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CINEMA Haut-le-coeur

Publie le mardi 6 mars 2007 par Open-Publishing

Depuis 1966, les Journées cinématographiques de Soleure offrent chaque année un vaste panorama du Septième Art helvétique. Durant la 42ème édition, du 22 au 28 janvier 2007, quarante-cinq mille spectateur(-trice)s ont fréquenté les salles obscures de la cité baroque au pied du Jura,. Au programme : deux cent quatre-vingt une oeuvres, tous genres et formats confondus. Focus sur quatre documentaires « engagés ».

Frank Garbely et Mauro Losa éclairent, dans Paradis fiscal, enfer social, un des pans de la nébuleuse Glencore. Brève parenthèse hexagonale. En 1996, la firme avait acheté les 33% de parts que le voyagiste Touristik Union International hanovrien (ex Preussag) détenait dans Metaleurop. Russ Robinson, le PDG américain de celle-ci, annonça, le 16 janvier 2003, le lâchage de sa filiale de Noyelles-Godault (Pas de Calais), la plus importante fonderie de zinc et de plomb sur le Vieux Continent, sciemment vidée de sa substance. Faute de repreneurs, le Tribunal de Commerce de Béthune rendit, le 10 mars 2003, la sentence de fermeture. Bilan : 830 salariés sur le carreau, sans préavis, ni « plan social », un site, classé « Seveso 2 », pollué à l’extrême.

Les coûts afférents à l’assainissement sont évalués à 300 millions d’euros que ces « flibustiers du management » (1) ne verseront vraisemblablement jamais. La commune d’implantation, Courcelles-les-Lens et Evin-Malmaison, où 27% des enfants souffrent de saturnisme, resteront encore hautement contaminées. Le Tribunal de Commerce de Paris approuva, le 24 novembre 2005, la continuation, mettant ainsi un terme au redressement judiciaire de Metaleurop SA, recotée en Bourse à partir du 3 février 2006.

Voyous et Wayúu

Sur les vingt-quatre mille habitant(-e)s recensé(-e)s à Zoug, plus de la moitié sont des sociétés-boîtes aux lettres. La charmante cité alémanique au cachet médiéval doit essentiellement sa prospérité actuelle et son rang de place commerciale aux traders, ces courtiers en matières premières, aussi amoraux que discrets. Une des figures de cette caste argentée de spéculateurs : Marc David Rich (de son vrai patronyme : Reich). L’Américain, né à Anvers, cupide et sans le moindre scrupule, acheta à l’Iran du pétrole, qu’il paya avec des armes, en pleine « crise des otages » à Téhéran (du 4 novembre 1979 au 20 janvier 1981). Il pourvut également en brut l’Afrique du Sud sous le régime d’apartheid, puis plus tard, fourgua son artillerie au despote serbe Slobodan Milosevic.

Le 19 septembre 1983, un grand jury fédéral énuméra cinquante et un chefs d’accusation (vasion et fraude fiscales, conspiration avec l’ennemi…) à l’encontre du glauque expert en blanchiment de fric sale, qui encourrait… 325 années de prison. Le « chéri de la CIA » (2), bailleur de fonds dans maints coups sanglants, sentit le vent du boulet (sa tête mise à prix pour 750 000 dollars) et implanta son quartier général à Zoug. Le 20 janvier 2001, juste avant de déblayer le bureau ovale, William Jefferson Clinton le gracia. Denise Eisenberg, l’ex-épouse de Marc David Rich, gratifia le Parti démocrate d’un million cent mille dollars et le manieur de cigares de quatre cent mille dollars pour sa bibliothèque privée de Little Rock (Arkansas).

Le fugitif, lié au Mossad et acoquiné avec des mafieux russes, figura durant huit ans sur la liste des « individus les plus recherchés » par le FBI. Il ne risqua pas l’extradition, puisque la loi helvétique ne réprime pas les délits que les juges US lui imputent. Le milliardaire se retira de l’avant-scène en 1993. Il se prélasse dans sa « Villa rose » à Meggen, sur les rives du lac des Quatre-Cantons. Ses fidèles lieutenants reprirent le flambeau de la Marc Rich and Co, domiciliée à Baar, un faubourg de Zoug, mais gérée à Londres.

Ils la rebaptisèrent Glencore. En 2005, le consortium avait réalisé un chiffre d’affaires de 119,9 milliards de FS, nettement devant Nestlé (91 milliards), Novartis (42,4 milliards), Roche (35,5 millards). Les deux auteurs se focalisent sur ses activités en Colombie. Le syndicat Sintraminercol, mené par Francisco Ramirez, l’accuse de corruption et de violation systématiques des Droits humains dans les mines de charbon à Cerrejón, dans la province de la Guajira, au nord-est. Le site, un des plus immenses à ciel ouvert au monde, s’étend sur 95 000 hectares. En 2005, l’on y avait extrait 27 millions de tonnes ; 60% sont exportées vers l’Europe.

Le 9 août 2001, les villageois(ses) de Tabaco se rebellèrent contre l’extension des terrains d’exploitation. Les bulldozers commencèrent l’excavation, mais toute la région se mobilisa. En vain ! Le 28 janvier 2002, des escadrons anti-émeutes et plus de 200 fantassins encerclèrent la localité pour l’anéantir, n’hésitant pas à incendier le cimetière. Le petit Deivi Rafael Rios Pico éclate en sanglots en songeant à la brutalité des soldats qui menacèrent d’enlever les enfants à une femme si elle ne signe pas l’avis d’expropriation. Les communes d’Albania, Data Nueva, Mamantial et Chancleta connurent un sort identique.

Dans une missive expédiée, le 28 octobre 2005, à Frank Garbely, Lotti Grenacher, chargée de la communication, nie toute implication de Glencore dans ces événements. Un mensonge éhonté ! La holding, qui possédait 33% de Cerrejón, tout comme l’Australo-Britannique BHP Billiton et Anglo American, n’a cédé ses parts que le 12 mai 2006 à Xstrata dont elle possédait déjà 13,9% des titres. Depuis le 22 décembre dernier, son portefeuille a singulièrement grossi : 35,71%. Debora Barros Fince milite en faveur des revendications de sa tribu, les Wayúu, également victimes des expulsions arbitraires par les potentats et des exactions impitoyables de leurs vassaux.

Des grillages encerclent leurs terres ancestrales vouées à la destruction avant de futures fouilles houillères. Comme des centaines d’autres, les proches de la jeune femme ont quitté la région de Bahia Portete pour s’installer dans les quartiers déshérités de Maracaibo au Venezuela. Le 18 avril 2004, des paramilitaires perpétrèrent un massacre sur la presqu’île, à proximité de Puerto Bolivar. Deux fillettes de deux et trois ans périrent, brûlées vives. Treize dépouilles furent retrouvées, trente personnes sont portées disparues.

Le 5 novembre 2005, Debora écrivit à Willy Strothotte, le PDG de Glencore. Comme celui-ci n’a pas daigné lui répondre, elle s’est déplacée au siège de la multinationale. Sans succès ! « Des misérables ! », lança-t-elle, munie d’une carte avec les coordonnées où envoyer ses doléances réitérées. Dans ce havre si tranquille pour les « global players » avides de profits maximalisés, les anciens tuyautent les nouveaux venus. Les politiciens du cru envisagent d’autres réductions d’impôts. Le conseiller d’Etat Walter Suter (Parti démocrate-chrétien) conclut, sans s’en désoler, à l’impossibilité de « prescrire des règles éthiques aux entreprises, qui bénéficient d’un espace de liberté dans un système économique libéral »…

Prises de pouls

Le 26 avril 1986, à 1h24, le réacteur numéro 4 de la centrale « Lénine » à Tchernobyl explosa. Les nuages transportèrent du strontium, du césium et du plutonium sur des milliers de kilomètres. Les dirigeants suisses apprirent l’excursion des particules invisibles et inodores par des bulletins d’informations suédois. Helen Stehli-Pfister avait visité Kiev dès 1992, avant de se rendre, en 1994, puis en 1996, pour filmer dans la « zone interdite ». Soucieuse de relancer le débat, elle concocta, pour la télévision SF DRS, le reportage Tschernobyl und die Schweiz, composé aussi d’images d’archives et d’avis recueillis auprès de divers « acteurs », diffusé sur la première chaîne, les 24 et 25 avril, ainsi que le 1er mai 2006.

Le pompier Volodia Pravik, un des 800 000 « liquidateurs », décéda peu de temps après son admission dans une clinique spécialisée à Moscou. Les « perestroikistes » lui décernèrent la décoration de premier « héros de l’Union soviétique » pour ses « mérites » durant l’extinction de l’incendie sur le toit du bâtiment délabré. Prypiat, située à 12 kilomètres du complexe, ressemble à une « cité fantôme », désertée par ses 49 000 habitant(-e)s.

Détour par l’hôpital de Gomel en Biélorussie où les médecins continuent d’enregistrer un accroissement dramatique des cancers de la thyroïde, en particulier chez les plus jeunes. Chez nos voisins, le canton tessinois fut le plus touché par les retombées radioactives, car il y avait beaucoup plu. En juin 1986, le taux des avortements augmenta de 60%. Sur le lac de Lugano, la pêche fut proscrite durant deux ans. Si Leon Schlumpf (Union démocratique du centre), à l’époque ministre de l’Energie, n’avait nullement envisagé de changer de cap, il confesse avoir dû prendre position à chaud sans disposer d’éléments précis sur les événements. Michael Kohn, un des plus fervents et immuables promoteurs du nucléaire, impute sans surprise l’accident à la spécificité des installations ukrainiennes et non à ce mode de production lui-même. « A quoi servirait-il de débrancher chez nous ?

Il existe 200 centrales autour de nous, dans un rayon de 2000 kilomètres ». Il ironise : « Se tourner vers les Français et les inciter à en construire et leur acheter le courant, ce n’est pas faire preuve d’une grande finesse ! ». Lors de la session extraordinaire du Conseil national, le 19 juin 1986, le député social-démocrate Helmut Hubacher déclencha les applaudissements frénétiques du public massé dans les travées de l’hémicycle :« Communistes ou capitalistes, toutes les usines atomiques sont dangereuses ! ».

Entraîné par ses enfants, il prit le pouls de la contestation sur le terrain de Kaiseraugst (Argovie), occupé par les réfractaires du 1er avril au 14 juin 1975. A la Pentecôte 1977, 12000 opposants se rassemblèrent sur le chantier de Gösgen-Däniken. Le 21 juin 1986, autour du réacteur opérationnel depuis le 19 novembre 1979, 30000 personnes participèrent à la plus imposante manifestation helvétique de ce type. Le 23 septembre 1990, 52,9% rejetèrent l’initiative populaire prônant l’abandon du nucléaire ; en revanche, 54,5% avalisèrent le « moratoire » quant à l’extension du parc.

Le 18 mai 2003, 58,4% se prononcèrent contre la prolongation de ce statu quo et 66,3% contre l’option de sortie et la désaffection progressive des cinq centrales, toutes situées sur l’Aar, la rivière qui baigne Soleure. Produisant 24 milliards de kwh par an, elles fournissent 37% de l’électricité. Le 21 février 2007, le gouvernement a décidé de ne pas se désengager de cette variante énergétique, n’écartant plus de surcroît l’éventualité de nouvelles unités à compter de 2020. Du sondage publié, le 4 février, dans le SonntagsBlick, il ressort que plus de 70% n’en souhaiteraient point…

À la trappe

Cent mille sans-papiers vivraient en Suisse, vingt mille rien qu’à Zurich et alentours. Malgré le soutien de six mille personnes qui ont signé une pétition en sa faveur, la Bolivienne Delia Quispe Flores, laquelle a passé quinze ans dans la métropole bancaire, dut quitter le territoire, le 12 mai 2005, avec son époux Celso et ses trois enfants, Evelyn, Yvette et Edilson.

Les autorités cantonales jaugèrent non réunis les critères quant à l’obtention d’un permis de séjour pour raisons humanitaires. En Romandie, règne davantage de tolérance ; des étranger(-ère)s n’hésitent pas à s’exprimer à visage découvert. Pour son reportage Swiss sans-papiers, Andreas Hoessli en a rencontré quelques-un(e)s entre janvier 2005 et mars 2006.

Le Kosovar Jakup Gachi (55 ans) a travaillé onze ans dans des vignes et chais vaudois. « Je ne suis pas ici pour devenir un grand capitaliste. Chez nous, tout est bloqué ». Le père de onze enfants a été sommé de plier bagages parce qu’il continuait à entretenir d’étroites relations avec sa famille… Le Péruvien Alfonso Andrade exerce un job dans le multimédia à Renens. Sa compagne, l’Equatorienne Lourdes Velasco effectue des ménages.

Lui ne craint pas la police et n’exclut pas de plonger dans la clandestinité. Nonobstant l’avis favorable du Conseil vaudois, l’Office fédéral des migrations leur a enjoint de quitter le territoire avant le 31 juillet 2005. Le 2 du mois, Lourdes et Alfonso se marièrent en l’église Saint-Valentin à Lausanne, en présence de leurs parents. La jeune femme ne supporte plus cette si inconfortable situation et désire partir. Les édiles genevois préconisent la régularisation de cinq mille employé(-e)s de maison pour répondre aux forts besoins de ce « secteur en tension ». Ismail Türker, du Syndicat interprofessionnel des travailleurs (3), espère parvenir à arracher, par ce biais, des revalorisations salariales et des droits similaires pour tous.

Dans la petite république alpine, où 20% de la population des grandes villes végètent en-dessous du seuil de pauvreté, les immigré(-e)s non-européen(-ne)s ne peuvent demander de permis de travail, sauf pour des postes hautement qualifiés ou en tant que…danseuses de boîtes de nuit… Le 24 septembre 2006, lors d’un référendum initié par les Verts et plusieurs associations contre l’adoption, en date du 16 décembre 2005, de dispositions très restrictives par le Parlement bernois, l’électorat a approuvé à 67,96% la loi sur les étrangers et à 67,75% celle modifiant l’asile.

Stanley Van Tha (37 ans) débarqua, le 2 mai 2003, à l’aéroport de Zurich-Kloten, muni d’un passeport birman valide. Trois jours plus tard, il se présenta au Centre d’accueil à Bâle et se vit octroyer le permis « N » attestant son inscription comme requérant d’asile. Affecté au canton de Berne, il cohabita, avec des personnes en provenance de différents continents, dans l’ancien restaurant « Rössli » à Neuneck, géré par l’Armée du Salut. Dans Ausgeschafft ! (Expulsé !), Irene Marty narre son « incroyable histoire » à l’issue tragique. Du personnage principal, elle ne nous montre que des photos et les lieux où il séjourna. Elle interroge des gens qui l’avaient côtoyé.

La native d’Altdorf, très attachée à la Birmanie (dénomination depuis septembre 1989:Union du Myanmar), a effectué treize voyages (dont neuf illégalement !) au « pays des mille pagodes », depuis cinquante-cinq ans sous la coupe féroce de juntes militaires. Les généraux au pouvoir annulèrent le scrutin du 27 mai 1990 remporté par la Ligue nationale pour la Démocratie d’Aung San Suu Kyi. La lauréate du Prix Nobel de la Paix en 1991, assignée à résidence depuis le 20 juillet 1989, a encaissé, le 27 mai dernier, la prolongation pour douze mois de cette mesure de rétorsion. Stanley Van Tha, de la minorité chrétienne des Chins, avait collecté des fonds pour elle et soutenu les guerilleros. La répression féroce oblige des centaines de milliers à fuir leur patrie. La plupart errent dans la zone limitrophe avec la Thailande et érigent des campements dans la jungle.

Les passeurs leur procurent, en échange d’espèces sonnantes et trébuchantes, des boulots aussi mal rémunérés que pénibles, sur des chantiers, par exemple à Kuala-Lumpur. Ils soutirent le maigre salaire de leurs « clients » jusqu’à ce que ceux-ci aient épongé leur dette. Le seul espoir de ces malheureux(-ses) : le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, dans la capitale de la Malaysie ou à New Dehli. Irene Marty a tendu le micro à des femmes et des hommes qui témoignent des atrocités qu’ils (elles) ont subies. Stanley Van Tha n’a pas convaincu les bureaucrates de l’Office fédéral des migrations que le retour à la case départ s’avérerait fatal. L’instance ad hoc repoussa sa requête, le 21 octobre 2003.

La commission de recours le débouta, le 2 décembre 2003. Ses dernières semaines, il les passa au centre de rétention de Witzwil. Après avoir fait échouer, le 6 mars 2004, une première reconduite à la frontière, le 14 avril 2004, il fut traîné de force vers l’avion , attaché sur un fauteuil roulant et bâillonné. Trois policiers l’escortèrent à Rangoon et le livrèrent aux griffes de ceux auxquels il avait espéré échapper.

Il disparut derrière les murs du sinistre pénitencier Insain où il purge une peine de dix-neuf ans. Son état de santé s’est détérioré. Les émissaires du Comité international de la Croix Rouge, qui lui apportaient des médicaments, ont été chassés de Birmanie. Irene Marty s’efforce de lui en procurer, via ses contacts sur place. Depuis la projection du film sur les deux canaux alémaniques publics, les 27 et 28 février, 5 et 6 mars 2006, la Suisse a suspendu l’expulsion des ressortissants birmans.

René HAMM

(1) Article de Vincent Nouzille sur « la galaxie Glencore » dans L’Express du 27 mars 2003.

(2) Sherman Skolnick dans un « rapport » du 26 janvier 2001. De 1958 jusqu’à son décès, le 21 mai 2006 à Chicago, à l’âge de 75 ans, il n’a cessé de pourfendre la corruption des appareils judiciaires et politiques.

(3) Le quinquagénaire, d’origine kurde, a quitté l’organisation en octobre 2006. Il poursuivra inlassablement le combat pour la régularisation des « clandestins ».

A toutes fins utiles, je vous communique l’adresse des sociétés détentrices des droits :

Paradis fiscal, enfer social (52 minutes) : Télévision suisse romande, 20 quai Ernest Ansermet, CH 1211 Genève 8

Tschernobyl und die Schweiz (44 minutes) : Telepool GmbH, Fernsehstrasse 1-4, CH 8052 Zürich.

.Swiss sans-papiers (52 minutes) : Espaces Films GmbH, Dienerstrasse 7, CH 8004 Zürich.

Ausgeschafft ! (53 minutes), DVD disponible en français : Irene Marty, Holzrai 32, CH 8602 Wangen bei Dübendorf.

R.H.