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Avec l’élargissement, les délocalisations vers l’Est se multiplient

Publie le samedi 27 mars 2004 par Open-Publishing

Les dix pays qui s’apprêtent à rejoindre l’Union européenne le 1er mai attirent irrésistiblement
les investisseurs. Les entrepreneurs transfèrent usines et services vers les nouveaux Etats
membres, mais aussi vers le Maghreb et l’Asie.

Bruxelles du bureau européen d’"El Pais"

Le mois dernier, un juge français a condamné le numéro trois européen des équipementiers
automobiles, Faurecia, à verser l’équivalent de six cents ans de salaires aux quelque 200 travailleurs dont
l’usine avait été délocalisée en Europe de l’Est. En mars, la Slovaquie a arraché de haute lutte à
la Pologne un important investissement coréen. La libéralisation du commerce mondial et la
suppression des frontières ébranlent les certitudes établies. L’Espagne tremble. La France est inquiète.
L’Italie défile dans les rues.
Le 1er mai, l’élargissement de l’UE de 15 à 25 membres va créer, sur le plan socio-économique, un
nouveau cadre, qui rendra inéluctable "un processus de délocalisation et autres ajustements",
selon la Commission européenne. "La continuelle transformation structurelle de l’économie est
inévitable", précise un rapport de Bruxelles intitulé "Quelques questions-clés de la compétitivité en
Europe".

Dans cette lutte sans merci, où les acteurs font l’impossible pour séduire des multinationales,
les pays du centre et de l’est de l’Europe offrent des conditions idéales : bas salaires, solide
qualification de la main-d’oeuvre, tradition industrielle, fort taux de chômage et puissant désir de
redresser l’économie, quitte à renoncer aux anciens systèmes de protection sociale. Les dix
nouveaux pays membres de l’UE sont un aimant irrésistible pour les investissements étrangers, que
ceux-ci s’accompagnent ou non de délocalisations d’entreprises.
"Pour l’Allemagne, qui traverse une mauvaise passe, c’est une opportunité de renouer avec la
croissance et de conquérir des marchés", affirme Hans-Gunther Vieweg, de l’institut économique allemand
IFO. 60 % des compagnies allemandes de moins de 5 000 employés ont d’ailleurs créé des usines hors
de l’UE actuelle, en grande partie en Europe centrale et orientale.

"Les entreprises allemandes
maintiennent leurs sites de production nationaux, en conservant en général leurs travailleurs sur
place, mais elles délocalisent leurs usines implantées à l’étranger", dit Walter Cerfeda,
responsable des relations industrielles à la CES (Confédération européenne des syndicats). Par ailleurs,
"si, pour des raisons politiques, l’Allemagne ne touche pas à ses investissements en France, elle le
fait dans d’autres pays, qu’il s’agisse de Volkswagen, qui a quitté Barcelone, de Krupp, qui songe
à présent à abandonner l’Italie au profit de la Corée, tout en se maintenant en Hongrie, ou encore
de la !

SGL Charbon, qui se maintient en Pologne mais quitte l’Italie pour la Chine". Le syndicat de la
métallurgie IG Metall dénonce, quant à lui, la fuite des emplois. L’organisation vient d’alerter
l’opinion sur le projet de Siemens d’"exporter" 10 000 emplois vers les nouveaux membres de l’UE et
vers l’Asie.
Les multinationales sont les mieux placées pour exploiter les opportunités. Ainsi, le français
Alcatel compte réduire son usine de Rome et licencier 2 500 de ses 4 000 employés, pour accroître ses
bénéfices et sa compétitivité en transférant le service recherche et développement en Inde et
celui de la fabrication en Chine. Le géant de la téléphonie est déjà installé, depuis des années, sur
le sous-continent asiatique, où un ingénieur touche en moyenne 6 000 euros annuels et où les coûts
de fabrication peuvent être jusqu’à 40 % moins élevés qu’en Europe.

RICHESSE MONDIALE

Willem Buiter, économiste en chef de la BERD (Banque européenne de reconstruction et de
développement), se dit surpris de l’émoi suscité par les délocalisations. "Pour moi, c’est un mystère, car
cela n’a rien de nouveau, les entreprises produisent là où c’est le moins cher et le plus
efficace." Et pas seulement dans l’industrie. Les firmes qui cherchent de la haute technologie partent en
Inde ou en Hongrie, pays qui commence à manquer de techniciens pour répondre à la demande ; celles
du secteur textile ou de la confection choisissent le Maroc ou la Roumanie, comme l’espagnol Zara
ou l’italien Benetton, et les entreprises de services, de la banque aux télécommunications,
délocalisent les activités de relations avec la clientèle ou de gestion dans des pays de leur sphère
linguistique.

"C’est bon pour l’économie mondiale, parce que cela crée de la richesse. Et les gouvernements ont
le devoir de ne pas subventionner ni protéger le travail qui n’a aucun sens", conclut M. Buiter.
"Les perdants -d’aujourd’hui- sont des gagnants potentiels s’ils s’adaptent", poursuit-il, en
précisant que les gouvernements "doivent renforcer la formation permanente des travailleurs. Ceux-ci,
de leur côté, doivent être prêts à se déplacer et ne plus croire qu’un travail, c’est pour toute la
vie". "En termes de délocalisation, l’UE est perdante, note de son côté Grigor Gradev, mais entre
1990 et 2001, son commerce avec les pays de l’Est a dégagé un excédent de 104 milliards d’euros",
précise ce coordonnateur d’un ouvrage publié par l’Institut syndical européen : Les Pays du centre
et de l’est de l’Europe dans les stratégies des compagnies de l’UE en matière de restructuration
et délocalisation.

"Nous sommes à la croisée des chemins, souligne le syndicaliste Cerfeda. Les pays du centre et de
l’est de l’Europe préfèrent le modèle social anglo-américain au modèle traditionnel européen de
cohésion et de protection sociale, déjà presque minoritaire après les réformes adoptées en Italie,
qui ont suscité des manifestations gigantesques dans ce pays, tout comme au Portugal et en
Espagne." Selon lui, "dans le jeu de la concurrence, l’Europe doit miser sur la qualité, comme le fait
l’Allemagne. Si les entreprises pensent que le capital humain est un coût, alors autant laisser
tomber. Les syndicats vont devoir s’investir à fond".

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