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CONTRE L’ETAT D’URGENCE : LE PCF AU SENAT - NICOLE BORVO

Publie le mercredi 16 novembre 2005 par Open-Publishing
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Question d’irrecevabilité de Nicole BORVO, Présidente du groupe communiste républicain et citoyen du Sénat sur le PJL prorogeant l’état d’urgence.

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher(e)s collègues,

Monsieur le Ministre, votre majorité a voté à l’Assemblée Nationale la prolongation de l’état d’urgence, c’est-à-dire trois mois de régime d’exception, et vous pouvez, sans aucun doute, compter aussi sur votre majorité au Sénat. Marché conclu, en quelque sorte ; gouvernement et parlement d’accord pour une « martiale attitude ».

Pourtant, Mesdames et Messieurs les parlementaires, élus des départements et des communes, n’avez-vous pas le sentiment d’être quelque peu floués ? N’êtes-vous pas frustrés d’un débat qui ait du sens sur les raisons des évènements que nous venons de connaître - graves.

Sur les raisons de la violence exprimée ou latente et sur les réponses de fond à apporter ? M. le Ministre, le premier motif d’irrecevabilité de ce projet de loi est politique : depuis 19 jours, notre pays connaît une explosion. Elle concerne des villes et quartiers populaires. Rien ne saurait justifier les actes commis par une minorité de jeunes, de destruction de voitures, de biens privés et publics, d’atteinte aux personnes, quelle qu’elle soit. Ces violences sont autodestructrices ; elles nuisent essentiellement à ceux dont elles dénoncent l’exclusion, « les voisins ».

Malgré le Maire « bout au feu » du Raincy qui les exhortait à casser dans le 16ème ou à Neuilly, les adolescents en cause s’en prennent à leur propre univers.

Les populations des villes et quartiers qui subissent sont exaspérées. Elles ont peur, mais écoutons-les bien : elles veulent légitimement le retour au calme, mais elles parlent aussi des souffrances.

Car nul ne peut nier que cette violence est l’expression exacerbée d’un malaise profond des cités ? des catégories de population ?

Ne nous y trompons pas, malaise profond d’une société en crise où d’un côté les riches sont de plus en plus riches, de l’autre, les pauvres de plus en plus pauvres et qui plus est, pour nombre d’entre eux, stigmatisés, discriminés, rejetés, relégués.

Le Président de la République qui, au bout de 15 jours, s’est adressé aux Français, a su, en quelque sorte, qualifier le mal : crise de sens, crise de repères, crise d’identité, mais en partie seulement. La réalité des quartiers pauvres, c’est 40% des jeunes de 18 à 25 ans au chômage, l’échec scolaire, le manque d’équipements, de services publics, de transports. Retour boomerang en quelque sorte, de la fracture sociale que le même Président de la République avait décelée en 1995.

Alors effectivement, il y a urgence à s’interroger sur les politiques depuis 30 ans et il faut bien le dire singulièrement aggravées depuis 3 ans puisque tous les moyens publics d’aide sociale, d’encadrement civique et éducatif, qu’ils soient publics ou associatifs, sont en baisse, puisque le pouvoir d’achat des catégories modestes reculent ; la cohésion sociale se délite, puisque, de votre propre aveu, M. le Ministre, les délinquants sont légion, alors qu’en 2002, votre majorité et votre gouvernement avaient fait de la sécurité la priorité des priorités.

Il y a urgence à changer d’orientation ; les réponses ne sont pas faciles, elles exigent en tout état de cause de réévaluer l’utilisation de l’argent public et tout de suite le budget 2006.

Est-ce là-dessus que vous êtes consultés ? Non !
Ce projet de loi est irrecevable pour une deuxième raison. Les politiques ont failli ; certains plus que d’autres, tout particulièrement ceux qui mettent en œuvre un libéralisme débridé, ceux qui s’opposent bec et ongles à la mixité sociale, aux logements publics et sociaux dans leurs communes et départements, et à travers ceux-là, c’est la démocratie qui est en panne.

A la violence aveugle, il faut opposer et imposer écoute, dialogue, prise de responsabilité des populations dans ce qui se vit et décide, localement et nationalement.

D’ailleurs, nombre de Maires, d’élus, sur le terrain, ont pris le parti du dialogue, du rassemblement des populations. Je veux tout particulièrement saluer mes amis maires et élus communistes. Ils ne sont pas les seuls, mais ce sont ceux que je connais le mieux, qui ont contribué par leur attitude, leur responsabilité, leur présence physique, leur sens du dialogue et du respect, à ce que le calme revienne.

Mesdames, Messieurs les parlementaires, je crois sincèrement, hélas, que la provocation et l’affrontement ne règlent rien.
N’oublions pas, ce qui a mis le feu aux poudres, il y presque trois semaines, c’est la mort de deux jeunes. Ils s’appelaient Zyad et Bouna, deux jeunes comme tant d’autres qui arpentent le RER ou le bitume et qui sont contrôlés, suspectés, arrêtés, à tout bout de champ. Discriminés dans la rue, comme ils le sont quand ils ont du mal à l’école, comme ils le sont quand ils cherchent un emploi, comme ils le sont quand ils ont des diplômes.

Tous les jeunes des quartiers populaires ne se sont pas mis pour autant à tout casser face à ce drame, mais beaucoup se sont sentis concernés ; comme beaucoup se sont sentis concernés quand de « là haut », on ne voit que « racaille et voyous ».

Alors la réponse au déni de démocratie, d’égalité, c’est la loi d’exception ? Le parlement a été dessaisi quand il s’est agi de faire passer des mesures sociales. Le gouvernement a choisi les ordonnances. Le parlement est sommé maintenant d’utiliser une loi de 1955 qui, le moins que l’on puisse dire, est une provocation en elle-même !

Cette loi du 3 avril 55, intitulait « Un état d’urgence et en déclarait l’application en Algérie »

L’intitulé montre d’emblée quel était le contexte historique de ces mesures, aujourd’hui exhumées.

M. Jacques GENTON, Rapporteur devant l’Assemblée Nationale, le 30 mars 1955 justifiait le projet de loi « par les troubles qui règnent dans certaines régions et départements algériens ».

Comment oublier que la dernière application de cette loi sur le territoire métropolitain remonte au 17 octobre 1961 qui fut marqué par la mort de plusieurs centaines de manifestants d’origine algérienne jetés dans la Seine, sous la houlette du sinistre PAPON et du Ministre FREY, ce que la République n’a toujours pas reconnu.

En 1968, flambée de violence s’il en fut, vos prédécesseurs n’ont pas pris le risque d’exhumer la loi de 1955. Vis-à-vis des étudiants, c’était risqué ! vis-à-vis des organisation de salariés, c’était suicidaire ! Que penser alors de son exhumation aujourd’hui contre les jeunes de banlieue ?

La troisième raison de l’irrecevabilité tient à la disproportion de ce que vous demandez au parlement de voter. Régime d’exception pendant trois mois par rapport au but à atteindre !
Certes, votre Rapporteur ce matin cause bien, fait remarquer que ce n’était pas l’état de siège !

Mais l’état d’urgence ce n’est pas le couvre feu pour les mineurs !

Le couvre feu pour les mineurs est possible, chacun le sait, pour protéger les mineurs.

D’ailleurs, plusieurs villes comme Le Raincy, où il ne se passe rien, ou Savigny-sur-Orge, l’ont décrété avant même l’entrée en vigueur de l’état d’urgence.

L’état d’urgence c’est tout un arsenal de mesures attentatoires aux libertés publiques et individuelles, c’est l’assignation à résidence, la fermeture provisoire de salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunions de toute nature. C’est l’interdiction des réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre.

C’est la possibilité pour la police de perquisitionner à domicile jour et nuit. M. le Ministre d’Etat, que pensez-vous de l’ordonnance du Conseil d’Etat en date du 14 novembre dernier, qui impose le maintien d’un contrôle judiciaire en la matière alors que vous évoquiez la possibilité de perquisitionner sur simple « suspicion » ?

M. de VILLEPIN a cru bon signifier que les dispositions de l’article 11 de la loi de 1955 attentatoire à la liberté de la presse ne seraient pas appliquées. Elles sont d’ailleurs exclues du présent projet de loi.

Ouf, les journaux ne seront pas censurés !

Par contre, M. de VILLEPIN n’a pas cru bon d’exclure du champ du projet de loi l’article 12 de la loi de 1955 qui permet à des tribunaux militaires auto-constitués de se saisir des crimes et délits qui relèvent des cours d’assises. Il n’y a plus de tribunaux militaires !

L’exclusion des mesures visant la presse et les médias met donc en évidence que les dispositions retenues sont bel et bien susceptibles d’être appliquées. J’espère, M. le Ministre, n’être que dans un cauchemar sécuritaire et me réveiller en constatant que mon pays n’est pas aux portes de la guerre civile, ni en situation de conflit majeur et que rien ne justifie l’état d’urgence.

Pourquoi adopter ce texte, lourd, attentatoire aux libertés, alors que de toute évidence, les circonstances exceptionnelles qui justifient, du point de vue de la jurisprudence administrative, le recours à l’état d’urgence ou à l’état de siège, ne sont pas réunies.

Le projet de loi que vous nous soumettez, M. le Ministre, est manifestement anticonstitutionnel. Il porte gravement atteinte au principe de légalité, il ne respecte pas l’obligation de circonstances exceptionnelles.

« S’agissant d’atteintes à des libertés, les règles doivent être définies par le législateur de telle manière que le principe de légalité soit respecté dans toute la mesure du possible ».

Cette phrase, elle est extraite de la saisine cosignée par le député Jacques CHIRAC lui-même le 25 janvier 1985 à l’encontre de la loi relative à l’état d’urgence en Nouvelle Calédonie, et dépendances, dernière application, c’était hors métropole, de la loi de 1955.

La droite parlementaire considère-t-elle que ce qui était attentatoire aux libertés fondamentales en Nouvelle Calédonie ne l’est pas aujourd’hui en France métropole ?

C’est la « théorie des circonstances exceptionnelles » qui justifie juridiquement les lois d’exception.

Selon le manuel universitaire de M. René CHAPUS, Professeur à l’Université Panthéon-Assas, plusieurs exigences doivent être réunies pour établir une circonstance exceptionnelle.

« Il est nécessaire que les mesures aient été prises pour répondre à une situation réellement exceptionnelle, ce caractère étant concrètement apprécié. Les événements les plus divers peuvent être créateurs de circonstances exceptionnelles : guerre, insurrection, cataclysme naturel (par exemple séisme ou éruption volcanique)...

Mais les pouvoirs de l’administration ne sont étendus que pendant le temps et dans les lieux où les circonstances ont effectivement un caractère exceptionnel. »

Première remarque, même si nous considérons que les évènements passés équivalaient à une éruption volcanique, nous ne sommes plus aujourd’hui en situation exceptionnelle. La loi d’exception n’est donc pas justifiée.

M. CHAPUS poursuit : « En second lieu, il faut que l’administration ait été du fait des circonstances, dans l’impossibilité d’agir conformément au principe de légalité. L’urgence à agir sera souvent de nature à établir cette impossibilité. »

Dernière remarque, l’état d’urgence n’ayant pas été nécessaire pour le retour au calme - qui peut dire ici le contraire ? et l’est encore moins aujourd’hui, l’administration pouvait tout à fait agir conformément au principe de légalité. En clair, les moyens légaux habituels ont suffi et suffisent au maintien de l’ordre.

La loi d’exception n’est donc pas justifiée et les =libertés fondamentales prévues par la Constitution sont donc mises en cause abusivement.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les institutionnalistes s’interrogent comme M. GIQUEL, ou le dénonce comme Dominique ROUSSEAU.

Dernier point majeur d’inconstitutionnalité. Comme l’indique le recueil des fondements de la jurisprudence administrative : « Le Conseil Constitutionnel lorsqu’il est appelé à connaître avant leur promulgation de lois restreignant l’exercice d’une liberté publique recherche, dans la ligne de la jurisprudence, Benjamin du Conseil d’Etat, si les dispositions arrêtées par le législateur sont proportionnées à l’objectif à atteindre, c’est-à-dire, à la nécessité d’assurer la sauvegarde de l’ordre public. »

On ne peut être plus clair !

M. le Ministre, Mesdames et Messieurs les sénateurs, l’état d’urgence est irrecevable, parce qu’il participe d’un calcul politique éminemment dangereux.

Le 21 avril 2002 fut un véritable séisme démocratique.

Depuis votre arrivée au pouvoir, vous n’avez eu de cesse de
casser les socles de la cohésion sociale par une politique ultralibérale.

Le peuple s’exaspère.

Vous n’entendez rien ; ni les mouvements sociaux, ni les urnes. Le 29 mai, les Français ont exprimé très largement leur refus du libéralisme en France et en Europe.

Rien n’y fait. Vous ne répondez qu’aux sollicitations du MEDEF et des actionnaires.

Aussi, il vous faut manier la peur et le bâton.

Vous n’avez eu de cesse de stigmatiser les plus pauvres, de désigner des boucs émissaires, de criminaliser l’action militante, revendicative.

Vous avez beaucoup fait pour punir. La loi pénale n’en finit plus d’être durcie au gré des circonstances.

Vous jouez avec le feu. Aujourd’hui même, nous pouvons mesurer jusqu’où peut aller la stigmatisation de catégorie de la population.

Vous vous lâchez vous-même ! Un Ministre, un député et une académicienne ont trouvé la cause des violences urbaines : la polygamie.

Mme CARRERE d’ENCAUSSE nous fait honte parce qu’elle fait injure à son pays et à sa culture. Hélas, elle est dans le ton du gouvernement !

L’état d’urgence est ciblé. C’est une mesure d’intimidation. Vous refusez d’entendre la colère populaire. Il vous faut donc franchir un pas supplémentaire. Il vous faut faire peur. La République serait en péril. Les hordes étrangères à nos portes. Comme aux portes de l’Europe.

La question sociale - pourtant incontournable - serait ainsi balayée.

Vous jouez avec le feu. Vous en escomptez un avantage politique ! C’est-ce que vous scrutez dans les sondages, mais vous mettez notre peuple en péril et vous ne savez pas ce que vous récoltez !

Mesdames et Messieurs les sénateurs, le Ministère de l’Intérieur a publié un communiqué ce matin : situation quasi normale dans les banlieues.

Ce projet de loi prolongeant l’état d’urgence et donc
irrecevable !!!!

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