Accueil > Cadavre exquis au Mexique
de Gérard Meudal
Donc le sous-commandant Marcos, chef de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) au Mexique, se lance dans le roman policier. Pas si étonnant : après tout, il y a des précédents. Frei Betto, le dominicain brésilien, un des éminents représentants de la théologie de la libération, devenu conseiller de Lula da Silva depuis que celui-ci a été élu président de la République brésilienne, en a bien publié un récemment (Hotel Brasil, "Le Monde des livres" du 18 juin 2004)... Et puis Marcos, qui a déjà écrit plusieurs essais, a toujours été très inventif dans son souci de populariser les idées du mouvement zapatiste.
Le voici donc associé à Paco Ignacio Taibo II pour un roman publié en feuilleton dans le quotidien mexicain La Jornada, puis en France dans Libération, dont le but avoué est d’aborder l’histoire contemporaine du Mexique. Chacun écrit alternativement un chapitre : Paco Ignacio Taibo II promène son détective Hector Belascoaran Shayne dans les rues du "Monstre" (Mexico), tandis que le sous-commandant Marcos imagine Elias Contrarios, un détective naïf mais plein de bonne volonté, qui n’a jamais quitté ses montagnes du Chiapas, un ancien compagnon d’armes de "El Sup Marcos"...
L’enquête vise à élucider la mésaventure survenue à un "fonctionnaire progressiste", Monteverde, qui reçoit sur son répondeur téléphonique des messages d’un ami mort assassiné quelques années plus tôt. Ceux-ci mettent en cause un certain Morales, sbire de mouvements d’extrême droite, et qui a sévi aussi bien à Mexico que dans le Chiapas, ce qui justifie la double enquête.
On pouvait craindre que le roman soit passablement décousu ; c’est le cas, mais ni plus ni moins que les romans habituels de Paco Ignacio Taibo II, qui fait dire à son héros : "En bon Mexicain, Hector Belascoaran Shayne n’était pas du genre à s’effrayer devant l’absurde. Il était mexicain et borgne de sorte qu’il voyait la moitié de ce que voyaient les autres, mais de façon plus nette."
On pouvait s’attendre à un certain didactisme, et les digressions sur "le mal et le méchant" n’y échappent pas totalement mais le côté farfelu de l’histoire atténue cet aspect d’un débat où tout le monde est appelé à donner son avis. Cela va de Manuel Vasquez Montalban, qui, il y a quelques années, réalisa un entretien avec Marcos (Le Monde diplomatique d’août 1999), à Don Quichotte en passant par Lorca, Angela Davis ou Pablo Neruda. Il n’est pas sûr que cela ralliera beaucoup de lecteurs à la cause zapatiste, mais si le but de l’opération était de démontrer qu’il règne une monstrueuse pagaille au Mexique à la veille de l’élection présidentielle de l’été 2006, c’est réussi.
DES MORTS QUI DÉRANGENT (Muertos incomodos) de Paco Ignacio Taibo II et le sous-commandant Marcos. Traduit de l’espagnol (Mexique) par René Solis, Rivages "Thriller", 208 p., 17 €.