Accueil > CULTURE : DU CLICHE AU CACHOT
La guerre des représentations
S’il y a combat à mener, il est culturel, les médias l’ont bien sur compris depuis longtemps, les multinationales aussi, les politiques d’autant plus qu’ils prennent les mêmes agences de communication que les autres.
Les derniers sur le banc de touche, à ne pas concevoir cela, sont les artistes et leur public, encore à ce demander si les films ont une influence sur les individus, si les messages des chansons sont importants pour les jeunes et peuvent jouer un rôle. Le totalitarisme avait besoin de propagande : affiches, cinéma, radio, commandes musicales, etc.
Aujourd’hui, le marché du divertissement diffuse des quantités de messages stériles et uniformes, il noie beaucoup d’informations intéressantes sous le bruit des avertissements consuméristes, nous plonge dans un apolitisme cynique ; et pendant ce temps le travail de l’opinion publique n’est pas délaissé au hasard de la loi marchande, mais réellement travaillé par le biais de l’image. Les guerres de nos lieux et époques sont des guerres médiatiques et culturelles, et l’opinion publique est l’objectif de ces guerres. Guerres dans lesquelles l’arme la plus influente est « la représentation », « l’imagerie ». De quoi souffrent l’Islam, la banlieue, les Africains, les Antillais... ? en partie d’une image négative.
Le combat est donc en parti un combat de représentations, représentations que nous ne savons ni analyser ni manipuler. Elles résident sur un terrain qui n’est pas neutre et qui n’est pas notre, c’est celui des médias. Leur rôle est important à une époque où information devient pratiquement synonyme de politique.
Dans un monde enfumé d’informations, qui se contredisent l’une l’autre, qui se chevauchent, plus ou moins vraies, plus ou moins honnêtes, il est dur de savoir quoi écouter et qui croire. Certaines corporations ont le pouvoir de diffuser plus d’informations que d’autres, et dans ce cas, la répétition est comme le marteau qui frappe le clou qui fini par rentrer dans cette matière plus ou moins fine qu’est notre esprit critique. Certaines informations passent beaucoup plus souvent que d’autres ; cela ne veut pas dire qu’elles sont plus importantes, ni même qu’elles soient vraies.
Médias, faites nous exister
Une communauté n’a pas forcement d’utilité à être médiatisée, mais si elle ne l’est pas elle est comme inexistante. Tout ce qui nous touche, tout ce qui nous fourni un apport d’empathie, de respect, d’attention, a des liens étroits avec la diffusion. Nous avons donc besoin de l’aval des médias, nous leur sommes dépendants. D’où leur importance et leur pouvoir presque seigneurial dans un monde où toute décision est liée à l’information que l’on reçoit, et aux représentations qu’on nous impose. Exister médiatiquement, c’est exister.
Du contrôle de la culture au contrôle tout court
Le fait est, que la culture qui nous entoure va dans le même sens. Si on subit une aliénation, c’est parce qu’elle passe par cette culture. Incontestablement, le discours destiné au grand public est surveillé de très près. Les voix (et voies) différentes, en sont bien souvent exclues ou refoulées. Elles n’ont aucune chance de devenir influentes, et elles ne prêchent que les gens déjà convertis à leurs causes.
La culture est une plateforme sur laquelle se reposent diverses communautés, divers groupes sociaux - culturels, diverses identités. Plus il y a de diversité, de cultures, plus la société est vaste, riche et complexe. Effacer les diverses cultures correspond à effacer des routes qui mèneraient à des mondes différents. Mais on ne restreint pas seulement les routes, on opère des taxinomies (qui ne sont jamais neutres et qui, nous allons le voir, sont faites sur des bases « ethniques », religieuses, racistes).
Il est plus facile de casser des choses physiques que de déconstruire des choses abstraites, concepts, images, etc. Pour ces dernières il faut utiliser les mêmes cheminements qui ont amener à les construire.
Comprendre la logique, voir le plan de développement, le cahier des charges intellectuelles. D’ailleurs cette différence entre pouvoir casser et pouvoir déconstruire et si rarement mise en évidence que nous nous confortons dans le fantasme du jour où l’on va tout casser. Mais nous ne nous donnons pas les moyens d’aiguiser l’esprit critique, nécessaire pour se libérer réellement, c’est à dire sans l’aval d’un « Ils » qui veut nous dire ce que nous sommes.
La guerre des représentations n’est pas qu’une guerre d’intellectuels préoccupés par le souci du mot, de l’image ou du détail. Elle touche tout le monde. Sans qu’on ne s’en rende compte, on reçoit comme un coup dans le plexus, faisant littéralement manquer d’oxygène, parce qu’on se sent enfermé dans une définition trop étroite, qui ne nous laisse pas « être autre chose ».
A force de placer une communauté, une classe sociale, un groupe, etc. dans un champ limité et souvent insultant, cela limite par cette violence l’ascension, l’épanouissement des individus assignés au groupe visé. Les sujets finissent par devoir prouver qu’ils sont « aussi » autre chose, ou bien « surtout » autre chose, alors que normalement leurs objectifs et préoccupations ne devraient pas se situer là.
Ou bien alors, ils se résignent à aller chercher profit de la représentation qu’on pose sur eux, c’est-à-dire qu’ils jouent les exotiques et bons petits clichés, s’en font un fond de commerce, car pourquoi ne pas en profiter ! De plus, à force de vivre dans une société noyée de représentations négatives sur telle classe sociale, sur telle communauté, sur nous même, on finit par être aliéné et l’ennemi est en nous. On en fait parti, vu qu’on se calque sur les normes et valeurs créées par cette culture simplificatrice.
La difficulté dans tout ça est que la représentation n’est pas palpable, elle n’est pas éliminable physiquement, la victoire n’est jamais acquise pour de bon, c’est un combat perpétuel. Se battre contre un ennemi visible, concret, peut avoir quelque chose de plaisant, donnant une sensation héroïque. Dans les mythes, les discordes sont simples et précises et les combats demandent force et courage, tout cela se situant dans le domaine de l’action physique, pour l’oppresseur comme pour l’oppressé.
Mais ici, ni barbelés ni murailles. La gangrène de la domination est en nous, dans nos représentations, nous la buvons et l’avons déjà digéré dans un monde qui nous abreuve l’esprit du matin au soir par la radio, les affiches, la télévision, les pub, bref, il faudrait être un Hermite pour pouvoir échapper à cette agression constante.
De plus, ce type de travail opéré par la médiation culturelle contrôle la stagnation ou le mouvement des schémas imposés. La résistance culturelle est cachée derrière, trop loin derrière. Et les individus sont forcés de rentrer dans le jeu des représentations, ou au moins d’avoir un comportement en réaction, significatif seulement dans le contexte et par rapport à cette sous culture assiégeante.
Ce qui permet à cette culture de dépersonnalisation d’imposer les préoccupations et ainsi d’en cacher d’autres, plus importantes, plus urgentes. Elle se veut indispensable, unique, omniprésente, et reste indéniablement oppressive, exclusive, monolithique, et impérialiste.
Simple, simpliste, et puis simplet
Le danger d’une représentation est qu’elle est toujours réductrice de l’objet qu’elle représente. Réductrice comme une icône. Comme un sms. « Réduire » est un acte phare de notre époque. Réduire pour faire mieux comprendre, comme si les gens étaient bêtes. Réduire parce qu’on n’a pas le temps de faire long. Ni la place de faire grand. Réduire en icône pour la facilité à être consommé, digéré. On réduit des concepts, des études, pour la compréhension. De même que l’on réduit des chansons, des poèmes, des œuvres. On réduit la portée des combats en réduisant leurs messages. On réduit des peuples en réduisant leurs cultures.
Notre époque nous noie dans une multitude d’informations, et donc, pour se faire entendre, le média doit aller au plus court.
Et bien souvent au plus simple. Du coup, les dilemmes de la société qui devraient éclore vers des débats sont très souvent réduits au « pour ou contre ? », au « oui ou non ? » et ne laissent aucune place à la complexité des avis. La musique de masse imite parfaitement ce phénomène. Les œuvres doivent être courtes et le message simple, simplifié, simpliste. La culture de masse n’est donc pas libératrice, mais bien au contraire elle nous insère profondément dans le langage et les codes simplistes utilisés par les politiques et les publicitaires. C’est-à-dire dans des réflexions toujours limitées et univoques, et où les objets de réflexion sont simplifiés.
C’est un langage intéressant à analyser, créé pour être « efficace ». On parle de musique « efficace » que l’on doit comprendre et retenir à la première écoute, on parle de discours « efficace » et on parle de publicité « efficace ». Le but de cette « efficacité » est que l’on comprenne le message en un clin d’œil. Pour cela on utilise « l’icône ». L’icône à des liens étroits avec la représentation. Si la publicité veut toucher par exemple le jeune qui se rêve militant, politisé, de gauche, actif, elle prendra comme icône la figure de Che Guevara. Même si il faudrait sûrement des semaines de lecture pour comprendre qui il était, quels étaient ces combats et ces convictions, cela n’empêche pas que en une seule image, image « efficace » pour le cas, on offre (on vend) aux ados leur talisman de rébellion, de militantisme.
En portant un T.Shirt où trône sa figure telle une pancarte publicitaire, on s’achète une manière d’être, de pensée, une personnalité, on englobe toute une représentation. On « représente ».
Mais une icône n’a pas de fonction explicative. Ni de fonction morale, logique ou vertueuse. Ni même historique ; le Che serait peut être dérangé de voir sa figure servir si fort le capitalisme, autant dans les publicités télévisuelles que sur les T.Shirts et autres textiles achetés dans les shops fashions et apolitiques, ne servant qu’au consumérisme de la crise d’adolescence. D’un combat, on passe à un clin d’œil.
Un discours qui ramène beaucoup d’éléments ou qui est assez honnête pour esquisser ses propres paradoxes serait ici indigeste. La culture, la communication, agissent comme un diététicien friand d’ordonner à ses patients des régimes cérébraux sous prétexte que nous n’avons pas de temps pour la complexité, que c’est le travail des intellectuels et que pour les journées de boulot qu’on effectue, si en plus il faut se prendre la tête avec le reste...
Le langage de la publicité est un langage omniprésent et qui est devenu indispensable si on veut être intégré à notre époque. Et quand l’école n’aide pas à pousser les limites du langage, de l’imagination, du savoir faire, impuissante face à la quantité de « dé - culture » parrainée par une société où l’Etat subi la pression de la concurrence et du marché, ne donnant à l’éducation et à l’épanouissement individuel et collectif qu’un intérêt secondaire, et bien c’est l’affichage omniprésent de la caricature qui meuble l’entourage des enfants et même des autres.
Si elle est trop pauvre, trop carrée, trop simple, trop « publicitaire », elle ne fait qu’alourdir les barrières de l’imagination, de la faculté d’analyse, de l’envie de savoir. Et même la sphère du monde académique n’est plus à l’abri d’une telle détérioration du style et de la pensée.
Le cliché et le racisme
C’est par la culture qu’est constituée une communauté. Croire que par exemple, la couleur de peau, les origines ou le sexe y sont pour quelque chose est trompeur. Les gens sont liés, se comprennent, par le langage, les gestes communs, par des points d’accroche et d’approche du monde qui sont semblables, une morale, une sensibilité, un imaginaire communs. C’est parce que les gens d’origines ou de couleur communes sont regroupés dans des lieux géographiques communs qu’ils sont de culture commune, et non l’inverse.
Les ghettos, en France, sont pour la plupart des ghettos culturels, pas « ethniques », même si ils commencent à le devenir - résultat d’une politique calquée sur celle des Etats-Unis. Mais les « habitus » des jeunes de quartiers pauvres par exemple, sont souvent les mêmes, quelque soit leurs origines. Le quotidien, le comportement d’un paysan français est plus proche de celui d’un paysan turc que celui d’un député français.
Ou bien, autre exemple, un homme d’origine malienne qui est né et a grandi en Bretagne, sans jamais avoir été au Mali n’a pas la même culture qu’un malien arrivé en France il y a deux ans. Ni qu’un guadeloupéen. Et un homme provenant du Languedoc sera toujours plus éloigné culturellement de la culture Bretonne que le malien de Bretagne. Et pourtant les gens auront trop souvent tendance à donner plus de points communs à la couleur de peau ou à d’autres aspects qui devraient être secondaires.
Ce qui rend le problème complexe est que ces aspects secondaires le sont de moins en moins en raison justement de toute l’importance qu’on leur donne. A force d’affliger le même sort aux gens de même aspect physique, bien sûr qu’ils finissent par avoir les mêmes préoccupations et se regroupent en communauté de défense. Subir les mêmes inégalités à la même époque et dans les mêmes lieux uni les gens, malgré eux, par ces points communs. Et par la même occasion, les désuni des autres.
Si je parle de tout cela, c’est que le cliché a sa place dans cet exemple, place d’importance. Ce n’est pas le cliché qui crée les inégalités, les discriminations, etc. mais c’est à partir du cliché qu’on les accepte sans mot dire, qu’on y voit une « norme », qu’on trouve cela normal. Comme disait Frantz Fanon* "Le raciste dans une culture avec racisme est donc normal." La société dans laquelle nous vivons, cet impérialisme du divertissement, qui se dit justement être « apolitique » est hérité, dans la droite continuité de la culture du passé ; culture impérialiste dans un pays colonial.
Je m’explique : que les clichés soient si vendeurs, c’est un fait. Mais que les clichés soient pour la plupart si souvent porteurs de racisme n’est pas une condition obligatoire à leur succès commercial. Pourtant ce sont toujours les mêmes pseudo blagues transpirant de racisme qui affluent. Elles nous entourent et se resserrent lentement, allant du grand cinéma national et outre atlantique aux chaînes de télé dites « jeunes » en passant par les pseudos nouveaux réalisateurs fashions « fils de untel » qui ne se gênent pas pour piocher dans le rap et la banlieue leur dynamique.
Est-ce nouveau ? Pas plus que la publicité Uncle Ben’s par exemple, ou bien que celle des Apericubes (montrant des cannibales noirs s’apprêtant à manger un homme blanc) où tous ces noirs qu’on nous montre enfin à la télé dès qu’il s’agit de publicités sur le sida. Où à ces publicités d’une agence de voyage qui nous vente les bonnes affaires à réaliser dans les souks marocains, avec en image une main de marchand maghrébin quémandant de la monnaie. On peut retourner jusque « Y’a bon banania ! » et même plus loin. Tout cela n’est pas nouveau, c’est juste l’imagerie raciste qui reste invariable, et avec l’argument du second degré comme soubassement.
Force est de constater que dans cette orgie de clichés qu’est notre époque, les clowns sont et restent les mêmes. Il y a toujours deux mondes, celui des « réa » et celui des acteurs. Acteurs fiction - réels ; de plus en plus dans leurs rôles primaires, réels, et de moins en moins acteur... et on voit naître de pathétiques films fantasmes sur la banlieue, filmés comme des reportages animaliers ou un zoo avec ses bêtes sauvages à casquettes. Et on applaudira le « réa » d’avoir eu le courage de montrer des images de ce monde exotique, d’en revenir sans cicatrices et avec de belles anecdotes.
Nous sommes les enfants de notre époque (plus que de nos parents et de leurs messages) et nous sommes devenus des « fonctionnaires du cliché ambulant » ou « fonctionnaires ambulants du cliché ». Métier sans avenir, pour nous comme pour les communautés visées. Nous ne faisons que rendre service à « notre patronat » que sont les médias, journaux, télés, radios, affiches, pubs, etc. à qui profite tous ces clichés - tous les clichés.
*Frantz Fanon : Racisme et Culture, paru dans « Pour la révolution africaine », La Découverte
Résister, et puis tout chambouler
Les artistes ne doivent pas oublier, qu’ils le veulent ou non, qu’ils jouent sur le tranchant de la politique. De l’esthétique même d’une œuvre découle un choix, une prise de position. Dans une société démocratique, où l’avis de l’individu est tenu en compte, quand l’artiste dit faire une musique qui se veut « neutre », « apolitique », c’est déjà un parti pris. Cela ne veut pas dire qu’il est satisfait par l’époque mais on ne pourrait affirmer qu’il est, ou qu’il fait quelque chose d’apolitique. Il fait quelque chose qui concorde avec les normes et les valeurs de l’époque.
Il y a plusieurs manières de sortir des normes qui emprisonnent l’esprit dans une pensée trop plate, formée à base de caricatures, équilibrée dira-t-on car bien vissée et adaptée au tissu social et culturel du moment, et qui ne cherche pas à le dépasser.
Quand les musiciens afro-américains sont passés du jazz au free jazz, c’était une manière de se libérer par la musique, une manière aussi de libérer la musique en la rendant complexe - inaliénable - non formatable, et pour cela ils ont du passer par plus de complexité. Prendre le temps. Faire des morceaux plus longs. Qui jouent avec la patience. Une note qui résiste à une époque où tout doit aller plus vite, rendement oblige. Les thèmes ne sont pas tous « chantonnables ». Les règles esthétiques sont repoussées. Plus de limite. Musique impossible à se Représenter. On se présente morceau par morceau, au cas par cas. Comme on devrait le faire avec les individus. Le style, l’ « identité » musicale n’est qu’un détail. Musique qu’on ne cerne pas. Car elle n’est pas figée, ni dans l’espace ni dans le temps. La complexité du morceau fait que chaque écoute est différente. D’autres, inaccessibles à la première écoute passent très bien à la quatrième. Comme on devrait lire un message. Musiques curieuses. Folles. Violentes. Difformes. Questionnantes, doutantes. Celles d’aujourd’hui sont dans l’affirmation, mais elles n’affirment rien. Elles ne savent rien, ne savent pas questionner. Pourtant douter et réévaluer est une nécessité, pas un luxe. Musiques qui questionnent et qui écoutent. Musiques qui blessent, qui irritent. Autant d’éléments. Elever la qualité esthétique de la culture ne peut qu’élever la qualité de la communication et donc du message.
On me dira, on a connu des musiques qui avaient une esthétique efficace et guerroyante, faisant démarche de porte drapeau d’idées ou de politiques totalisantes. Des musiques binaires avec un goût d’affrontement entraînant, faites pour encourager et motiver les soldats d’une cause. Certes. Mais ce dont je parle n’est pas l’accompagnement de telle ou telle politique, de tel commanditaire étatique ou autre, mais je parle bien d’une mise en abîme, d’une mise en avant de la complexité, du mélange, complexité à l’image de celle de l’être humain, tremplin pour sa curiosité, émulation, stimulant, qui appelle une oreille attentive, attentionnée et patiente, apte à attendre pour comprendre.
Car une musique qui défend une cause figée n’est, par essence, pas inscrite dans une démarche d’initiation et de progression, mais bien dans une démarche de posture. Posture qui viellie mal et qui devient caricature.
Le monde du cliché et du clin d’œil est un monde dans lequel tout le monde s’est perdu. Car s’il est vrai que les classes dominantes croyaient le maîtriser, elles souffrent aujourd’hui elles aussi de la montée de cette insignifiance. Et la promotion, l’enseignement de l’ignorance reflète bien l’état de notre société.
Et nous montre aussi que épanouir, enrichir et travailler l’esprit critique des individus n’est pas un des objectifs du système dans lequel on vie. On n’éduque pas un peuple avec un langage publicitaire, conçu pour la simplicité, « l’efficacité ». En transformant tout en icônes, en clichés, on ne fait que séparer toutes les entités qui ensembles font une société. On « ghettoïse » notre société.
Nous vivons une époque éblouie par l’émotion, (l’analyse est laissée aux intellectuels, qui se retrouvent de plus en plus dans l’angle mort de la vision collective) et ce sont les querelles et passions volatiles, créées de toute pièce, qui finissent par nous construire, et nous mettent lentement dans des cases, là où notre champs de liberté se résume à choisir entre être « pour ou contre » des idées fictives, qui ne prennent de l’importance que parce que des médiations loin d’être neutres nous les imposent et les places au centre de nos préoccupations.
Dans ce monde d’efficacité, d’émotion, c’est l’expression langagière et/ou artistique qui est de plus en plus limitée, mise de côté à cause de son manque de potentiel marchand. Du coup, le ressentiment, la rancœur, à force d’être intériorisés car inexprimables, deviennent de plus en plus lourds à porter. Et la société peut ainsi faire commerce fructueux et très facilement ciblé - vue qu’elle a elle-même créée les cases - de nos passions et des émotions collectives. Le tout servant aussi de prétexte aux décisions politiques.
Pourtant, une des ambitions de la société ne devrait-elle pas être d’entretenir les conditions de l’épanouissement humain ? La tournure que prend la société est dangereuse, ne serait-ce que pour elle-même. Certains économistes le disent bien, c’est l’économie qui doit être au service de la société, et non l’inverse.
Le rapport de force est ainsi déséquilibré que nous n’avons pas le choix des armes et nous nous engouffrons dans ce systématisme d’efficacité, même pour essayer de le réduire.
Ce dont nous avons besoin, c’est des luttes imaginatives, contestations énergiques dans un bouillonnement d’inventivité dont nous disposerions pour ridiculiser et montrer à quel point sont intenables les aspects principaux de l’occupation culturelle. Le cercle qui entoure les radios, les télés, les artistes, etc., n’est absolument pas capable d’une telle stratégie. Il est trop aliéné par le corporatisme chauvin et l’enrichissement personnel.
L’esprit n’est pas prêt à tout recevoir mais exerçons le à ce déséquilibre, aux contrastes, aux paradoxes, à des statuts différents et une posture non alignée. Je pense qu’il faut s’y risquer et s’y perdre pour se trouver, se construire. L’importance qu’il y a à se défendre de la douce agression qu’est la culture d’aujourd’hui, est qu’à force de l’avaler, bouche béante et yeux à demi clos, nous finissons par ne plus savoir exprimer nos idées, surtout dès qu’elles atteignent un certain degré de complexité, d’abstraction. L’expression langagière frustrée, nous crachons cette frustration de manière émotionnelle, animale. Dans un monde où le divertissement de masse nous aspire, les idées inexprimables ne nous épanouissent pas, ne nous laissent pas indifférents non plus mais nous écrasent.
Une société vivant sur le cliché est une société morte. Car le problème du cliché, du clin d’œil, est qu’il n’invente rien, il ne peut que faire allusion ou caricaturer quelque chose de déjà existant. Il est « passif », il ne se nourrit que du passé, d’un passé qu’il découpe et simplifie faussement. Et tout ce qui reste indéfini (genre artistique comme genre humain) est laissé à l’abandon.
Rocé
"Vision, conscience, langage... réinventés par la féconde déroute du Je suis « autre »."
Natsume Sôsek