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Ces quinze chômeurs à qui on a fait miroiter une possibilité d’embauche

Publie le mercredi 1er juin 2005 par Open-Publishing
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de Fanny Doumayrou

L’ANPE et les ASSEDIC leur ont promis une formation « suivie d’un CDI à temps plein ». Après trois mois de stage, ils se retrouvent sans rien et dénoncent une « escroquerie ».

Ils mettront longtemps à se remettre de cette mésaventure cruelle que leur ont fait vivre l’ANPE, les ASSEDIC, et le patron de Colorado, un organisme de formation spécialisé dans la « relation client ». Quinze chômeurs de la région parisienne, très amers, dénoncent comment on les a « arnaqués, pris pour des enfants, pour des merdes », en leur faisant miroiter ce qui pour eux, après des mois de chômage, comptait par-dessus tout : un emploi en CDI.

Tout a commencé, fin 2004, par une convocation alléchante de l’agence ANPE Vaugirard (15e arrondissement) les invitant « à participer à une réunion d’information concernant une formation gratuite et rémunérée dans le domaine commercial, suivie d’une embauche en contrat à durée indéterminée temps plein. Ces métiers proposent une rémunération motivante à hauteur de votre investissement ». Sur 600 chômeurs contactés, 120 sont retenus par l’agence pour passer une batterie de tests, et quinze heureux élus sont finalement sélectionnés pour « bénéficier » du dispositif, qui démarre début février. Il prévoit deux mois de formation théorique, assurés par l’organisme Colorado, et un mois de stage dans des entreprises partenaires qui se sont engagées à les embaucher. Le tout est piloté et financé par les ASSEDIC, qui versent à Colorado 2 240 euros par chômeur.

« Dans toutes les réunions préparatoires, le discours était clair, on nous promettait un CDI », racontent les chômeurs, âgés de vingt-cinq à quarante ans environ, et la plupart d’origine étrangère. « Mais rapidement, nous avons commencé à nous inquiéter. » Manuel Jacquinet, patron de Colorado et « responsable pédagogique », s’avère beau parleur mais peu fiable. « Il se targuait de connaître beaucoup de patrons, se souviennent les stagiaires. Mais quand on lui demandait dans quelle entreprise on allait faire le stage et être embauchés, il ne répondait pas. La tension montait. Il répliquait en disant qu’on pouvait s’estimer heureux d’être là, qu’il ne fallait pas se plaindre car plein de chômeurs voudraient être à notre place. » L’organisation de la formation s’avère, elle aussi, « chaotique ». Pour leur apprendre le métier de télévendeur, Colorado leur fait passer la moitié du temps en ateliers d’expression, en séances de programmation neurolinguistique et de relaxation. Colorado invitera même un stagiaire à remplacer au pied levé une formatrice absente. « Au bout de deux semaines, nous n’avions plus du tout confiance, mais nous étions obligés de continuer sinon les ASSEDIC nous supprimaient nos allocations », déplorent les chômeurs.

C’est seulement deux jours avant le début du stage que Manuel Jacquinet organise la rencontre avec les entreprises d’accueil, qu’il a trouvées à grand-peine. Sur quinze chômeurs, huit seulement se voient proposer un stage. Deux refusent car Europhone, un centre d’appel qui avait promis des embauches à 1 400 euros mensuels plus des primes, a revu son offre à 1 100 euros brut ! Les six autres effectuent normalement leur stage. « Nous étions deux chez Duchange, une petite structure dont le patron est un ami de Jacquinet, racontent Jean et Karim (1). Le stage s’est très bien passé, mais le dernier jour, il nous a annoncé brutalement qu’il ne nous embauchait pas. Nous étions sous le choc. Il a profité de notre travail gratuit pendant un mois. » Au final, début mai, un seul chômeur est embauché en CDI. Lors de la dernière réunion, expéditive, M. Jacquinet ne donne aucune explication. « Pas d’embauche, même pas de stage pour certains, c’est une escroquerie totale », s’emportent les chômeurs, qui ont perdu trois mois et approchent de la

fin de droits aux ASSEDIC. Certains avaient renoncé à d’autres formations ou à d’autres offres d’emplois pour intégrer Colorado. « Nous sommes désemparés, dit Karim. J’avais raconté autour de moi que j’allais avoir un CDI. Aujourd’hui j’ai honte, je n’ai dit à personne ce qui s’est réellement passé. »

Fatima, formatrice spécialisée dans le domaine des centres d’appel, avait été recrutée par M. Jacquinet pour intervenir dans cette session. « J’ai dû partir en cours de route car je ne pouvais pas cautionner son attitude, témoigne-t-elle. Il a commencé la formation avant d’avoir réuni le nombre d’entreprises nécessaires pour intégrer les stagiaires. Il les a menés en bateau, en les traitant comme des serpillières. Il ne voyait qu’une chose : les 2 200 euros par tête qu’il allait toucher des ASSEDIC. L’enjeu était important pour lui, car si ce coup-là marchait, il projetait de monter ces formations pour chômeurs dans toute la France. » M. Jacquinet a employé Fatima sans contrat de travail, en lui facturant la prestation. Comme elle n’a pas de statut de travailleur indépendant, c’est du travail au noir.

Détail important, ce patron peu recommandable

est considéré comme un « expert » dans le milieu des centres d’appel... et par le gouvernement. En octobre dernier, le ministre du Travail Jean-Louis Borloo, lance un plan de développement de l’emploi dans les métiers de télé-opérateur, qu’il considère comme un « vrai ascenseur social ». Il confie alors à Manuel Jacquinet, qualifié d’« expert indépendant », le pilotage d’un groupe de travail composé de patrons de centres d’appel, et le charge de plancher sur un « label gouvernemental de mieux-disant social » et sur la professionnalisation de la formation dans le secteur ! Aujourd’hui, l’« expert » refuse de s’exprimer sur le dispositif bidon qu’il a concocté pour les chômeurs. Il estime que de son côté, « tout est transparent ».

L’affaire pose la question du contrôle des formations par les ASSEDIC et l’ANPE. « Ces institutions n’ont pas eu le sérieux et la fermeté nécessaire, estime Karim, et cela aux dépens de personnes fragilisées socialement, c’est ignoble. Nous les avons alertées des problèmes que nous rencontrions avec Colorado, mais elles ne sont jamais intervenues. » « Pour les ASSEDIC, ces chômeurs étaient sortis des statistiques du chômage, c’est la seule chose qui comptait », déplore Fatima. Maintenant que le bilan catastrophique est là, les responsables ANPE et ASSEDIC se disent « les premiers désolés ». M. Lemaître, directeur délégué départemental de l’ANPE, reconnaît que ces formations sont montées « sans contrôle des embauches promises au-delà du simple engagement moral des entreprises », ce qui exclut de leur demander des comptes aujourd’hui. Les ASSEDIC considèrent que « Colorado n’a pas respecté ce qui était prévu », à savoir un taux de 80 % de retour à l’emploi parmi les stagiaires. Mais la seule sanction envisagée pour l’instant est la fin de toute collaboration avec l’organisme. ANPE et ASSEDIC rejettent en choeur l’idée de fausses promesses faites aux chômeurs : « On leur parle seulement d’intentions d’embauche », ce que contredit le courrier de l’ANPE lui-même. En attendant, Manuel Jacquinet a déjà empoché une bonne partie du coût total de la formation (33 000 euros), les ASSEDIC ne précisent pas si le reste lui sera versé. Quant aux chômeurs, ils sont convoqués aujourd’hui pour une grande réunion au cours de laquelle l’ANPE et les

ASSEDIC vont leur promettre un « suivi renforcé », et leur faire de « nouvelles propositions ». La moindre des choses serait de leur prolonger leur allocation chômage des trois mois perdus dans cette formation.

(1) Les prénoms ont été changés.

http://www.humanite.presse.fr/journ...

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