international à géométrie (très) variable, alors…

    Jean-Christophe Rufin écrit : « … Les dangers de ce droit d’ingérence, droit laissé à la discrétion des puissants pour attaquer qui ils souhaitent, ont été souvent soulignés. Le cas le plus flagrant d’ingérence dangereuse fut, en 2003, l’intervention américaine en Irak. … »

    Vous oubliez la Somalie et l’Afghanistan, une paille !

    Le bouquet c’est quand vous écrivez : « … Reste qu’il faut maintenant dépasser le stade de l’émotion et, pour conduire cette guerre et peut-être d’autres (???), élaborer une doctrine. Quelle est-elle et qui doit la formuler ? Devons-nous nous préparer à agir demain en Syrie, au Yémen, en Algérie ? Dans le même ordre d’idée, il ne faut pas espérer non plus quitter l’Afghanistan où notre présence continue de garantir le respect des populations civiles... »

    Au fou !

    Si la Russie, la Chine, l’Inde, etc. décide pour les raisons que vous invoquez ou d’autres d’ailleurs - puisqu’apparement dans la logique guerrière que vous développez , on fait la guerre, puis on élabore la doctrine adéquate, si tous ces pays donc, déclaraient la guerre à la France, à l’Angleterre ou aux Etats-Unis, quel serait votre attitude ? Seriez vous pour ou contre l’un de ces conflits (quand les belligérants justifieraient comme bon leur semble puisqu’apparement ça n’a pas grande importance) ?

    NON A LA GUERRE !