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Ce que l’on ne voit pas

Publie le dimanche 7 mars 2004 par Open-Publishing

Traduction

De Mario Vitiello (ATTAC Milan)

Les dynamiques cachées derrière les luttes des travailleurs des transports
publics
locaux. (En Italie)


Les grèves des transports publics de décembre et janvier ont mis en évidence
beaucoup d’éléments, certains évidents, d’autres peu connus, qui sont à prendre
en compte dans leur ensemble si on veut avoir une vision plus large des faits.
Il faut dire d’abord que la lutte des travailleurs des transports publics a réussi
pleinement. Elle a gagné l’attention générale d’une opinion distraite voir manipulée ;
elle a enfin débloqué une situation d’impasse dans la négociation, même si elle
a abouti au mauvais accord des syndicats confédéraux du 20 décembre, qui probablement
ne sera pas accepté par les travailleurs.

Mais c’est sur d’autres plans que les grèves ont eu un effet "politique". D’abord
sur le plan de la prise de conscience des travailleurs, qui ont fait grève soudés,
avec des adhésions proches du 100%, faisant preuve de la capacité de gérée les
lutte de façon unitaire, dépassant souvent les syndicats confédéraux eux-mêmes.

Ensuite sur le plan de la prise de conscience des usagers, qui ne se sont pas
trop plaints pour le service supprimé. Au contraire, de plusieurs façons ils
ont manifesté leur solidarité et, si on exclut les prises de position délirantes
de certaines associations de consommateurs, ils se sont décidément rangés du
côté des grévistes. Les grèves en cascade ont donc déjà atteint un résultat politique
de haut niveau, surtout si on considère le cadre législatif (loi 146/90, prévoyant
entre autre le service minimum garanti, NdT) et l’appauvrissement et la dévastation
sociale produits par le gouvernement de centre-droit. Mais les grèves ont eu
une limite. A la fois dans les interviews des travailleurs en lutte et dans celles
des usagers et des citoyens, conscients et participants, les points du salaire
(800 euros par mois pour un travailleur ATM, Entreprise de Transports Publics à Milan,
NdT) et des heures de travail (à cause de la proposition de la mairie de Milan
de modifier les pauses et les temps de récupération) ont apparu avec clarté,
mais dans la majeur partie des commentaires on n’a pas parlé des "situations
autours", c’est-à-dire les dynamiques de privatisation des Transports Public
Locaux et de la réforme en cours.

Ca vaut la peine de faire des considérations sur comment on est arrivé à la situation
présente. Avec la promulgation de la loi 422/97 de réforme des Transports Publics
Locaux, le système de référence de la loi 151/81 a disparu, et la nature des
Entreprises de Transports a changé : d’entreprises communales ou à participation
publique, elles sont devenues des SpA, sociétés de capitaux. La loi 422, connues
sous le nom de loi Burlando, modifiée plusieurs fois, prévoyait que dans des
temps plus ou moins définis les nouvelles SpA auraient dû être placées sur le
marché, c’est-à-dire vendues à des privés par le biais d’appels d’offre, au mieux
disant, et soumises au "régime amincissant" de la privatisation.

La réforme, on voudrait presque dire heureusement, ne va pas comme Burlando d’abord
et Berlusconi après ont espéré. Les administrations, qui doivent mettre en place
les cahiers des charges et définir les conditions minimales pour le service public,
ont du mal à préparer la documentation et à lancer les procédures d’appel d’offre.
Les séances d’appel d’offre elles-mêmes sont désertées, parce que ce n’est pas
facile que de comprendre la valeur réelle d’une entreprise de transports, entre équipements,
véhicules et personnel. Parfois, plutôt souvent en réalité, seulement la société qui
gère déjà le service répond ("incumbent", en jargon), toute seule ou en ATI (Association
Temporaire d’Entreprises, NdT) avec d’autres souvent plus petites.

Le mécanisme de la privatisation a comme premier effet, aujourd’hui vraiment
visible, la réduction du coût du travail, qui représente une partie considérable
des coûts d’une entreprise de transports. Les travailleurs sont les premiers à en
payer le prix, non seulement en termes de salaires mais aussi de précarité, de
contrats flexibles, d’horaires plus durs, de conditions de travails pires. Le
but affiché par les privés qui participent aux appels d’offre est la réduction
du nombre de travailleurs, la réduction des salaires et l’augmentation des charges
de travail. Les syndicats sont eux aussi visés, et l’externalisation de nombreuses
fonctions a entre autre l’objectif de fragmenter la participation et l’appartenance
aux organisations syndicales.

Un autre élément qui accuse de plus en plus d’attaques est la sécurité, et les
accidents ferroviaires récents en sont la preuve. Une moindre sécurité d’abord
pour les travailleurs des entreprises de transports publics, et une moindre sécurité pour
les usagers, qui voyagent sur des véhicules fragiles, vieux, ou bien neufs mais
soumis à des programmes de maintenance de plus en plus légers (comme c’est le
cas pour les avions, secteur libéralisé depuis plus longtemps).

Mais probablement d’autres aspects, plus techniques, subiront des détériorations
progressives : la régularité su service, qui est primée dans les contrats mais
n’est pas soutenues avec des instruments adéquats, par exemple avec des investissements
dans les équipements de régulation du service ou dans la formation du personnel,
ou bien les fonctions d’intermodalité, parce que la présence d’un nombre élevé d’opérateurs,
en concurrence entre eux, est par définition contraire à la possibilité d’effectuer
des échanges modales rapides et efficaces (voire par exemple l’introduction toujours
plus dense de tourniquets et portes automatiques, nécessaires à partager les
revenus entre les différents opérateurs, qui rendent difficile l’écoulement des
flux et la libre circulation des personnes).

Enfin, la réforme des Transports Publiques Locaux, avec la libéralisation et
la privatisation, aura des effets non secondaires du point de vue environnemental,
parce que la logique du profit, que les nouveaux investisseurs privés devront
suivre de par leur nature même, est en contraste net avec le choix de politiques
de transport à faible impact et durables, qui visent à réduire le nombre de véhicules
en circulation, à garantir des liaisons et des moyens de transport même là où ils
ne sont par rémunérateurs et concurrentiels.

Un éléments supplémentaire regarde la contradiction dans laquelle se trouve par
exemple ATM, comme n’importe quelle autre entreprise fournissant un service public,
en qualité de "SpA publique". Le statut de SpA, régi par le droit privé, prévoit
comme objectif la clôture du bilan en actif, et le Conseil d’Administration répond
des gains produits face à l’actionnaire, qui peut être aussi une administration.
Mais alors ça veut dire quoi SpA publique ?

Il faut savoir que le "plan industriel" d’une SpA, même si avec un actionnaire
de référence "publique", vise à réaliser un profit, des dividendes en fin d’année,
et met inévitablement en second plan le citoyen qui a besoin d’un service publique
de transport. "SpA publique" signifie par exemple que ATM peut se permettre des
opérations telles que l’achat de 10 millions de bond Cirio (autre entreprise
au centre d’un scandale semblable à celui de Parmalat NdT), en y perdant plus
ou moins 9 millions d’euros. Ou bien permet, de façon probablement illicite,
de ne pas inscrire au bilan 2003 la taxe pour les déchets, en atteignant ainsi
un actif qui autorise entre autre le paiement de primes aux dirigeants à la fin
de l’année.

Mais l’actif d’une entreprise qui fournit un service public doit se mesurer dans
la capacité de garantir des véhicules dans une grande zone horaire, de permettre
des déplacements faciles à qui ne peut pas se permettre une voiture (ou à qui
ne l’utilise pas par choix), de faciliter l’utilisation et l’accès à tous, de
maintenir bas le prix du billet, de garantir une rétribution digne à ses employés,
de maintenir un niveau de sécurité élevé et ainsi de suite. En bref, il se mesure
dans l’utilité sociale du service effectué, qui peut, ou peut-être doit, être
en passif du point de vue financier, et qui doit donc être soutenu par la fiscalité générale.
En ce sens la défense des Transports Publics Locaux, et donc de beaucoup de services
publics aujourd’hui à risque de privatisation, ne concerne pas que le modèle
de mobilité que nous voulons, mais aussi le modèle de ville que nous désirons.
Décidément autre chose que le "modèle lombard".

GRANELLO DI SABBIA (n°122)

Lettre électronique hebdomadaire d’ATTAC Italie

traduit de l’italien par Antonio

06.03.2004
Collectif Bellaciao