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Brésil : la victoire reste possible pour Lula après un ballotage inattendu.

Publie le vendredi 6 octobre 2006 par Open-Publishing

J-Yves Martin, géographe weblog Altergéo http://www.jy-martin.fr/article.php... Dernière mise à jour : le 6 octobre à 23h.

La victoire trop vite admise et annoncée de Lula au premier tour des élections du 1er octobre au Brésil, n’a donc pas eu lieu. Ainsi en ont décidé les électeurs brésiliens. Avec un peu moins de 50% des votes électroniques valides (48,61%), le président sortant devra se soumettre à un second tour, le 29 octobre. Une perspective que ni lui, ni l’entourage présidentiel, ni le PT (Parti des Travailleurs) ne semblaient avoir sérieusement envisagée.

Le candidat unique de la droite, G.Alckmin (PSDB), ayant progressé plus que prévu dans les sondages, obtient 41,64% des voix. Peut-il encore en gagner d’autres, au point de menacer Lula au second tour ?

 Electeurs : 125.913.479
 Abstentions : 21.092.511 (16,75%)
 Votes : 104.820.145
 Votes valides : 95.996.733 (91,58%)
 Votes blancs : 2.866.205 (2,73%)
 Votes nuls : 5.957.207 (5,68%)

Source : Tribunal Superior Eleitoral (TSE)

Lula, spéculant sans doute un peu trop sur son statut de président sortant, n’a guère fait campagne, se dispensant même de participer aux débats télévisés entre les principaux candidats, y compris celui du réseau Globo, à l’avant-veille du scrutin, mais à 22h.30, après les sacro-saintes télé-novelas. Un choix tactique de "la chaise vide", peut-être habile, mais mal ressenti. Les scandales ? Il affirme ailleurs, contre toute évidence, n’en avoir rien vu ni su. [1] Le retour de la droite ? Une menace "golpiste", agitant le spectre de la dictature militaire (1964-1985). En réalité, si ce scrutin présidentiel n’est qu’un demi succès pour Lula, les élections générales associées (Gouverneurs, sénateurs, députés fédéraux et des Etats fédérés) constituent dans le même temps, sauf rares exceptions, un vote sanction pour le PT - y compris dans son bastion historique du Rio Grande do Sul. [2] Ce qui éloigne encore plus la perspective d’une majorité de coalition de gauche pour un éventuel second mandat. Même réélu, Lula sera davantage l’otage du centre droit (PMDB). C’est sans aucun doute aussi pourquoi son programme, rendu public tardivement, à l’inverse de celui de 2002, ne comportait, cette fois, plus aucun engagement chiffré, notamment sur les objectifs de création d’emplois ou sur la réforme agraire.

Dans ces conditions, la campagne dans les rues - toujours aussi colorée et bruyante, comme il est de règle au Brésil - portait-elle plus sur la promotion quasi publicitaire des personnes - avec même une bonne dose de cirque électoral - que sur le fond des enjeux, laissant une part trop belle aux suspicions et imputations réciproques de corruption et de scandales politico-financiers. Notamment, dans les derniers jours, celui de l’achat à prix d’or par l’entourage présidentiel, d’un "dossier" censé mettre en difficulte J.Serra - probable candidat de la droite en 2010 - à São Paulo où il a pourtant été largement élu gouverneur.

Les deux autres candidats de gauche, Heloisa Helena (PSOL) et C.Buarque (PDT) - l’une exclue du PT et l’autre ex-ministre démissionné par téléphone, devenu dissident du PT au cours du premier mandat (2002-2006) - avec respectivement 6,85% et 2,64%, constituent sans doute des réserves à gauche pour Lula, même si ni l’une ni l’autre ne lui ont ménagé leurs critiques et ne se désistent clairement en sa faveur pour le second tour.

Cependant, et alors qu’ils n’avaient pas pris officiellement position au premier tour, la plupart des organisations et mouvements sociaux du pays (CUT, MST, MMM, UNE...) appellent à voter Lula au second tour, en soulignant que face à la regression néolibérale représentée par Alckim, il s’agit désormais d’un "vote de classe" et de "défense des pauvres" [3].

Les votes pour Lula, en % par Etat de la fédération brésilienne
Cartographie J-Y Martin

La coupure géopolitique du pays par le vote est d’ailleurs très nette. Tout le Nordeste pauvre, le Nord et une partie du centre du pays ont voté pour Lula, forme de reconnaissance, au-dela de la personne, du bénéfice des programmes sociaux du 1er mandat : bourses famille, scolaire et gaz... Alors que les régions urbaines et riches du Sud-Sudeste, comme São Paulo, ont voté largement pour le candidat de droite, en pesant lourd pour cette mise en ballotage inattendue.

Plus que la participation, évidemment élevée dans un pays où le vote est obligatoire, la faiblesse des votes blancs et nuls montrent finalement une forte mobilisation des électeurs. Un signe de bonne santé démocratique certes, mais surtout celui d’une volonté affirmée de ne pas concéder trop vite une réélection par défaut, sans réel débat, avec une vraie prise en compte des enjeux, pas seulement étroitememt politiciens, mais plus clairement économiques et sociaux dans un pays où l’alternative à gauche reste encore largement à construire.

[1] Sur les 513 députés de la chambre - éligibles, comme au Royaume Uni dès le seul et unique 1er tour - 48,7% ne retrouveront pas leur siège. Certes c’est dans la moyenne des scrutins précédents : 55% en 1994, 41.9% en 1998 et 41,6% en 2002. Mais la plupart des parlementaires impliqués dans les multiples affaires politico financières de ces dernières années ("Mensalão", "Sangsues"...) ont d’abord été sanctionnés par l’électorat avant, peut-être, de l’être, plus tard, par la justice.

[2] De 2002 à 2006, le PT a perdu 2,1 millions de voix : avec 13,9 millions d’électeurs cette année, contre 16 millions il y a 4 ans, il a perdu 13% de son électorat d’une élection à l’autre. Résultat : au lieu de 91 députés en 2002, il n’a plus que 83 sièges en 2006. Source : BBC Brasil, São Paulo, 6 octobre 2006.

[3] Brasil de Fato, 6 octobre 2006

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