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"Ce sont les services de sécurité, leur conduite, qui font problème"
Publie le lundi 19 juillet 2004 par Open-PublishingPropos recueillis par Gilles Paris
Entretien avec Salah Abdel Chafi, observateur palestinien.
Membre , à Gaza, du Comité national pour les réformes, qui rassemble des représentants de la société civile palestinienne, Salah Abdel Chafi a soutenu l’Initiative de Genève, un plan de paix pour le Proche-Orient.
Comment analysez-vous l’enchaînement des faits qui a conduit à ce qui est sans doute la plus grande crise interne de l’Autorité palestinienne depuis sa création en 1994 ?
Je ne crois pas au hasard. Je mets de côté ce qui s’est passé avec les Français -enlevés pendant quelques heures à Khan Younès vendredi 16 juillet-et qui est à mon avis un acte isolé. En revanche, j’imagine tout à fait que les hommes qui, le 16 juillet, ont kidnappé le chef de la police, Ghazi Jabali - ce qui a constitué le vrai détonateur -, puissent avoir été utilisés. Par qui ? Les choses peuvent paraître assez claires. On sait qu’à Gaza, Mohammed Dahlan -ancien chef de la sécurité préventive- a un agenda personnel et politique. Il l’a dit. Après son départ du gouvernement, après l’échec d’Abou Mazen -Mahmoud Abbas, l’éphémère premier ministre, en 2003-, Arafat avait pensé qu’il -Dahlan- serait durablement marqué, en mettant en avant ses liens avec les Américains.
Mais Dahlan s’est montré discret. Il a mieux manœuvré qu’Abou Moussa -dissident du Fatah-qui avait pris en 1983 la tête de la fronde contre Arafat, après l’échec du Liban en 1982, mais qu’Arafat avait neutralisé en le présentant comme un agent de la Syrie. Puis Dahlan a pris soin de se démarquer de l’Autorité palestinienne. Enfin, il a tenté de jouer sur le ressentiment et la frustration du Fatah à l’égard de cette Autorité, mais sans jamais la heurter de front. Il a compris qu’on pouvait fédérer les gens, à l’intérieur du Fatah, en dénonçant la corruption.
Aujourd’hui, il garde le contrôle de certains services de sécurité, il a manifestement de l’argent, du charisme et des fidèles.
Pourquoi cette crise intervient-elle maintenant ?
Il fallait tout d’abord que le climat soit propice au sein du Fatah, ce qui semble être le cas. Ensuite, il y a la perspective du plan de retrait de Gaza. Arafat s’interroge. Dahlan pense, lui, que Sharon est sérieux, même s’il se doute bien qu’il ne fait pas ça pour les Palestiniens, et il pense que les choses pourraient même s’accélérer si les travaillistes entrent au gouvernement. Dahlan estime que si les Palestiniens réussissent à bien gérer la période qui suivra le départ des Israéliens, ils gagneront du crédit au niveau international, mais qu’en revanche, si ça se passe mal, ce soutien éventuel sera définitivement perdu. Dans cette optique, la sécurité devient primordiale, car ce sont les services de sécurité, leur conduite, leurs divisions, qui font problème. Je suis convaincu qu’il sera plus facile de gérer le Hamas -le Mouvement de la résistance islamique-.
Or Arafat semble incapable de changer les choses. Aujourd’hui, il n’a plus le choix, soit il compose et il partage le pouvoir, ce qui n’est toutefois pas dans sa nature, soit il s’oppose. En croyant sortir de la crise en nommant -son neveu- Moussa Arafat -à la tête des services de sécurité à Gaza-, il a commis une très grave erreur. Il n’a pas mesuré combien les gens le -Moussa Arafat- détestaient même si, en fait, il n’avait sans doute pas d’autre option.
La remise en cause vise-t-elle personnellement M. Arafat ?
Non, aujourd’hui, les gens ne disent certainement pas qu’il est un problème et qu’il doit partir, mais qu’ils ont un problème avec lui, avec ses façons de faire. Il y a le fait qu’il est en résidence surveillée par la volonté des Israéliens. Il est donc encore facile de s’identifier à lui en tant que victime et l’accent est mis plutôt sur l’entourage, qui lui donnerait les mauvais conseils et les mauvaises informations.
Jusqu’où peut aller cette crise ?
Tout dépend de ce que fera Abou Ala’a -le premier ministre Ahmed Qoreï-, qui est arrivé manifestement à une impasse avec Arafat, alors qu’il a tout fait au départ pour ne pas se heurter à lui. Si une crise politique s’ajoute à la crise des services de sécurité, Arafat sera dans une situation très difficile. Il y a aussi les Egyptiens, qui regardent sans doute ce qui se passe sans déplaisir et qui multiplient les contacts avec Dahlan et avec le Hamas, lequel semble aujourd’hui en difficulté, comme le montre son incapacité à répliquer aux coups portés par les Israéliens et qui cherche actuellement à en prendre le moins possible.
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