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Avec Pagny, le fisc ne se paye pas de chansons

Publie le mercredi 26 novembre 2003 par Open-Publishing

Greffières enamourées et juges mi-figue mi-raisin pour la comparution du chanteur, réfractaire à l’impôt.

Le tribunal correctionnel de Versailles a convoqué hier Florent Pagny pour tenter de fixer les limites à sa liberté de frauder. Gros succès d’audience, mobilisant un parterre de greffières enamourées : « Tu l’as vu ? Il est encore plus beau qu’à la télé. » Disons aussi dépenaillé. Et rigolard, comme s’il s’agissait de jouer un nouveau tour à la Direction générale des impôts (DGI).

Le chanteur engagé contre le fiscalisme est renvoyé pour l’une de ses dernières performances, point d’orgue d’une longue série de démêlés : la soustraction, au printemps 2002, en sa demeure de Montfort-l’Amaury (Yvelines), de quelques biens saisis par le fisc : une voiture Bentley, trois motos Harley Davidson, des tableaux, soixante-dix bouteilles de grands crus. Curieusement, sa brouette électrique, elle, n’a pas disparu. « Il y a plusieurs cas de figure : les tableaux sont à ma compagne, les motos appartiennent à des amis, la voiture est au nom de ma société. Quant au vin... » Eh bien, des copains l’auraient siphonné à son corps défendant. « Dans une fête, il y a des moments où on ne contrôle pas tout. C’est drôle, quand tout est saisi : plus rien n’est à nous et pourtant à portée de main. Mais j’aurais pu les remplacer par de la piquette. »

Statuettes. L’avocate de la trésorerie de Rambouillet ne goûte pas cette franche poilade. « L’ambiance du tribunal se détend parce qu’on parle de vin. Mais ce n’est pas une plaisanterie quand un contribuable a plus de 4 millions d’euros d’arriérés, dont pas un euro n’a été versé, bien entendu. Il est vrai que M. Pagny fait preuve d’une résistance exceptionnelle. » Quand l’avocate déplore la soustraction de statuettes des Victoires de la musique, de grande valeur, croit-elle, Florent Pagny et Pascal Nègre (PDG d’Universal Music, également poursuivi) se gondolent sur le banc des prévenus. Dieu sait pourquoi, on a pour une fois envie de rire avec eux.

Pagny est aussi poursuivi pour quelques autres bricoles, comme la non-déclaration de TVA. Il tient à recadrer les choses : « Je plaide coupable d’une partie de mon ignorance et de ma fainéantise. Je n’avais pas de manager. » Il en avait un à l’origine, qui l’aurait enfumé. Aujourd’hui, il en a d’autres : « J’ai plein de gens, des avocats, des experts comptables, car ça prend des proportions qui me dépassent. »

Tout a pourtant commencé par une histoire toute bête qui ne nécessitait pas une telle armada : son refus pur et simple, en 1990, de déclarer ses revenus. Depuis, l’avocat de la DGI, Me Normand-Bodard, se frotte les mains : « J’ai appris à connaître toutes les oeuvres de M. Pagny. » L’autre gros morceau du procès concerne le pacte passé en 1995 avec Pascal Nègre. Tout aussi goguenard, le patron d’Universal évoque sa condamnation pour publication mensongère : « C’était un disque de flûte de pan dont une partie était réalisée par synthétiseur. Mais c’est amnistié, non ? » Bref, on reproche présentement à Pascal Nègre d’avoir maquillé une classique avance sur recettes (un revenu imposable) en un prêt artificiel (non déclarable). Dans le cas de Pagny, cela porte sur 10 millions de francs. Il en a profité pour déduire de ses revenus les intérêts de l’emprunt, un comble puisque ce « prêt » était destiné à combler son ardoise fiscale. A la présidente qui lui indique que ce montage est un peu olé-olé, Pagny répond, sans oser rire, cette fois : « Vous me l’apprenez. Je ne suis pas fiscaliste. » Pour le procureur, le noeud est là : « Au-delà de l’aspect médiatique bien compris, si le tribunal devait relaxer, il ouvrirait la brèche à cette pratique. »

« Creux de la vague ». Nègre admet qu’un chanteur comme Pagny ne vaut que 2 millions de francs d’avances par album : « En 1995, il était alors au creux de la vague, excuse-moi l’expression, Florent. Il ne vendait clairement pas assez de disques pour qu’on lui avance 10 millions. » Mais Universal était prêt à parier sur son redécollage, ce « prêt » étant garanti par la possibilité de récupérer, en cas de défaillance, la société d’édition de Pagny, gérante de ses droits de compositeur de chansons. Manque de bol, l’envol se fera à base d’interprétations de morceaux composés par Pascal Obispo. La garantie d’Universal ne vaut donc rien, sauf que le succès est tel que Pagny est très vite en mesure de rembourser les 10 millions. Et, pourtant, en 1999, la maison de disques ne solde pas le « prêt ». Le proroge de dix ans et propose de se rembourser elle-même au travers d’un simple jeu d’écriture : une augmentation de 2 % des royalties dues à Pagny, qui ne sortiront jamais des caisses d’Universal. « Une usine à gaz », selon le fisc, qui pointe la mauvaise foi du chanteur : à sa demande, Universal a cessé de mettre 50 % de ses royalties de côté pour faire face aux impôts.

Le procureur est compréhensif. « Il est possible que le fisc ne vous ait pas fait de cadeau. Je ne veux pas vous enlever votre liberté d’artiste, mais on vous demande, ni plus, ni moins, que de participer à l’effort collectif pour construire écoles et hôpitaux. » Il réclame huit mois de prison avec sursis contre Pagny, six contre Nègre et une amende de 15 000 euros pour les deux. Jugement le 19 janvier.

Libération 26.11.03