Accueil > BHL pris de vertige américain
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Quand on est grillé chez soi, rien ne vaut d’aller voir ailleurs pour s’y refaire une virginité et rentrer au pays en vainqueur. Il y a un peu de cela dans la démarche de Bernard-Henri Lévy, lequel n’est pas vraiment ressorti à son avantage de la pluie de biographies qui s’est abattue sur lui en France ces deux dernières années. Le Tocqueville de La Démocratie en Amérique ayant urgemment besoin qu’un héritier et compatriote digne de lui mît ses pas dans ses traces, Lévy s’est présenté à la douane. Il faut dire qu’il y avait été fortement encouragé par l’accueil précédemment réservé à son enquête sur Daniel Pearl par les médias américains les moins regardants. Une icône était née : le philosophe médiatique français. Lorsqu’ils découvrirent que de surcroit, celui-là ne maudissait pas l’Amérique et que, tout au contraire, il se disait prêt à faire la guerre à l’anti-américanisme, on lança de vibrants allelujah.
Bref, son reportage sur l’Amérique de Bush parût dans un premier temps dans les colonnes de The Atlantic Monthly qui le lui avait commandé, puis ces jours-ci en librairie par les soins du groupe Random House et en mars en français chez Grasset. Il est intéressant de voir comment se met en branle la machine de promotion, là-bas comme ici, mais à l’échelle américaine, pour un intellectuel français -le premier semble-t-il à bénéficier d’un tel traitement. Le correspondant new yorkais des Echos Nicolas Madelaine peut à bon droit évoquer "une campagne de marketing choc" à propos de son traitement par les éditions Random House, de la même ampleur que celui réservé d’ordinaire à des Salman Rushdie et Norman Mailer. Le marketing en question va plus loin qu’un très gros budget réservé à la publicité, à la mise en place, à la distribution et surtout au Grand Tour des librairies de ce pays-continent, d’autant plus remarquable chez auteur qui se flatte de snober leurs équivalents français à commencer par le Salon du Livre de Paris. Random House, qui a eu accès aux courriels de réactions des premiers lecteurs du livre testés par la prépublication dans The Atlantic Monthly, les a fait analyser et s’en est servi pour y adapter son marketing.
Si l’on en croit le correspondant du Figaro, les débats font salle comble, BHL est le héros de la pensée que l’Amérique s’arrache, c’est à dire pour l’instant les milieux people de la politique, du milieu littéraire et du petit monde universitaire de New York et de Washington. Plus décolleté que jamais malgré le grand froid, il déclenche des tonnerres d’applaudissements en réclamant devant des parterres démocrates "la destitution de George Bush par les forces démocratiques", ce qui ne manque pas d’audace effectivement. Parfois le show tourne au match lorsqu’on lui oppose un adversaire de poids tel que la tête pensante des néoconservateurs Irving Kristol, ainsi que le souligne Corine Lesnes dans Le Monde.
Encore le reporter du Figaro concède-t-il tout de même que son American Vertigo est "diversement reçu par les critiques américaines". Dans le langage Quai d’Orsay, on appelle cela "un accueil contrasté". Nous ignorons à l’heure où nous mettons sous presse les réactions du Lakeville Sentinel et du Greenfield Inquirer qui ne manqueront certainement pas de s’inquiéter de l’imminence de l’événement. Mais nous savons déjà par Corine Lesnes que le Los Angeles Times s’étonne de ce qu’au cours de son périple, notre philosophe faisant pipi sur le bord de la route ait pu échapper à une lourde condamnation pour exhibitionnisme car le flic qui l’avait arrêté était un lecteur de Tocqueville... Mais ceux qui se sont déjà exprimés ne manquent pas d’intérêt, même s’ils ne semblent guère s’être aperçus que parti tel un sous-Tocqueville pour écrire un néo-De la Démocratie en Amérique, BHL est arrivé de son propre aveu en Bernard-Henri Barthes produisant finalement des Mythologies made in USA. C’est d’autant plus piquant que le nom de Tocqueville figure en sous-titre sur la couverture et que dès l’incipit, l’auteur déplore la méconnaissance et l’indifférence des Français pour le grand homme.
New York magazine, sous la signature de Carl Swanson, publie un papier intitulé American psychoanalyst (merci Bret Easton Ellis !) dans lequel l’intellectuel est ridiculisé en rockstar pas vraiment animé par la haine de soi, dandy baudelairien marié à une belle extra-terrestre, parcourant les Etats-Unis dans une voiture avec chauffeur -ce que BHL justifie par son absence de permis ("une infirmité") sans songer que celui qui prétend vouloir connaître un pays ferait mieux de s’en remettre d’abord à ses deux pieds et aux transports en commun (pas besoin de permis pour ça). Le critique note que BHL a réussi à regarder Sharon Stone dans les yeux tandis que qu’elle décroisait les jambes, et à trouver une chef Indien qui fut antisémite. Bref, l’explorateur a passé du bon temps en Amérique :"Aussi bon qu’un week-end à l’hôtel du Cap" reconnaît BHL.
Le New York Times, lui, a consacré a ouvert son supplément littéraire avec le livre. C’est la seule chose positive que l’éditeur et l’auteur peuvent en retenir. Car pour le reste, c’est une exécution en règle mais, comme le précédent, sur le mode de l’humour et de la dérision. Comme si l’un et l’autre avaient du mal à prendre BHL au sérieux, en quoi ces médias souffriraient d’un tropisme bien français, ceux dont on ne saurait les blâmer. Garrison Keillor l’évoque d’emblée d’un ton moqueur comme un penseur à paillettes, une sorte d’illusionniste qui a fait de ses notes de voyage "a sort of book". Il a lu ces 300 pages à la loupe et outre, qu’il n’a reconnu personne, en a conclu que dans l’Amérique de BHL personne ne rit jamais, il n’y a que des obèses, nul ne travaille vraiment. Un livre pour les Français dont il se demande bien pourquoi il a été traduit en anglais. "Comme toujours avec les écrivains français, Lévy est un peu court sur les faits, et plutôt long dans ses conclusions" écrit-il, avant de conclure un papier drôle et argumenté :" Merci d’être venu. Faites attention à la porte en partant. Dans votre prochain livre, parlez-nous des émeutes de banlieue en France. Qu’est-ce qui s’est passé au juste ? Des gros étaient-ils impliqués dans les événements ?"
A les lire, The American vertigo n’est qu’une enfilade de lieux communs. Guettons les autres réactions au fur et à mesure de la tournée. On saura dans moins de deux mois si les échos flatteurs, car dûment sélectionnés, d’une coûteuse campagne de promotion au lointain suffiront à transmettre le vertige américain au public français.
Messages
1. WOID #XIV-26. L’amour avec un moustique / Love with a mosquito , 29 janvier 2006, 20:19
Un intello français qui essaie de faire l’Américain c’est comme un chien qui marche à quatre pattes : pas la peine d’en parler.
Ce "pas la peine", au cas où vous ne l’auriez pas remarqué (et personne n’a remarqué, ici aux USA), c’est Bernard-Henri Lévy, le candidat de la bourgeoisie française pour remplacer Lévi-Strauss, Barthes, Lacan, Derrida, Foucault, etc.
BHL, paraît-il, a pris l’Amérique d’assaut, un peu comme Johnny Halliday. Beaucoup comme Johnny Halliday, c’est-à-dire pas du tout, avec un livre sur l’Amérique. L’humoriste Garrison Keillor, dans une critique sans merci à la une du Sunday Times Book Review, remarque qu’en fin de compte ce livre ne s’adresse pas aux Américains mais aux Français. Comme Jauni.
Seulement le choix de Keillor est significatif, puisque Keillor est le spahi du Midwest Américain comme BHL est le spahi de la bourgeoisie française : les deux ensemble sont comme ces esclaves gladiateurs au cinéma, l’un noir, l’autre blanc, combattant dans l’arène pour le plaisir des Romains. Frantz Fanon a remarqué qu’il y a dans toutes les colonies quelques bons petits toutous intellectuels pour rappeler au maître qu’eux aussi ils ont une culture. Et c’est encore Fanon qui remarque que le maître s’en fout la gueule. ce qui est précisément la façon dont les Américains ont accueilli BHL.
Le plus triste c’est que BHL est un reflet fidèle aux Américains de la capitulation complète, idéologique et culturelle et surtout économique, de la bourgeoisie française devant l’impérialisme Américain. Au moins avec Jauni il y avait les jeans et la mauvaise tête et le rock, et si la copie était mauvaise, dans l’original il y avait motif à fierté. Mais qu’est-ce que BHL apporte aux USA, puisque son rôle est de rappeler aux Américains (pour l’édification des Français) qu’on pense comme eux ? Ici à New York on aimerait mieux une bonne baguette.
A French intellectual who tries to think like an American is like a dog standing on all four : Big Fat Hairy Deal.
BHL for short. In case you hadn’t noticed (and nobody has in America), Bernard-Henri Lévy, the French Right’s answer to Lévi-Strauss, Barthes, Lacan, Derrida, Foucault, etc. has been taking America by storm with his new book about America.
Yeah, like Jauni Allidé. Remember Jauni’s rave reception in Vegas ? "Eef you’re looking for ze trouble, paDApadaDA, you have come to ze appropriate bureau !" But as Garrison Keillor pointed out in a viciously funny review in today’s Sunday Times, this isn’t a book for Americans, it’s all for the French market. Like Jauni.
The choice of Keillor’s interesting, though, it reminds me of that scene in gladiator movies where the two slaves, the black and white, are pitted against each other in the Roman arena. Keillor’s the Gunga Din for Minnesota just as surely as BHL’s the Gunga Din for the French business class. As Frantz Fanon pointed out, in a colonial situation there are always a few doggy-loyal intellectuals eager to show their masters that they, too, have a culture. And as Fanon again points out, the Master doesn’t give a rat’s ass either way, which is pretty much the way Americans have welcomed BHL.
The embarrassing part is, that BHL gives Americans a dog-faithful image of the go-down attitude of the French business class before American imperialism, cultural, ideological and especially economic. At least from Jauni the French borrowed Rock and jeans and bad attitude, and that was something Americans could be proud of : not that it was well done, but that it was done at all. But what can Americans borrow from BHL, since the purpose of BHL is to show Americans (for the edification of the French) that French intellectuals think as they do ? Gimme a baguette.
– Monsieur Defarge