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B. FRIOT : Pour un imaginaire communiste du salaire 2
Publie le vendredi 7 décembre 2007 par Open-Publishingsuite de :
Pour un imaginaire communiste du salaire
http://pagesperso-orange.fr/epinore/tempmod.html
2. LA TENTATIVE CAPITALISTE DE REMPLACEMENT DU SALAIRE PAR L’ALLOCATION ET PAR LA RENTE
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Je voudrais d’emblée prévenir un contresens. La manie de définir des capitalismes qui s’affronteraient dans l’espace ou se succéderaient dans le temps relève, là encore, du positivisme. Elle naturalise des formes éphémères d’un unique capitalisme qui bouge en permanence au gré de la lutte de classes. Il n’y a évidemment aucune nécessité nouvelle dans le déplacement actuel du salaire vers la rente ou l’allocation, simplement des opportunités que saisit la classe dirigeante lorsque les salariés lui en laissent la possibilité, opportunités qu’elle choisit selon les urgences qu’elle a de prévenir ou de contrer leurs initiatives. En aucun cas il ne faut donc lire dans ce qui suit les nécessités d’une nouvelle logique du capital : il s’agit plutôt des chemins pragmatiques d’une offensive patronale qui aurait pu en emprunter d’autres si les positions syndicales avaient été autres.
Depuis le milieu des années soixante-dix (qu’on se rappelle le désastreux accord de juillet 1975 sur les classifications dans la métallurgie), le trait essentiel du salaire socialisé qu’est la référence des individus ou de leur poste de travail à une qualification est battu en brèche. La multiplication des " critères classants ", l’invocation de plus en plus insistante des " compétences " et autres " savoir-être " (sic) ont accompagné le reflux de la négociation de branche et de l’autorité des règles transversales du fait de la mise en cause de l’ordre public social à compter des malheureuses lois Auroux qui à partir de 1982 ont ouvert les vannes des accords d’entreprise dérogatoires. La déconnexion croissante entre le barème des conventions collectives et les pratiques de rémunération a pris deux formes radicalement différentes selon qu’elle concernait les travailleurs les plus justiciables de la /solidarité nationale /ou les plus sensibles à /l’épargne salariale/. Examinons-les successivement.
a) La construction en cours d’un Etat-providence
Nous assistons d’un côté au financement /par la fiscalité redistributive /de situations de travail (emplois jeunes, SMIC, soutien au passage aux 35H…) ou de hors-travail (santé avec la CSG, chômage avec les minimas sociaux) de plus en plus nombreuses au prétexte qu’elles relèveraient de la solidarité nationale. Ses formes se sont multipliées : fiscalité affectée à la protection sociale (CSG, écotaxe...), crédits d’impôts et exonérations ou réductions fiscales liés aux emplois aidés (emplois familiaux par ex) ou aux droits sociaux, subventions budgétaires compensatoires aux exonérations de cotisations patronales ou à la réduction du temps de travail (loi Giraud de 1993, lois sur les 35 heures), salaires directs financés par la fiscalité redistributive (emplois jeunes financés à 8O% du SMIC par le ministère de l’emploi et non pas par l’employeur).
Cette fiscalité redistributive pour soutenir les " faiblement employables " constitue une mutation de la fiscalité en matière d’emploi telle qu’elle s’était constituée avant les années quatre-vingts. Celle-ci était vouée à la création d’emplois publics (fonctionnaires, nationalisations) qui ont joué un rôle décisif dans la définition du salaire socialisé, et, à côté du financement de régimes publics de protection sociale très minoritaires (comme l’aide sociale ou le service public de l’emploi) à des contributions publiques aux régimes conventionnels qui confirmait leur logique salariale (par exemple à l’UNEDIC ou à la SNCF). On pourrait dire que la fiscalité était au service du salaire, alors qu’elle est aujourd’hui une arme de guerre contre lui. L’impôt finançait le salaire, il se substitue à lui. Deux exemples éclaireront le propos. La différence entre un emploi-jeune et un fonctionnaire renvoie à une différence de nature de la fiscalité qui les finance : le premier est payé par le ministère de l’emploi au titre du droit des jeunes à la solidarité nationale, c’est-à-dire par l’Etat-providence, le second est payé par l’Etat-employeur au titre de sa qualification. Tout une réflexion est à mener sur la mutation de l’impôt qui s’opère là, que l’on peut illustrer aussi dans un second exemple qui compare la contribution publique à l’UNEDIC telle que l’avait mise en place la réforme de 1979 et le RMI : la première conduit la fiscalité à abonder un dispositif salarial (l’Etat finançant l’UNEDIC à proportion des cotisations, ce qui revient donc à encourager celles-ci et donc la logique salariale) alors que le RMI prend acte du recul constant de l’indemnisation salariale qu’opère l’UNEDIC depuis 1982 pour lui substituer une allocation financée par la fiscalité redistributive.
Qu’elle soit affectée à l’emploi par allocation à l’employeur (exonération de cotisation, emploi familial) ou au travailleur (emploi-jeune, cumul d’un minimum social et d’un emploi à temps partiel), la fiscalité redistributive se met en place à l’occasion des politiques actives de l’emploi, de " l’activation des dépenses passives " de chômage (alors que ces dernières sont les garantes du maintien de la logique salariale en empêchant la dérive des salaires et des droits des actifs). Se constitue ainsi, progressivement, contre l’Etat garant du salaire socialisé qui prévalait jusqu’ici, un Etat-providence que nos pays continentaux ignoraient. L’Etat-providence consiste en une intervention directe de l’Etat dans le financement des droits sociaux et la mise au travail (avec sa rémunération directe) d’une fraction croissante de la population dont la plus caractéristique est la jeunesse. La catégorie " jeune " a été construite de toutes pièces par initiative de l’Etat puissance tutélaire qui définit et finance les conditions d’activité et d’accès aux droits sociaux de la quasi-totalité des jeunes, à qui le salaire socialisé est dénié. C’est en ce déni du salaire que consiste aujourd’hui la pauvreté, et dans la gestion par l’Etat de ce déni, la nouvelle assistance.
Une telle invention d’un Etat-providence pour les exclus du salaire est doublement profitable au capital. D’une part le remplacement de la cotisation patronale par une dotation budgétaire aux caisses de sécurité sociale augmente les dépenses publiques alors que leur financement est mis en cause par la pause fiscale, et ce déficit public est un des principaux lieux de valorisation du capital, car c’est celui-ci qui finance la dette publique au prix fort. D’autre part, le financement par la fiscalité redistributive de situations de travail ou de hors-travail de plus en plus nombreuses permet de rentabiliser la partie dévalorisée du capital, celle qui n’est pas en mesure d’accéder aux secteurs les plus productifs de plus-value pour les détenteurs de titres. Cela dit, y a–t-il une quelconque nécessité dans tout cela qui lierait le capital et lui dicterait ses pratiques ? Non, le capital, en tout cas dans les pays comme le nôtre, développe une stratégie opportuniste selon les opportunités que lui offre l’affrontement de classes. Il s’engouffre dans les trous de la résistance, construit la collaboration.
Ainsi, la capacité dans laquelle ont été les dirigeants du patronat d’invoquer /la solidarité nationale/ pour légitimer la mutation qu’a connue depuis les années quatre-vingts la rémunération de travailleurs à qui l’accès au salaire socialisé a ainsi pu être refusé est, rétrospectivement, stupéfiante.
Stupéfiante pour ses résultats. La population cobaye a été celle des jeunes à propos du flux des emplois. Depuis 1977 et le premier ensemble de mesures dites " en faveur de l’emploi " des jeunes, des dispositifs concernant au départ quelques cibles (les 16-18 ans par exemple) en marge de l’emploi (les " stagiaires de la formation continue " qu’étaient les tucistes de 1984) pour des courtes durées (trois mois ou six mois éventuellement renouvelables) ont été généralisées à l’ensemble des embauches au point que le salaire des nouveaux entrants sur le marché du travail a été considérablement réduit, pour des périodes de plus en plus longues : qu’on considère par exemple les cinq ans de SMIC des emplois-jeunes dont plus de 40% ont au moins bac+2 et toucheraient des salaires très supérieurs si leur qualification était reconnue. La percée faite " en faveur de l’emploi " des jeunes a été très vite utilisée pour y engouffrer les chômeurs, d’abord " les chômeurs de longue durée " inventés comme catégorie administrative en 1986 : ils ont été les vecteurs involontaires de la transformation des " dépenses passives " en " dépenses actives pour l’emploi " qui les a laissés sans indemnisation de l’UNEDIC mais incités à accepter des emplois précaires dont le très mauvaise rémunération était organisée par la puissance étatique. Et au-delà du flux des jeunes et des chômeurs, c’est finalement le stock des emplois qui a été l’objet d’une réduction massive des salaires : les exonérations de cotisation patronale sur les salaires inférieurs à 1,3 fois le SMIC, selon un dispositif de la loi Giraud de l’automne 1993 repris dans la première loi sur les 35 heures, ont été étendues avec la seconde loi sur les 35 heures aux salaires compris entre 1,3 et 1,8 fois le SMIC, ce qui revient à transmuer l’appauvrissement des travailleurs en " croissance riche en emplois " par le coup de baguette magique des concepteurs de la communication des ministères et caisses concernés (dont les responsables de cabinets-conseils perçoivent eux, faut-il le préciser, des rémunérations substantielles).
Stupéfiante aussi pour ses effets dans l’ordre des représentations. On s’en tiendra à l’exemple de la grossière manipulation de la statistique du chômage des jeunes par confusion volontairement entretenue entre taux et poids du chômage. Lire un taux de chômage de 25% comme le fait qu’un jeune sur quatre est au chômage (alors que 30% seulement des jeunes sont actifs et donc 7,5% au chômage) a été décisif pour faire passer dans l’opinion les mesures qui ont empêché les jeunes d’accéder au salaire normal. Le consensus sur une proposition dont chacun pouvait constater la fausseté en regardant autour de lui la situation des 18-25 ans montre le degré d’hégémonie de la thématique de la solidarité nationale comme substitut du droit au salaire. La large acceptation de tous les autres pseudo-arguments (mondialisation, insuffisance des postes à faible qualification, …) qui accompagnent l’invalidation de populations parfaitement valides relève de cette hégémonie.
b) Le remplacement du salaire par des produits financiers
C’est à l’hégémonie aussi qu’opère l’entreprise symétrique de remplacement du salaire par la rente, beaucoup moins avancée dans les faits que la fiscalisation (aussi bien n’en ferai-je pas ici l’inventaire), mais en progrès très rapide dans les têtes. Qu’on mesure la chappe de plomb qui s’est posée dans le débat sur l’avenir des retraites depuis le Livre blanc publié par Rocard en 1991. Que les arguments accumulés pour prouver la non viabilité à terme d’un financement des pensions par le seul salaire, ou pour montrer les intérêts d’une accumulation complémentaire aux régimes en répartition, aient été régulièrement pulvérisés ne lézarde qu’à la marge le consensus inepte sur " le problème des retraites ". Toutes les réformes mettant en cause l’indexation des pensions sur les salaires et leur calcul à partir du meilleur salaire d’activité, et toutes celles qui visent à bien séparer les prestations contributives des non contributives, bref ce durcissement du lien entre salaire et travail contraint, s’appuient sur le vieil imaginaire du " salaire différé " et de la retraite comme contrepartie du travail passé des pensionnés.
Evidemment, la suite logique d’une telle position est la préconisation de l’organisation systématique de l’épargne salariale, et là encore la stupéfiante rapidité du ralliement à cette thématique d’organisations syndicales qui lui étaient traditionnellement hostiles montre qu’elle est actuellement hégémonique. Le propre de l’hégémonie est que tous les arguments qui y renvoient sont bons. Qu’on songe au curieux brouet qu’avait concocté Dominique Strauss-Kahn <http://pagesperso-orange.fr/epinore...> avant son départ précipité du ministère des finances. Dans un entretien à /Liaisons sociales/, il énonçait ainsi sa vision de la répartition : /" La façon dont les salariés sont associés aux résultats de leur entreprise correspond à une vision de la vente de la force de travail datant du XIXème siècle dans laquelle les salariés, au nom de leur statut face au capital, sont systématiquement écartés des résultats. Il faut donc s’attaquer à la répartition des revenus primaires. La participation, l’intéressement, le plan d’épargne d’entreprise, l’actionnariat des salariés et les stock-options créent des inégalités considérables dans les entreprises. Il faut mettre en place un système qui associe les salariés au résultat auquel ils ont contribué et qui n’était pas obligatoirement prévisible. Car, en théorie, s’il n’y avait pas erreur d’anticipation, le salaire devrait incorporer à l’avance les résultats attendus de l’activité du salarié. Cependant, dans une société en fort développement et forte croissance, où apparaissent continuellement de nouveaux services, l’entreprise vous rémunère pour le travail que vous faites, mais il se pourrait bien que votre travail se révèle beaucoup plus productif que l’entreprise ne l’imagine aujourd’hui et, si tel est le cas, elle enregistrera des surplus considérables en termes de bénéfices. Il n’y a aucune raison pour que cet excédent aille entièrement aux actionnaires et pas aux salariés "/ (Strauss-Kahn 1999). /Le Monde/ rapporte " la brillante intervention " du ministre le 22 octobre 1999 à l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2000 : /" Réguler le capitalisme, c’est toucher à la répartition des revenus primaires. Devrions-nous accepter une fois pour toutes que le salarié ne perçoive que le salaire qu’on veut bien lui accorder, sans référence à la richesse qu’il crée ? (…) Bref il faut réformer l’épargne salariale et permettre aux salariés de récupérer une partie des produits de l’entreprise, c’est-à-dire modifier après coup le partage salaires-profits. L’épargne salariale est donc au cœur de notre projet "./
De même qu’il s’agit, avec les privatisations, d’ouvrir une nouvelle frontière au capital non seulement en lui offrant de nouveaux terrains d’activité (lecture superficielle de la marchandisation) mais d’abord en lui procurant le formidable effet de levier d’une " valorisation " d’un patrimoine public ne faisant pas jusqu’ici, pour cause de non capitalisation, objet d’une évaluation, de même il s’agit avec l’épargne salariale de transformer les individus en actifs financiers et pas seulement en capital variable. Même s’ils sont évidents, voire majoritaires aujourd’hui, on ne peut donc réduire les bons côtés de l’épargne salariale pour le capital aux opportunités qu’elle offre en matière :
– de relance de l’accumulation (en particulier en vue des OPA), d’augmentation du flottant des titres,
– de recomposition de la finance autour des assureurs sur la base d’une épargne captive retenue à la source gérée sans aucun pouvoir de ceux qui la détiennent,
– de valorisation du capital dans la rémunération elle-même : il s’agit de transformer la contrainte de rémunération en occasion de profit ou de rente, comme pour le risque de change où la contrainte née de l’effondrement de Bretton Woods a été convertie en opportunité (selon l’enquête triennale menée par la banque de France pour le compte de la BRI, les " interventions des entreprises résidentes sur le marché des changes sont cinq à dix fois supérieures aux besoins de règlement de leurs transactions commerciales ", Serfati 1996, p. 162 <http://pagesperso-orange.fr/epinore...> )
La nouveauté de l’affaire est dans les plus-values que rend possible la valorisation financière des individus que le salaire "sous-évalue" et qui vont devenir des titres objets de spéculation dans tous les segments de l’activité économique où "le capital humain" est décisif : on pense aux clubs de foot pour prendre l’exemple le plus popularisé, mais surtout aux nouvelles technologies de l’information et à tous les métiers très qualifiés non seulement des secteurs capitalistes traditionnels mais aussi de l’art, du spectacle, de la communication, des services aux personnes (comme la formation ou la chirurgie) dès lors que les services publics auront été écartés ou réduits aux prestations banales. Ces travailleurs sont rémunérés avec une partie de la rente qu’ils permettent de lever.
Encore une fois, toutes ces opportunités saisies par le capital le sont de façon pragmatique, parce que la voie est libre faute d’une mobilisation politique suffisante des salariés : plutôt que de la nécessité, les mouvements constatés relèvent, sinon du hasard, du moins des aléas constitutifs de la politique. C’est précisément cette contingence que les interprétations régulationnistes dissolvent dans un naturalisme des régimes de croissance.
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3. LE POSITIVISME DES FABLES REGULATIONNISTES
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Evidemment, le positivisme dominant en " science économique " se prend trop au sérieux pour admettre que ses interprétations à lui aussi sont des fables s’adressant à l’imaginaire.
Passons sur les propos de café du commerce avec lesquels la propagande monnaie aujourd’hui /la fable libérale/ pour légitimer ce qu’on appelle l’épargne salariale, par antiphrase puisque c’est une arme de guerre contre le salaire : paradoxale nécessité d’augmenter une épargne déjà surabondante, don d’ubiquité de placements qui permettront de ponctionner de la valeur sur les pays émergents tout en préservant le contrôle par des investisseurs français des entreprises nationales privatisées, cocorico de la supériorité démocratique de la bonne finance " à la française " sur la mauvaise finance étrangère, mensonge sur l’équité d’un dispositif par lequel chaque génération financerait prétendument sa propre retraite, caractère inepte de propositions qui reposent sur la capacité qu’auront les travailleurs de l’avenir à dépenser en achat de titres (ou à produire en valorisation rentière) l’équivalent de ce qu’ils ne pourront pas verser sous forme de cotisations sociales, et autres billevesées qui ont pour seul mérite de prendre dans le sens du poil l’imaginaire philistin.
Attardons-nous davantage sur /l’école de la régulation/, qui raconte quant à elle des fables pour un autre public, méfiant à l’encontre des vertus universelles du marché et soucieux de réguler le cours du capital dans un sens plus favorable aux travailleurs. Les fables ici s’adressent à l’imaginaire socialiste, celui de l’Etat régulateur du marché, de la solidarité fiscale et de la propriété collective.
C’est ainsi que pendant les trente glorieuses, un régime de croissance " fordiste " aurait permis la sécurité des ressources des travailleurs et l’intégration de la classe ouvrière sur la base d’une propriété collective résultant d’un compromis institutionnalisé entre patronat et syndicats. Ce compromis laissait les mains libres au capital dans la gestion des entreprises contre une garantie par l’Etat des dispositifs conventionnels réglant les salaires directs et la protection sociale, de sorte que la production de masse trouve les débouchés stables et le cadre de long terme dont le capital avait besoin.
Le nouveau régime de croissance " patrimonial " qui lui succède aujourd’hui après deux décennies de crise reposerait sur un autre cercle vertueux. Les ménages des pays les plus développés, vieillis et n’ayant plus besoin d’investir dans le logement alors qu’ils ont davantage de revenus, se tournent vers l’épargne financière, d’autant plus attractive que le financement des entreprises est passé du crédit bancaire à l’appel au marché des capitaux. Ce mouvement de patrimonialisation de la monnaie est un fait irréversible qu’il s’agit non pas de combattre mais d’aménager au profit des salariés en faisant des syndicats les copropriétaires des fonds de pension et donc des entreprises en particulier multinationales. Comme le dit Aglietta : /"Autant le fordisme avait été l’époque de l’intégration des salariés par la possession de biens durables, autant le nouveau régime de croissance repose sur la progression du patrimoine financier des ménages. (...) La demande globale qui soutient la croissance dépend positivement des dividendes versés et de la hausse de la bourse qui permet aux ménages de s’endetter pour consommer avec leurs titres pour garantie. Ce régime de croissance est en train de s’imposer dans les pays européens"/./ /Avec les fonds de pensions, /"il existe un pouvoir virtuel des salariés en tant que propriétaires collectifs du capital. Pour qu’il devienne réel, il faudrait que la gouvernance des entreprises se traduise par des normes qui expriment les intérêts collectifs de ces salariés ; or aujourd’hui ils sont passifs face à la logique de concurrence financière"/ (Aglietta 1998, p. 152 et 155) <http://pagesperso-orange.fr/epinore...> .
On le voit : la fable régulationniste développe donc aujourd’hui une argumentation en faveur de l’épargne salariale comme facteur de démocratisation du gouvernement d’entreprise et comme régulateur de la demande. Mais elle n’en reste pas là. Ecoutons encore Aglietta. Dès 1997 <http://pagesperso-orange.fr/epinore...> , dans la postface de la réédition de son ouvrage fondateur de la théorie de la régulation, /Régulation et crises du capitalisme/, il préconisait le remplacement de la socialisation du salaire telle qu’elle prévaut dans les pays continentaux de l’Union européenne par le binôme fonds de pensions/allocation universelle, forme exacerbée du binôme épargne salariale/fiscalité redistributive qui définit les réformes en cours de la rémunération en Europe. Ainsi, il appelait de ses vœux d’un côté /"la montée d’un actionnariat salarié prenant le contrôle des fonds de pension"/. Car si /"on peut repérer dans les investisseurs institutionnels la médiation sans doute la plus importante du nouveau régime de croissance"/, les anglo-saxons les cantonnent dans un rôle d’intermédiaires de l’épargne individuelle, /"conception insuffisante"/ qui /"ne capte pas la dimension financière du rapport salarial"/. Or /"les investisseurs institutionnels sont les agents potentiels d’un actionnariat salarié". /Pour les syndicats, /"le contrôle de l’actionnariat des entreprises est la bataille qu’il faut livrer et gagner. Le développement des fonds salariaux est la médiation primordiale pour que le capitalisme d’Europe continentale demeure une variété distincte du capitalisme anglo-saxon"/. Mais à côté de /"ceux qui tirent parti de la modernité technologique et de la mondialisation"/ et de/ "ceux dont les positions économiques demeurent protégées par des statuts ou des clientèles",/ il y a /"les exclus". /Comme ces derniers sont /"sans levier économique"/ (ceux-ci sont réservés en particulier au premier groupe, celui-là même qui a vocation à participer à la gouvernance des transnationales à travers les fonds salariaux), /"une politique pour la solidarité ne peut (...) venir du jeu économique. Elle ne peut être portée par des intérêts socioprofessionnels comme l’a été le développement des droits sociaux au cours de l’ère du fordisme. La réaffirmation de la solidarité passe aujourd’hui par la réhabilitation de la politique (...). Il faut pouvoir reconquérir le sens de la démocratie à sa racine : la solidarité comme valeur collective (...). C’est la seule voie pour faire de la cohésion sociale un besoin compatible avec l’ouverture des sociétés salariales sur la mondialisation". /Pour cela, /"l’Etat-providence"/ doit subir/ "une réforme complète"/. Comment ? Aglietta préconise alors, en contrepoint des fonds de pensions, l’allocation universelle : /"La logique qui consiste à fiscaliser tout ce qui dans la protection sociale ne ressort pas de l’assurance résulte de l’évolution des sociétés salariales modernes. La démarche politique de la solidarité en tant qu’attribut de citoyenneté remplace l’approche socioprofessionnelle qui est affaiblie par la destruction des corporatismes sous l’impact du progrès technique et de la mondialisation. (...) Le temps est venu pour qu’un projet politique engage une réforme radicale de la redistribution. Il s’agit d’instaurer un revenu minimum garanti, moyen économique des droits inconditionnels du citoyen (...) Aide aux individus et pas aux entreprises, il corrige les inégalités résultant des grandes différences de salaires et permet d’employer des travailleurs à faible qualification et basse productivité. Le mécanisme de redistribution consiste à définir le montant d’un transfert forfaitaire sans condition de ressource. Corrélativement on détermine un impôt à taux uniforme et prélevé à la source sur tous les revenus quelle que soit leur nature. Enfin on y superpose un profil progressif par une surtaxe sur les hauts revenus"/ (Aglietta 1997, p. 461-63 et 471-75).
Constatons-le sans plaisir extrême : l’efficace des fables régulationnistes est redoutable. Redoutable parce qu’elles nourrissent une lecture socialiste de l’évolution du capitalisme (régulation étatique, solidarité fiscale, propriété collective) qui, finalement, est plus en situation de s’opposer à sa lecture communiste que les fables libérales.
La première, celle du fordisme, élevée aujourd’hui à la dignité de programme officiel dans l’enseignement des sciences économiques et sociales au lycée, rejoint le sentiment spontané des salariés de bonne volonté qui pensent qu’on ne peut se battre que pour obtenir ce que les patrons sont prêts à donner, tout en flattant l’apparente radicalité de ceux qui tiennent la CGT pour traître à la révolution : élaborée au lendemain de 1968, la thèse du compromis institutionnalisé présente comme un besoin du capital la socialisation du salaire que le mouvement ouvrier avait pourtant expérimentée, y compris dans sa chair, comme une conquête. Cette façon savante, et de gauche, de dire que la lutte ne paie pas a joué un rôle non négligeable dans la tétanie collective des deux dernières décennies. De même, la naturalisation positiviste du lien entre salaire et fordisme a conduit à déclarer forclos " l’équivalent général salaire " dès lors que les règles du " régime de croissance " avaient changé : ce qui n’a pas été pour rien dans l’espèce d’invalidation de la bataille pour le salaire dont nous payons aujourd’hui le prix fort. Quant à la lecture de la socialisation du salaire en terme de " propriété sociale ", elle entretient le déni des potentialités a-propriétaires et a-étatiques de la cotisation sociale. C’est parce qu’ils contribuent à cette hégémonie autour de l’imaginaire socialiste que les travaux d’Aglietta ou de Castel ont connu un tel succès (Friot 2000 <http://pagesperso-orange.fr/epinore...> ).
Quant à la seconde fable régulationniste, celle du patrimonialisme, sa capacité à accompagner le recul du salaire au bénéfice du binôme articulant un revenu garanti et de l’épargne salariale lui assure une audience sur les deux fronts des supplétifs de la finance et des humanitaires de la solidarité, ce qui fait pas mal de monde même s’il s’agit souvent des mêmes. Et là encore, soulignons combien nous n’avons pas affaire à un imaginaire libéral, mais à celui de la social-démocratie revisitée par la seconde gauche. J’ai montré ailleurs (Friot 1999) le rôle décisif joué par le gouvernement Rocard dans les mutations en cours en matière de salaire et de protection sociale. On ne le dira jamais assez : Rocard l’a rêvé, Juppé l’a raté, Jospin le fait.
J’entends certes les collègues régulationnistes se récrier : on nous attribue là un rôle excessif : les idées n’ont pas tant de poids. Et puis c’est la vulgate tirée de nos travaux qui est utilisée dans le débat d’idées, pas nos travaux eux-mêmes, beaucoup plus dialectiques. Je ne suis pas d’accord. L’imaginaire est décisif dans l’action. Et les chercheurs sont évidemment responsables de la vulgate tirée de leurs travaux ! Ils ne lancent pas des bouteilles à la mer, et ils ont une responsabilité idéologique qu’ils ne peuvent accepter d’endosser, c’est vrai, que s’ils admettent que les " sciences sociales ", dont le sujet est l’humanité, travaillent sur le registre de la liberté et donc de l’imaginaire.
Cela dit, la vulgate régulationniste est-elle si infidèle aux fables dont elle est tirée, fondamentalement positivistes ? La régulation propose à chaque fois une explication miraculeusement fonctionnelle de l’évolution de la rémunération : hier le fordisme, aujourd’hui le patrimonialisme. Ce positivisme certes ne lui est pas propre puisqu’il est essentiel à la science économique, même quand elle se dit économie politique. Dans ce jeu de barbichette de l’orthodoxie et de l’hétérodoxie académiques, tout discours de la contradiction est absent, la politique est invalidée, sauf si elle est rabattue sur la gestion.
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4.POUR UN IMMAGINAIRE COMMUNISTE DU SALAIRE
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Comment tenir un discours qui rejoigne l’imaginaire révolutionnaire, celui de ceux qui n’ont pas renoncé à changer le monde ? Si l’économie académique invente des fables fonctionnelles qui évacuent la politique, la critique de l’économie invente des fables contradictoires en mesure de rendre compte de la lutte des classes. La fable du salaire socialisé proposée ici a cette ambition. Après tant de luttes qui sont loin d’avoir échoué, le salaire est porteur d’une visée communiste. Le dénier n’a pas été rédhibitoire tant que la classe ouvrière était à l’offensive, mais est devenu catastrophique lorsque la classe dirigeante a repris la main. L’urgent aujourd’hui est d’inventer un imaginaire communiste du salaire, ce qui est d’autant plus paradoxal que la tradition marxiste identifie salaire et aliénation. Ce qui n’est pas faux non plus, bien sûr, mais très unilatéral.
a) Les potentialités révolutionnaires du salaire socialisé
Alors que l’allocataire et le rentier sont deux figures classiques de la force de travail à quoi le capital tente de réduire les individus, le salarié est une figure tout à fait nouvelle que les luttes salariales du siècle ont en Europe continentale chargée de potentialités révolutionnaires. Ces potentialités sont inscrites dans la socialisation du salaire. Je reprends ici quelques points essentiels développés dans mes ouvrages.
D’une part, le salaire socialisé ouvre à chacun la possibilité d’être payé à utiliser librement son temps par extension de la situation des retraités aux moins de soixante ans : baisse drastique de la durée hebdomadaire de travail à salaire égal, salaire pour les chômeurs et les jeunes. Soit un /dépassement du destin de force de travail/. En effet, si le salaire est socialisé, les ressources de chaque salarié (occupé, chômeur ou retraité) ne sont pas la contrepartie de la force de travail (ou du capital humain) dont il serait le propriétaire. C’est la part des richesses créées par le travailleur collectif qui revient à chacun selon sa qualification ou celle de son poste, politiquement définies. Et plus ce travailleur collectif est productif, plus les salaires (directs et indirects) reconnaissent, à côté du temps de travail contraint qui va en s’amenuisant, le temps individuel libéré. Les retraités sont actuellement l’exemple le plus massif de ce que la socialisation du salaire oblige les employeurs à payer les pensionnés sans aucune contrepartie en travail contraint de leur part. La ruse de cette histoire où les employeurs ont répondu par des cotisations sociales aux revendications de hausse des salaires est que plus le travail est productif, plus le salaire paye les individus à ne rien faire pour le capital.
D’autre part , le salaire socialisé offre à la question du financement d’engagements aussi lourds et d’aussi long terme que ceux pris envers les retraités une réponse qui rend inutile toute accumulation financière : la mutualisation du salaire courant, qui est précisément l’antithèse d’une prétendue " propriété collective ". Sur ce modèle il est possible évidemment de mut ualiser l’investissement productif, qui représente des engagements plus faibles en flux annuels et plus vite amortis. Soit /la suppression de l’accumulation financière et de la propriété lucrative/ (à bien distinguer de la propriété de jouissance, qui n’est évidemment pas en cause). En effet, la cotisation sociale se substitue à toute accumulation financière préalable à la distribution des pensions, et là encore, cette expérience peut conduire à s’interroger sur l’intérêt de continuer à légitimer la propriété lucrative et l’accumulation financière inter-temporelle par la nécessité de financer des engagements massifs et de long terme, alors que la mutualisation à grande échelle des flux courants des richesses produites par le travail courant suffit. Après tout, ce qui est bon pour les retraites pourrait l’être pour l’investissement, et alors c’est toute l’armature idéologique du capital qui est mise en question.
Enfin, la socialisation du salaire introduit la possibilité d’une délibération politique de la répartition à travers la remise permanente sur le chantier de la définition des qualifications, et sur ce modèle la délibération politique de l’investissement. Soit /l’instauration d’un ordre public qui soit en permanence contestation de l’ordre des choses/. En effet, au cœur de la socialisation du salaire, il y a l’inscription des individus dans l’espace du salaire par la médiation de la qualification. La qualification n’est pas un autre nom du " capital humain " ou de la " force de travail " chosifiée dont j’ai récusé qu’ils soient la contrepartie du salaire. Répétons-le, l’individu, dans la logique du salaire socialisé, n’est pas celui qui intériorise son aliénation au capital au point de se revendiquer comme titulaire d’une force de travail, d’un quantum de valeur dont on pourrait prendre la mesure dans un salaire d’activité qui, partiellement différé, assurerait ses ressources sur l’ensemble de son cycle de vie. Dans une telle vision, il n’y a pas de place pour la politique : tout au plus pour un affrontement entre groupes sociaux afin que le partage de la valeur ajoutée s’ajuste au mieux sur la répartition idéale dictée par les contributions productives de chacun. On n’est pas sorti de la propriété (d’un capital humain) comme base de la citoyenneté. La politique n’est possible que dès lors qu’on a renoncé à l’économisme de la contrepartie, qui maintient chacun dans son rôle. C’est la politique, précisément, qu’inscrit dans la répartition des richesses la distribution du salaire selon une définition des qualifications toujours remise sur le métier au long des conflits et négociations des statuts ou des conventions collectives. Si on y ajoute la délibération de l’investissement qui sera rendue possible par sa mutualisation, c’est au cœur même de l’économique qu’est placée la politique, ce qui brise un tabou essentiel au maintien de la logique capitaliste.
Selon un tel point de vue, si la protection sociale fondée sur le salaire, et avec elle toute la sécurité liée à celui-ci, sont en recul depuis les années quatre-vingts, ça n’est donc pas parce que nous aurions changé de régime d’accumulation, comme le veut le positivisme économiciste de l’école de la régulation. C’est parce que la socialisation du salaire a introduit une possibilité de subversion de la logique capitaliste telle que dans les années soixante-dix la classe dirigeante, qui jusqu’ici répondait par des concessions pragmatiques de cotisations-prestations sociales aux revendications salariales portées par une très forte conflictualité, a tenté de reprendre la main en réduisant l’espace du salaire. Les coups portés ont été également idéologiques au point que le salaire n’est plus au centre des revendications syndicales. C’est parce que la révolution du salaire est tenue en échec que la classe dirigeante s’engouffre dans le vide revendicatif et politique laissé par le mouvement ouvrier pour tenter de substituer au salaire socialisé le couple, traditionnel mais adapté aux réalités nouvelles, de l’allocation pour les invalides ou les valides invalidés et de la rente pour les héros positifs du capital humain.
b) Assumer radicalement la nouveauté du salaire
Ce vide tient, en tout cas dans le champ des idées qui me préoccupe, à ce que le mouvement ouvrier, porteur de l’offensive des années 35-70, a perdu depuis sa capacité de récit autonome de sa lutte pour le salaire. Il a par exemple adopté le récit du fordisme, de l’intégration dans le plein emploi des " trente glorieuses ". A quoi bon, dans ces conditions, vouloir changer le monde s’il n’y a d’histoire que du capital ? Et puis, à s’obstiner à répéter que le salaire est le prix de la force de travail (ou, version académique de la même " chose ", du " capital humain "), le mouvement ouvrier n’est pas en mesure de se battre au niveau de ses conquêtes, qui ont fait que le salaire, parce qu’il nous libère de notre destin de force de travail et rend caduque la propriété lucrative, nous permet d’entrer dans une histoire politique. Pour bien mesurer la radicalité du nouvel imaginaire du salaire à déployer pour replacer l’affrontement sur le salaire au centre de l’affrontement de classes, c’est dans le communisme qu’il s’agit de l’inscrire. Non pas le communisme d’après-demain, toujours à venir après la nécessaire étape socialiste dont sait ce qu’elle donne : il n’y a pas de vrai socialisme qu’auraient défiguré les pays socialistes et que dévoieraient aujourd’hui ceux que nous appelons à tort des " libéraux de gauche ". Le communisme est à l’ordre du jour, et la classe dirigeante est actuellement en mesure de s’y opposer parce qu’elle a construit une hégémonie qui emprunte massivement, dans un pays comme le nôtre, à l’imaginaire socialiste.
Reprenant les potentialités révolutionnaires du salaire socialisé, j’esquisse trois dimensions d’un imaginaire communiste du salaire.
A CHACUN SELON SES BESOINS Contre l’imaginaire socialiste de la fiscalité redistributive, la socialisation du salaire nous permet d’en finir avec l’idéologie de la contrepartie (le salaire contre la force de travail), et c’est l’action en vue de son universalisation qui nous permettra d’affronter le binôme allocation universelle/rente salariale. Se battre pour le salaire universel, c’est se battre pour que le salaire nous paie de plus en plus à ne rien faire pour le capital parce que les gains ne productivité du travail nous reviennent sous forme de cotisations sociales patronales supplémentaires : pour que des cotisations patronales accrues puissent financer une baisse considérable de la durée hebdomadaire du travail contraint, le maintien du salaire en cas de chômage et de retraite, toutes les dépenses de santé et de logement, un salaire pour étudier. Lutter pour le salaire, c’est lutter pour être payés à utiliser librement notre temps, cette liberté de ne rien faire, c’est-à-dire de travailler librement, qui seule nous permettra de participer à la gestion des entreprises et de la cité.
DEPASSEMENT DE LA PROPRIETE LUCRATIVE. Plus nous promouvons le salaire pour financer des engagements aussi massifs et de long terme que ceux que je viens d’énoncer, plus nous montrons que l’accumulation financière est inutile pour financer … l’investissement, qui représente des engagements de plus faible portée. Certes l’activité économique et sociale suppose des équipements physiques durables : mais comme les pensions de retraite ils peuvent être financés par le flux courant des fruits courants du travail courant, sans aucune accumulation financière d’une période à l’autre. Loin que le salaire et sa mutualisation dans les cotisations sociales soient dépassés, c’est au contraire sur leur modèle qu’il faut préconiser, contre l’imaginaire socialiste de la propriété collective, une mutualisation de l’investissement. Lutter pour le salaire dans un imaginaire communiste, c’est faire advenir ce que sa socialisation actuelle porte de contestation radicale de toute propriété lucrative.
DEPERISSEMENT DE L’ETAT. Lutter pour le salaire, au contraire d’être le réflexe corporatiste dénoncé par la classe dirigeante (qui comme chacun sait agit pour l’intérêt général), est un engagement en faveur des instances de sa délibération politique. Le salaire est distribué selon les règles des conventions collectives et des caisses de sécurité sociale : à nous de nous emparer de ces instances pour en faire des lieux centraux de l’exercice de notre souveraineté, où nous débattons de la part qui revient à chacun des richesses créées. Avec la mutualisation de l’investissement, cette délibération s’étendra à la production des richesses et donc à l’organisation du travail dans les entreprises. Droit de salaire pour tous ! La garantie constitutionnelle du salaire universel ne sera possible qu’en affrontant la question du fondement de la citoyenneté dans la définition politique de la qualification. Droit pour chacun, loin qu’il soit enfermé dans son " capital humain ", de troubler l’ordre établi en participant à une constante redéfinition de sa qualification lors de la délibération publique des salaires, dans une action collective soutenue par les pouvoirs publics.
Jamais la classe dirigeante ne laissera faire ? C’est évident. Mais alors, c’est la révolution ? Bien sûr. La détermination de la classe dominante à s’opposer à toute affirmation du salariat et à promouvoir le couple bereridgien de la rente et de l’allocation suppose une lutte explicite pour le remplacement du droit de propriété lucrative par le droit de salaire comme droit politique central.