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Cesare Battisti et nous...

Publie le vendredi 19 mars 2004 par Open-Publishing

Avec d’autres, j’ai réclamé et œuvré pour la libération de Cesare Battisti. Si c’était à refaire, je livrerais la même bataille. Mais pour d’autres raisons que celles qu’on nous prête ici et là - en France comme en Italie. Par-delà nos divergences, certaines opinions nous rapprochent.

En 1973, à l’évidence, Rome n’était pas Santiago. Les mises en scène mentales qui travestissent les démocraties molles en fascismes purs et durs, autorisant du même coup le gangstérisme à se parer des plumes de la révolution en marche, restent d’insupportables usurpations. On ne prend les armes que lorsque les urnes ont disparu. Pour rétablir une valeur inaliénable, et la défendre comme on peut : la liberté. C’est faire injure à la mémoire des communards, des républicains espagnols, des résistants français, du MIR chilien et de tous les combattants qui, dans l’histoire, ont lutté pour cette cause-là, que de s’inventer des ascendances mensongères.

Qui vole est un voleur. Sauf quand il a faim. Qui tue est un assassin. Sauf quand il sauve le monde. Les terroristes, voleurs d’idéologies, n’ont jamais sauvé personne.

Les sociétés se décongestionnent en pardonnant. C’est-à-dire en amnistiant. En son temps, la France s’est réconciliée avec ses "collabos", puis avec ses volontaires pour l’Algérie française. D’une manière viciée, elle l’a fait pour Papon ; on peut espérer que, d’une façon honorable, elle le fera pour Nathalie Ménigon, qui se meurt. L’Italie, semble-t-il, ne souscrit pas à ces manières. C’est son affaire, et cette affaire-là, dans le débat qui nous occupe, ne nous regarde pas.

J’ai réclamé et œuvré pour la libération de Cesare Battisti sans ignorer les faits qui lui sont reprochés. Sachant également qu’il nie les homicides qu’on lui attribue, qu’il a été condamné sans preuves irréfutables, sur la base de témoignages achetés, dans un pays où des prévenus (donc des innocents) pouvaient être emprisonnés pendant huit ans dans des prisons spéciales. Justice particulière, sinon d’exception... Dans ces circonstances, le doute est permis. Et, dans toute démocratie, le doute doit profiter à l’accusé.

Ce n’est pas le cas pour Battisti. Ni pour aucun de ses compagnons réfugiés. Selon la loi italienne, les contumaces ne peuvent pas être rejugées. S’ils rentrent, ils sont emprisonnés. Directement. Sans défense. C’est pourquoi la Cour européenne a, en son temps, condamné l’Italie. C’est pourquoi, depuis vingt ans, la France a accordé un droit d’asile aux réfugiés italiens. C’est pourquoi nous nous sommes élevés contre l’arrestation de Cesare Battisti.

Nous ne nous adressions pas au gouvernement italien, mais au gouvernement français. Nous voulions lui rappeler que, par un double arrêt datant du 29 mai 1991, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris avait refusé l’extradition de Cesare Battisti. Qu’aucun élément nouveau ne justifiait qu’il dût se représenter devant la justice. Que jusqu’alors, pendant vingt ans, tous les gouvernements, de droite comme de gauche, avaient respecté cette parole d’Etat selon laquelle, à condition qu’ils aient rompu avec la machine infernale dans laquelle ils s’étaient engagés, les rescapés des années de plomb italiennes pouvaient vivre en France.

Nous ne demandons pas une absolution. Seulement l’exécution d’un droit. Une mesure qui aurait pu être provisoire si l’Italie avait ouvert les portes de ses palais de justice à ces personnes qui vivent cachées, traquées, misérables depuis vingt ans. Et qui, certainement, eussent préféré rentrer dans leur pays si, au lieu et place d’une geôle pour la vie, on leur avait offert le droit de se défendre.

Dan Franck est romancier.

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