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Berlusconi-Veltroni : drôle de match en Italie

Publie le vendredi 11 avril 2008 par Open-Publishing

De Delphine Saubaber, avec Vanya Luksic

Les législatives italiennes vont se jouer entre l’éternel Silvio Berlusconi et Walter Veltroni, figure du renouveau. Ce duel pourrait annoncer une bipolarisation de la vie politique, après des années d’improbables coalitions concoctées avec les petits partis.

Il y a Walter Veltroni qui sillonne la péninsule dans un bus vert écolo et susurre à l’oreille des Italiens déprimés un "Si puo fare" (On peut le faire) proche de l’incantation, comme on tenterait de soulager un grand malade par l’imposition des mains. Et il y a Silvio Berlusconi, le Cavaliere, qui enfourche son cheval blanc pour préparer sa résurrection, la troisième, et, à 71 ans, apprend la modestie. Celui qui s’est longtemps pris pour le "Jésus-Christ de la politique" est redescendu sur terre. "Je ne suis pas Superman", prévient-il aujourd’hui.

Drôle de match, un peu mou, entre les deux poids lourds Super Walter et Sua Emittenza, qui vont s’affronter dans les législatives des 13 et 14 avril. "C’est la campagne la plus étrange, sans bataille, que j’aie jamais vue", estime le politologue Giovanni Sartori, qui en a pourtant connu d’autres. Depuis des semaines, Veltroni a évité d’attaquer Berlusconi frontalement, et même de prononcer ce nom qui obsède et polarise la scène politique depuis 1994, préférant le qualifier de "principal candidat du camp adverse" !

Quant au Berlusconi de la grande époque, le richissime, le tailleur de lois sur mesure pour contourner les ennuis, le pourfendeur des "juges rouges" ou des Chinois qui, sous Mao, faisaient "bouillir les petits enfants", on s’inquiète : qu’est-il devenu ? Le Cavaliere, comme lassé de ses propres scandales, a rendez-vous avec l’éternité, sourire éclatant, lifté, gominé. Là où le commun des mortels perd ses cheveux avec l’âge, lui les a de plus en plus noirs. A Palerme, où on l’accueillait avec des pancartes "Silvio santo subito !" (canonisé maintenant !), comme quand Jean-Paul II est mort, il a juste répondu : "Oui, mais pas tout de suite."

Auparavant, après la reconquête de la présidence du Conseil, il se verrait bien au Quirinal, la présidence de la République, son rêve. Lui demande-t-on, en privé, s’il veut y aller ? Il porte la main à ses attributs, dans ce geste tout italien de la scaramanzia, censé éloigner le mauvais sort ! Prudence, donc. Devant des petits entrepreneurs qui lui demandent de changer la face du monde, ce jour-là, le grand acteur Silvio a beau promettre, comme Veltroni, croissance et baisse d’impôts, il ajoute, entre trois blagues, un mot à son vocabulaire : "Réalisme"

Veltroni prône un "pacte des producteurs et des travailleurs"
Il faut dire que la procession des deux candidats vers le palazzo Chigi, le Matignon italien, se fait en terrain miné. "L’Italie vers la croissance zéro", titrent les quotidiens. Sur fond de quasi-récession, les Italiens sont las du pays ingouvernable, de leur telenovela de querelles et de magouilles, gagnés par l’"antipolitique", dont le comique Beppe Grillo, avec son Vaffanculo Day, le jour du Va-te-faire-foutre, est devenu le haut-parleur. "Après 1992 et la grande opération Mains propres, après le bilan mitigé de Berlusconi de 2001 à 2006, après la chute du gouvernement de Romano Prodi, qui a tant déçu, les politiques savent qu’ils ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête", explique le politologue Marc Lazar.

Les vingt mois de règne de Prodi, le leader de centre gauche, assis sur les fragiles pilotis d’une coalition d’une dizaine de partis, avaient fini par ressembler à une version politique de Survivor. Une coalition qui, en France, serait allée de la communiste Marie-George Buffet au centriste François Bayrou, en passant par toutes les chapelles du Parti socialiste et des Verts. C’est dire si l’attelage était infernal !

Quel homme allait ramener le consensus perdu ? A 52 ans, Walter Veltroni a décidé de jouer le rôle, avec son visage rond et son discours aussi lisse que sa carrière d’ancien premier de la classe du Parti communiste, où il est entré à 15 ans. Lui qui voulait partir en Afrique comme le Dr Schweitzer, après ses mandats à Rome, est resté en octobre, plébiscité lors des primaires du nouveau Parti démocrate, fusion des ex du PCI et des catholiques de gauche. "Dans quel autre pays 3,5 millions d’électeurs, après les 4 millions qui avaient choisi Prodi, se mobilisent-ils pour un parti qui vient de naître et dont on ne connaît pas les statuts ? interroge Marc Lazar. C’est la preuve qu’il existe une Italie très politisée, et Veltroni tente de répondre à cette attente."

Très populaire, l’ancien maire de Rome a su tirer la Ville éternelle de son élégant déclin et lui redonner du lustre (à condition d’éviter les nids-de-poule). Quand ce fou de cinéma ne dîne pas avec George Clooney ou Nicole Kidman, il est sur le front de la solidarité médiatisée. Le Buonista (Bienveillant), comme on l’appelle, déteste les conflits et pratique l’art du grand écart. Sur sa liste, il place un ouvrier rescapé d’un accident du travail à côté d’un grand patron de la métallurgie. Il prône un "pacte des producteurs et des travailleurs" et fait des bons sentiments un instrument de pouvoir.

"C’est du berlusconisme, en mieux"
S’il n’a pas la rigidité bridée d’un D’Alema ni le culot excentrique du Cavaliere, son style, fait de mots simples et caressants, de slogans à l’américaine, aux dépens d’une véritable plate-forme politique, tranche avec celui des vieux bardes.

"Comme son rival, il a la capacité de tout réduire à des symboles, des histoires, note le journaliste de La Repubblica Filippo Ceccarelli. C’est du berlusconisme en mieux, dans cette campagne où la forme l’emporte sur le fond. Car tout s’est effondré : les idéologies, la lire, le pouvoir national, les partis de masse. Il s’est créé un vide, rempli par la communication." Les faits ne sont rien à côté de la représentation qu’on en donne ; Berlusconi, qui a fait de l’Italie un plateau télé, l’a compris le premier. Et dans ce grand casino (bordel) de la transition, Veltroni, avec son parti, auquel on adhère moins pour affirmer une idéologie que pour mettre un pilote dans l’avion, réussit à passer pour l’homme neuf, après plus de trente ans en politique ! Sa qualité ? "Cre-di-bi-le !" s’enflamme Riccardo, 65 ans, après un meeting.

Car l’ami de Ségolène Royal et de Bertrand Delanoë a trouvé le salut : aller seul au combat, en coupant les ponts avec les traditionnels petits partis de la gauche radicale, parachevant ainsi un grand virage vers le centre façon Tony Blair. "Nous vivons l’éclipse de la gauche, se désole le journaliste Valentino Parlato, l’un des fondateurs du quotidien Il Manifesto. Veltroni, c’est du capitalisme compassionnel."

Grâce à lui, pour la première fois depuis 1994, se dessine "une clarification de la vie politique, en marche vers le bipartisme", explique Marc Lazar. Les outsiders laissent même entendre que le Buonista et le Caïman auraient passé une sorte de marché, histoire de faire la peau aux petits partis et de préserver les lendemains électoraux...

Reste que Veltroni joue à quitte ou double. Pour s’imposer, il a pris bien des libertés avec les états-majors des deux mouvements formant le Parti démocrate et les couteaux sont déjà aiguisés... Si, comme prévu, il perd honorablement face à Berlusconi et obtient plus de 35 % des votes - un peu plus que la somme précédente des deux partis -, ce sera un succès. Au-dessous, il pourra toujours partir pour l’Afrique.

http://www.lexpress.fr/info/quotidien/actu.asp?id=469667