Accueil > Batman et Gotham City
Désormais pris en main, ficelés, enserrés, corsetés dans un appareil législatif et pénal particulièrement subtil, les citoyens-électeurs que nous sommes, que vous êtes, font depuis quelques temps l’objet de tests destinés à apprécier leurs réactions face à la résistance éventuelle à la mise à bas des institutions de la République. Il est vrai que les consultations nationales approchent et que sur un terreau largement fertilisé par une décoction nauséabonde de populisme et de démagogie, la question ne sera pas d’être élu, mais bien d’être réélu en fonction d’ investitures préalablement consenties par des représentations parlementaires qui n’imaginent pas un seul instant prendre en considération l’idée et les aspirations d’un multipartisme. Immigration, sécurité publique, justice, les coups de sonde portés par le candidat autoproclamé sur ces différents thèmes n’ont pas d’autre but en effet que de tenter d’accréditer l’idée que les fondations et les portes de la Cité sont vermoulues à un point tel qu’elle serait déjà prête à se rendre à l’envahisseur-sauveur-rénovateur, artisan de la "rupture." Est-il besoin de dire que le procédé est à mes yeux inacceptable ?
"Le drame dans la superposition de ces événements - dénigrement de la Justice par ceux qui ont vocation à la soutenir, et renforcement sans limites des pouvoirs de police contre les petits -, c’est qu’il en coûtera à la société tout entière", écrivait déjà Denis Sieffert au mois de février 2004. "Seul pourrait y remédier un autre discours, résolument alternatif. Malheureusement, poursuivait-il, on ne sent guère l’opposition de gauche apte à le tenir. Du coup, ce sont les magistrats et les avocats qui font entendre aujourd’hui une voix de résistance. Devant de tels enjeux, ils n’auraient pas dû être seuls à descendre dans la rue. Mais l’indifférence, alimentée par le sentiment largement répandu qu’on ne cognera jamais assez fort sur les nouvelles classes dangereuses, est aussi l’expression du malaise de notre société." Denis Sieffert, Comme un malaise, Politis, 12 février 2004, sur http://www.politis.fr/article841.html
Vision prémonitoire ? Non pas, car le malaise persiste. D’abord subtile, imperceptible, l’érosion des Institutions a cédé la place à la montée en puissance d’une véritable politique du chaos savamment orchestrée par un provocateur dont un président de la République respectueux de ses fonctions, c’est-à-dire soucieux de veiller au respect de la Constitution en étant véritablement garant de l’indépendance et de l’autorité judiciaire comme la Constitution dont il est le gardien lui en fait l’obligation (Titre VIII, Art. 64 Alinéa 1 de la Constitution du 4 octobre 1956), aurait dû immédiatement se séparer. Or il ne s’est une fois de plus rien passé, comme si les plus hautes autorités de l’Etat avaient abdiqué. C’est effectivement ce qui advenu, le Garde des Sceaux Ministre de la Justice lui-même ayant quasiment acquiescé. Comme si encore les deux représentations partisanes qui monopolisent depuis vingt-cinq ans le débat démocratique et l’alternance politique de la France avaient tacitement décidé de passer à la trappe l’importance et la signification de la démarche de protestation entreprise le jeudi 21 septembre dernier auprès du président de la République par le premier président de la Cour de Cassation, M. Guy Canivet. Serait-ce parce qu’elles n’ont pas compris ce que signifiait à l’heure actuelle, à quelques mois des élections présidentielles, la stigmatisation par ce haut magistrat de l’intervention publique du ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, mettant en cause le fonctionnement de l’institution judiciaire, opposant les institutions publiques et affaiblissant tout autant le crédit de la Justice que l’autorité de l’Etat ? N’ayons crainte. Elles ont parfaitement compris ce qu’il en était mais ont préféré, comme à l’accoutumée, privilégier la fuite en avant, les querelles d’investitures et les acceptations "le coeur sur la main" de la lourde mission de conduire la France vers le destin qui est le sien.
Et voici que lors de la journée parlementaire de l’UMP qui vient de s’achever, le ministre de l’Intérieur n’a pas tari d’éloges pour un gouvernement "qui a bien travaillé", obtenu une baisse du chômage et une croissance "qui fait envie en Europe" et rallié, selon lui, les autres pays européens à ses positions sur l’immigration. "Ça fait un bon bilan", a-t-il ajouté en présence du Premier ministre. "Ça fait un bon gouvernement et ça ne me gêne pas non plus de le dire, ça fait un bon Premier ministre, cher Dominique." Rappelant que M. de Villepin et lui-même avaient conclu en 2005, après la victoire du "non" lors du référendum sur la Constitution européenne, à la nécessité de travailler ensemble "au-delà des différences, au-delà même des concurrences, au-delà des sentiments", le ministre de l’Intérieur s’est alors interrogé : "Est-ce que cette analyse a changé aujourd’hui ? Non", a-t-il déclaré. "Il est Premier ministre. Un jour peut-être, par extraordinaire, je peux être un candidat. Est-ce qu’il y a quelqu’un qui pense que nous serions assez sots pour imaginer que dans un pays de 62 millions d’habitants on n’a pas besoin de tout le monde pour gouverner et pour gagner ?" "C’est une question de réalisme et de lucidité", a donc ajouté M. Sarkozy, sans manquer d’insister sur son propre bilan à la tête de l’UMP, qui devrait, sauf coup de théâtre, faire de lui son candidat à l’Elysée en janvier prochain. Sauf coup de théâtre ? Nul ne peut prédire ce que sera l’avenir au sein de l’UMP, mais à l’extérieur ?
Et si par hasard, à l’instar de cet outsider qui vient de remporter le prix de l’Arc de Triomphe, quelqu’un se levait pour refuser qu’un "posse" prenne le pouvoir ?
Et si la Nation toute entière se préparait à signifier une fin de non-recevoir aux candidats et zélateurs d’un système politique bipartisan désormais obsolète ?
Et si la France toute entière décidait contre toute attente de dire haut et fort qu’elle n’est pas Gotham City et qu’elle n’a que faire d’un pseudo-Batman et encore moins d’un Sheriff pour être gouvernée avec intelligence et respect ?
Et si elle refusait tout simplement que soit perpétré un coup d’Etat rampant en privilégiant un candidat nouveau, inconnu du Public, véritable arbitre, au-dessus de toutes les factions partisanes, disposant d’une vision nouvelle riche d’invention et d’avenir ?
"Le plus puissant de tous les leviers, c’est la volonté." Félicité de Lamennais
renaudbouchard.canalblog.com