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Après les chercheurs, les médecins de l’hôpital en appellent à l’opinion

Publie le mardi 20 avril 2004 par Open-Publishing

Près de 300 chefs de service et professeurs de médecine lancent une pétition pour défendre le système de soins français qui leur semble "en train d’être détruit". Les premiers signataires, venus de toute la France, se sont organisés dans le Comité national de défense de l’hôpital (CNDH).

A consulter : la liste des signataires de l’appel (PDF - 5 pages - 80 Ko)
http://a1692.g.akamai.net/f/1692/2042/1h/medias.lemonde.fr/medias/pdf_obj/doc_appelhopitaux_040419.pdf

Après la révolte sans précédent des chercheurs, les médecins hospitaliers vont-ils ouvrir un nouveau front social avec le gouvernement ? A l’initiative du Comité national de défense de l’hôpital (CNDH), des centaines de chefs de service et de professeurs de médecine - 286 lundi 19 avril, en fin de matinée - lancent, dans Le Monde, un appel alarmant intitulé "Défendons notre service public". Ces praticiens exerçant dans des établissements de soins répartis sur tout le territoire s’adressent non pas au gouvernement, mais directement aux Français.

"Ce qui est en jeu se situe au-delà des opinions des uns et des autres : il s’agit de votre santé (...), préviennent-ils d’emblée. Cette initiative est, en effet, née en marge des syndicats (nombreux dans le secteur) et des sociétés savantes. Comme la pétition des chercheurs, qui avait suscité l’adhésion de l’ensemble des sciences "dures" ou "humaines", l’appel du CNDH réunit des médecins de toutes les disciplines et de toutes les structures hospitalières, des plus prestigieuses, comme les centres hospitaliers et universitaires, aux plus modestes.

Ce n’est pas le premier avertissement des praticiens hospitaliers, mais c’est la première fois qu’ils en appellent ainsi à l’opinion. En novembre 2003, 244 professeurs et chefs de service de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) avaient écrit à Jean-François Mattei et Luc Ferry, alors ministres de la santé et de l’éducation nationale, pour les avertir de "la gravité de la situation", notamment la pénurie de personnel médical et paramédical. Ce courrier était resté lettre morte. Une semaine plus tard, 1 155 chefs de service et médecins de Paris et de province lançaient un nouvel SOS - à Jacques Chirac, cette fois (Le Monde du 2 mars) - pour attirer son attention sur "la gravité de la situation dans les hôpitaux publics".

Aujourd’hui, les signataires de ce nouvel appel posent le même diagnostic : "Nos hôpitaux, qui pratiquaient une médecine de très haut niveau, sont en train d’être disloqués. Notre système de soins, hier encore considéré comme un des meilleurs du monde, est en train d’être détruit." Sans revendications aussi précises que celles des chercheurs (respect des engagements budgétaires de l’Etat, recrutement de jeunes dans les laboratoires publics), les médecins signataires de l’appel ne peuvent faire autrement que de dresser la liste des abcès du système hospitalier.
Le manque d’effectifs.

Les problèmes sont nés de la politique du numerus clausus (instauré au début des années 1970) limitant de manière drastique le nombre des étudiants pouvant poursuivre leurs études de médecine à l’issue de la première année. L’hôpital, plus encore que la médecine libérale, souffre des conséquences de cette politique et ce d’autant plus qu’à la réduction du nombre des médecins, s’est ajoutée une modification de la pratique de l’internat et du clinicat.

Les effectifs de ces médecins en formation ont baissé de 45 % en dix ans, bouleversant l’activité des services, modifiant la répartition des tâches et réduisant la qualité des soins et de la formation des futurs spécialistes. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a relevé le numerus clausus. En deux ans, 900 postes nouveaux ont été créés : en 2004, 5 600 étudiants pourront poursuivre leur formation au-delà de la première année. Mais les études médicales durant de huit à douze ans, les effets de cette mesure ne se feront pas sentir avant plusieurs années.
La difficile application des 35 heures.

C’est l’une des principales causes des difficultés rencontrées au quotidien dans l’organisation des soins. Cette réduction du temps travail, décidée sans préparation par le gouvernement Jospin, n’a pas été compensée par une augmentation du nombre d’infirmières. Ses effets ont été d’autant plus dommageables qu’elle se conjuguait à un phénomène de départ à la retraite et coïncidait avec les conséquences de la baisse des quotas d’entrée dans les instituts de formation aux soins infirmiers, décidée en 1997. La situation est devenue ingérable en période de crise, comme lors des épidémies hivernales de bronchiolite ou de la canicule d’août 2003. Le gouvernement estime aujourd’hui que l’augmentation du quota annuel d’entrée dans les écoles d’infirmières - porté à 30 000 - permettra de régler les difficultés. Le CNDH estime, lui, que la capacité d’accueil des écoles est de 26 346 postes pour près de 107 000 candidats.
Les urgences sous tension.

L’introduction des 35 heures a particulièrement déstabilisé les services d’urgence, déjà aux prises avec de nombreuses difficultés : demandes croissantes (et pas toujours justifiées), stagnation des effectifs et des moyens. Or, le gouvernement n’a toujours pas apporté de réponse à ces difficultés, régulièrement dénoncées par l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France, y compris dans le plan Hôpital 2007.
La contestation du plan Hôpital 2007.

Le CNDH dénonce la plupart des mesures réunies dans ce projet de "modernisation des statuts de l’hôpital public et de sa gestion sociale". Outre la rénovation du parc hospitalier, il prévoit la tarification à l’activité, des regroupements de services en pôles d’activité (centrés autour d’une maladie par exemple) et la nomination des chefs de service par le directeur et la commission médicale d’établissement (et non plus le ministre). Toutefois, lors de ces rencontres avec les syndicats dans le cadre de la réforme de l’assurance-maladie, Philippe Douste-Blazy, le ministre de la santé, n’a pas exclu de le modifier sur certains points.
L’hôpital absent de la réforme de l’assurance-maladie.

Le gouvernement n’a pas intégré l’hôpital (près de 40 % des dépenses remboursées) dans la réforme de l’assurance-maladie qui doit être bouclée en juillet. Même si la "Sécu" perd 1 milliard d’euros par mois, le débat n’est plus exclusivement financier. Plus personne ne croit, en effet, à une réduction des dépenses hospitalières : elles sont appelées à croître en raison du vieillissement de la population, des nouvelles techniques médicales et des exigences de "consommateurs" de soins qui voient moins les hôpitaux comme une source de dépenses que comme un bien collectif à défendre.

Les médecins s’interrogent sur le sens de leur mission. La loi sur les 35 heures a été "l’élément catalyseur", résume un ancien directeur de CHU. Elle a laissé entendre que les hôpitaux étaient "de simples outils de production parmi d’autres", alors qu’ils ne sont "rien d’autre que la réunion d’une compétence professionnelle et de l’amour porté à son prochain : le malade".

Jean-Michel Bezat et Jean-Yves Nau

12 milliards de déficit, selon M. Douste-Blazy

Le système de l’assurance-maladie "n’est pas gouverné", a déclaré Philippe Douste-Blazy, le ministre de la santé et de la protection sociale, dans un entretien aux Echos lundi 19 avril, appelant "chaque Français" à prendre "conscience du désastre". Il affirme que "le déficit de l’assurance-maladie va atteindre cette année plus de 12 milliards d’euros", au lieu des 11 milliards prévus. Cela représente "plus de 400 euros par foyer et par an", poursuit-il. Le ministre veut proposer, début mai, " un texte de nouvelle gestion de l’assurance-maladie". A ceux, comme la CFDT, qui lui reprochent d’être pressé, il répond : "Chaque mois gagné nous permettrait de gagner 1 milliard d’euros."

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-361643,0.html