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Arafat : en Cisjordanie, critique, admiration ou indifférence envers "le symbole"

Publie le vendredi 29 octobre 2004 par Open-Publishing

"Même s’il s’en sort, ce ne sera plus pareil. Arafat, c’est un peu fini".

de Stéphanie Le Bars a Abou Dis, Beit Iksa, Biddo (Cisjordanie)

Les étudiants de l’université Al-Qods ont préféré prendre les devants. Jeudi 28 octobre, en début d’après-midi, alors que les informations sur la santé du président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat, étaient toujours alarmantes, le "conseil des étudiants" a décidé de suspendre les cours pour "s’organiser" en cas de disparition du "raïs". Le campus, situé à Abou Dis, l’un des faubourgs de Jérusalem-Est, en Cisjordanie, s’est peu à peu vidé, libérant des étudiants plutôt inquiets de la suite des événements.

Strictement voilée de bleu, Aseen Nasser, une étudiante en médecine, résume le sentiment général. "Même si nous savons tous que Yasser Arafat est vieux et malade, ce sera très douloureux de voir disparaître notre symbole. Il a passé sa vie à combattre pour obtenir la création d’un Etat palestinien. Nous ne sommes pas prêts à accepter sa disparition, d’autant que, même affaibli, il contrôle encore tout."

Non loin du campus, dans le salon de coiffure de Hassan Qoreï, un cousin éloigné de l’actuel premier ministre, Ahmed Qoreï, la télévision est branchée sur la chaîne d’information Al-Jazira depuis les premières heures de la matinée. "Tout le monde ne parle que de ça, témoigne le propriétaire. Et beaucoup s’inquiètent de ce qui se passera après la mort d’Arafat." Lui ne croit pas à une "guerre civile", mais pronostique des "troubles" dans la société palestinienne.

Plus précis, Khalil, le secrétaire du conseil local de la petite ville palestinienne de Biddo, à l’ouest de Jérusalem, ne craint pas d’annoncer "le chaos". "Ce ne sont pas le Hamas (Mouvement de la résistance islamique) ou le Jihad islamique qui poseront problème ; ils ne tenteront pas de capter la succession. En revanche, les différentes factions au sein même de l’Autorité palestinienne vont se déchirer", assure cet homme du Fatah, le parti de Yasser Arafat. "Puis, les Américains feront pression et le retour à la normale interviendra."

Son collègue du village voisin de Beit Iksa, un islamiste, confirme l’analyse. "Ce serait stupide de la part du Hamas de chercher à prendre le pouvoir. Le mouvement islamique doit rester la branche militante et militaire de la société palestinienne avec comme ennemi principal l’occupation israélienne." Ce religieux ne versera pas une larme sur Yasser Arafat. "Cela fait des années qu’il est incapable de faire quoi que ce soit. Seul Dieu jugera s’il a apporté quelque chose à son peuple." Plus prosaïquement, un jeune villageois s’interroge aussi sur la valeur du président palestinien. "Je suis obligé d’aller travailler en Israël illégalement car l’Autorité palestinienne n’a pas su créer d’emplois ici. Qu’Arafat meure ou pas, qu’est-ce que cela changera pour moi ?"

ISOLEMENT

Au chapitre des reproches adressés au chef palestinien, beaucoup qualifient d’"erreur" le fait qu’il n’ait pas organisé sa succession. Deux noms reviennent sans enthousiasme dans les pronostics : ceux de l’actuel et de l’ancien premier ministre, Ahmed Qoreï et Mahmoud Abbas.

"Arafat est le meilleur car il n’a jamais accepté de compromis avec les Israéliens, sur la terre ou les réfugiés, insiste le fonctionnaire de Biddo. Son successeur, quel qu’il soit, sera contraint à des compromis, d’autant qu’il sera plus ou moins l’homme des Américains."

Un nom pourtant sort du lot : celui de Marouane Barghouti. "C’est le seul homme politique honnête", juge Abou Ahmed, le président du conseil local de Beit Iksa. Mais l’ancien secrétaire général du Fatah pour la Cisjordanie a peu de chances de jouer un rôle dans l’immédiat : il purge plusieurs peines de prison à vie en Israël.

Quelle qu’en soit l’issue, cet épisode médical aura en tout cas donné aux Palestiniens l’occasion de penser à "l’après-Arafat". Car il ne fait aucun doute pour tout le monde que cette fois, la situation est critique. "Le fait qu’ils aient fait appel à tant de médecins étrangers, qu’ils aient fait venir sa femme de France. Tout cela montre bien que son état est grave, insiste le coiffeur d’Abous Dis. Et les Israéliens ont leur part de responsabilité. Depuis qu’ils l’ont enfermé à la Mouqata’a, Arafat vit sous une pression psychologique et physique permanente. S’il n’avait pas été assiégé, il aurait pu se faire soigner dans de meilleures conditions."

Mais son isolement a eu d’autres conséquences. "Avant, Arafat venait souvent dans les villes et les villages, les gens le voyaient, pouvaient juger de sa forme. Depuis trois ans, il n’apparaît plus qu’à la télé ; petit à petit les gens se sont détachés de lui", ajoute Khalil, de Biddo. "Avec sa maladie il ne pourra plus tout contrôler. Même s’il s’en sort, ce ne sera plus pareil", estime un client du salon de coiffure. "Depuis aujourd’hui, Arafat, c’est un peu fini." Admiratifs, critiques ou indifférents, quasiment tous les hommes interrogés ont assuré qu’ils se rendraient aux funérailles du raïs, où qu’elles se tiennent.

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