Ce clash des civilisations qui s`installe... progressivement

Nahla Chahal
publié le jeudi 23 février 2006.

" Cependant, le clash des civilisations, guerre globale qui ne néglige aucun domaine, ne se contente pas des défis échangés au sommet, pareils au positionnement des anciennes armées dans un vaste champ de bataille. Il se décline à tous les niveaux et s’infiltre dans les détails quotidiens,..."

C’est lHistoire, pas moins que l'Histoire, qui appelle Georges Bush pour “libérer les opprimés”. Ceux-là habitent dans des lieux bien définis, à la tête desquels se trouvent bien évidemment la Syrie et l'Iran. Dans son dernier discours sur l'état de lUnion, le président américain ajoute l’Histoire à d’autres sources d’inspiration évoquées par le passé, dont certaines sont d’ordre divin. Il est choisi et celui qui est dans cette position ne recule pas devant les difficultés, même pas devant les données de la réalité. Ces données deviennent des détails insignifiants face à l’ampleur de la mission et à sa grandeur. La victoire elle-même devient une certitude absolue, quelque chose qui ressemble à une promesse ou à une prémonition.

Le président s’est retenu en parlant de l’Iran, il ne l’a pas suffisamment menacé, pas autant qu’auraient souhaité les néoconservateurs, qui s’attendaient à un langage aussi ferme que d’habitude. Peut-être que le président illuminé se prépare-t-il à plus efficace que des paroles. Des bombes atomiques ”tactiques” seront-elles expérimentées là-bas, libérant du coup radicalement les opprimés ? Le président a déjà obtenu lautorisation nécessaire pour lusage de cette arme, et lutilisera en temps voulu. Mais des préambules sont indispensables, dont un travail mené au Conseil de sécurité. A suivre. Le président iranien, Ahadi Najad, a construit sa première popularité par les actions quil a mené en tant que maire de Téhéran. Il a embelli la capitale, élargissant les rues, les décorant avec mille plantes et fleurs, ajoutant tout au long des avenues des plaques au nom des “martyrs” de la guerre avec lIraq, qui portaient aussi la phrase classique invoquant le Mahdi, (le messie attendu dans la tradition religieuse musulmane), lui demandant “daccélérer la délivrance”. Lendroit ainsi aménagé sied à lévénement en perspective. Les rationnels évoquent dautres explications, plus terriennes, désignant les catégories sociales concernées par les différents dispositifs de Najad, c'est à dire les populations les plus modestes. Toutefois, il y a une autre explication de l'ensemble de la conduite du président iranien, qui dépasse l'idéologie et la sociologie. Ses propos concernant Israël et le génocide des juifs durant la 2ème guerre mondiale, sont un moyen auquel recourt ce dirigeant pour rejeter l'ensemble de la configuration établie par l'Occident, configuration utilisée pour exercer un chantage justificateur dune stratégie. L’Occident a sacralisé des faits historiques, les rendant ainsi absolus. Le président Najad a tenu ses propos - qui peuvent être qualifiés de populistes ou de démagogiques, chacun dira ce qui lui plaît - dans un but de mobilisation générale dans des conditions extrêmement difficiles, l’ensemble de la situation souffrant d’éparpillement et d’effondrement total de la confiance en soi, cest à dire de ce qui constitue une atmosphère de soumission. Il est évidemment possible de lire le discours du président américain autrement qu'à travers ses convictions idéologiques. Il va de même pour l'ensemble des décisions prises, dont celles aussi graves que la guerre contre l'Iraq et l'occupation de ce pays, qui possèdent des explications plus liées aux chiffres qu'aux idées : les profits astronomiques que des compagnies comme Bectel et Haliburton ont enregistrés en Iraq. La conduite de ces entreprises ressemble plus à des actes de vandalisme mafieux qu'à autre chose. Des liens très forts existent entre les compagnies actives en Iraq, ou plus généralement celles très nombreuses qui profitent de l'occupation, et certains milieux - ou personnes - à la tête de l'administration américaine, de sorte que les frontières sestompent. Puis, il y a cette “drogue”, comme l’a appelé le président américain dans son dernier discours, nommant le pétrole, promettant à ses concitoyens de les libérer de leur dépendance à l’égard de ses sources moyen-orientales à l’aube de...2025.

Allons-nous rester jusqu’à cette date au cœur de lintérêt des administrations américaines successives ? Ou bien, les espoirs messianiques de M. Ahmadi Najad devanceront les plans de Washington ? Moqtada Sadr se fâchera-t-il donc de cette “déchéance” dans l'explication des motivations américaines de la guerre contre lIraq et de son occupation, lui qui soutient que les Américains ne sont venus en Mésopotamie que pour entraver l’apparition du Mahdi et l’accomplissement de cette autre fin de l’Histoire.

Cependant, le clash des civilisations, guerre globale qui ne néglige aucun domaine, ne se contente pas des défis échangés au sommet, pareils au positionnement des anciennes armées dans un vaste champ de bataille. Il se décline à tous les niveaux et s’infiltre dans les détails quotidiens, récupérant tous les gestes et chaque incident, petit ou grand, l’insérant dans la construction de sa machine. Ainsi les articles publiés dans les journaux les plus prestigieux en Occident et les analyses des experts les mieux informés évoquent la victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes, non pas comme un événement politique étudiable et évaluable comme nimporte quel autre événement, avec ses implications, ses interactions, les pronostics sur les évaluations qui s'y rattachent ou qu'il peut déclencher, qui lui sont propres ou qui l'influent. Non, la victoire du Hamas est l'indice de caractéristiques immuables, qui reflètent les profondes motivations des Arabes et des Musulmans : Ils nous haïssent !! Cette phrase lancée après le 11 septembre, et que des tonnes d'analyses la disséquant n'ont pas réussi à réfuter, revient chaque fois au devant de la scène avec une formidable facilité. Ainsi le philosophe haineux, Alain Finkelkraut, commente l'explosion des jeunes humiliés et marginalisés des banlieues des villes françaises comme suit : “ils ne sont pas misérables, ils sont musulmans”. Je n'oublierai jamais l'étonnement et le malaise de la présentatrice française d'une émission politique télévisée, quand j'ai affirmé qu'une des raisons de lassassinat de cheik Yassine, le leader du Hamas, était relative à sa modération. Le même choc sest emparé d'un éminent journaliste européen quand j'ai dit devant lui que Sayyed Hassan Nasrallah se distingue par une conscience politique d'une remarquable profondeur. Je ne prenais la défense daucun des deux, mais javais osé leur attribuer des qualités humaines, j'avais l'air de les respecter et pouvais être suspectée d'avoir “peut-être” une admiration pour l'un ou l'autre. Les caricatures qui suscitent tant démotion dans le monde arabo-musulman appartiennent à un genre qui vacille entre l’insignifiance et la provocation préméditée. Ainsi ces caricatures semblent appartenir à la mise en place des marques de guerre. S’il est vrai que les médias jouissent d’une grande liberté en Occident et que les autorités politiques ne maîtrisent pas ce qui est publié, alors la catastrophe est plus importante : le “clash des civilisations” ne se résume plus à l’habillage donné au complot américain pour justifier l’agression et pour exercer l’hégémonie. Ce clash s’est répandu et vulgarisé.

Par ailleurs, certaines réactions dans le monde arabo-musulman sont incompréhensibles, qui ne se sont pas contentées de condamner ces caricatures, (même si la proposition de les négliger n’est pas méprisable, elle aurait permis de déjouer les objectifs de leurs commanditaires). Mais qu’ici et là on s’attaque à des églises, dans l’Iraq meurtri ou au Liban !! Voilà des perspectives bien sombres, alors que la région est visée par une stratégie complexe de domination.

Il plane sur la planète des airs d’inquisition, ces tribunaux qui ont visé les musulmans et les juifs dans l’Espagne du 15ème siècle, ou ce Maccarthisme si proche encore. Certains diront que c’est exagéré. D’accord, ni des bûchers ne vont être dressés, ni des poteaux ni des inscriptions sur liste noire. Mais la guerre globale au nom du clash des civilisations est-elle plus clémente ? Allons-nous nous y enliser au lieu de la déjouer en dressant le profil d’un avenir autre pour l’ensemble de l’humanité, et non pour une civilisation exclusive, ce qui n’a existé que comme un drame ?
http://www.protection-palestine.org/article.php3?id_article=2242

Nahla Chahal
traduit de l’arabe, publié dans le supplément politique Currents du « Hayat » le 05-02-2006