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Chez Accor, les petites promos font-elles les bons amis ?
Publie le mercredi 13 octobre 2004 par Open-PublishingLe groupe hôtelier est suspecté d’avoir accordé des rabais contre des services.
Par Fabrice TASSEL
Ce n’est certes pas l’affaire de la caisse noire d’Elf ou de Total, mais la brigade financière de Paris et le juge Courroye sont vigilants. Dans une enquête menée depuis cet été, ils s’interrogent sur d’éventuels privilèges commerciaux excessifs accordés par le groupe hôtelier Accor à des personnalités en échange de services rendus. Pénalement, cela s’appelle du « trafic d’influence ».
L’histoire, que l’Express a dévoilée lundi, démarre assez classiquement par une lettre anonyme. Un « corbeau » dénonce les pratiques d’une société de conseil en tourisme MKG Consulting dont le principal client est le groupe Accor. Après l’enquête des policiers de la brigade financière, le juge Courroye met en examen, en juillet, Georges Panayotis, PDG de MKG, pour abus de biens sociaux et trafic d’influence. Les soupçons portent sur des pratiques de fausse facturation qui auraient permis de dégager des liquidités au bénéfice d’Accor. L’avocat de Panayotis, Me Roger Doumith, dément et évoque « des pratiques internes au groupe ».
Lettre signée. En poussant son enquête, la police découvre, lors d’une perquisition au siège d’Accor, une liste de personnalités, issues de la politique, des médias et du show-business, ayant bénéficié de réductions sur des séjours dans des hôtels de la chaîne. Celle-ci, comme toutes ses concurrentes sur ce secteur, dispose d’un département VIP chargé de choyer certains clients prestigieux ou, en tout cas, utiles. En perquisitionnant chez Georges Panayotis, la police saisit un dossier concernant Aquilino Morelle. Cet ancien conseiller de Lionel Jospin à Matignon a bénéficié d’une forte réduction sur un séjour qu’il a effectué, l’hiver 2001, dans un Sofitel à Venise. Morelle, dont la garde à vue entamée hier, a été prolongée hier soir , était recommandé au directeur de l’hôtel par une lettre de Panayotis.
Or, et c’est ce qui fonde le soupçon de « trafic d’influence », ce même Panayotis a obtenu, en 2001, la Légion d’honneur. La police dispose d’une lettre signée d’Aquilino Morelle se déclarant favorable à cette promotion. Joint par Libération, l’ancien conseiller de Jospin nie catégoriquement : « Je vais à Venise presque tous les ans. En 2001, oui, j’avais été recommandé comme client VIP, mais je ne sais pas par qui. C’est le directeur de l’hôtel qui a décidé de cette réduction. C’est vrai, la facture était très faible. L’établissement était presque désert, alors il est fréquent que les hôtels offrent des avantages sur des chambres que, de toute manière, ils ne rempliraient pas ! Quant à la Légion d’honneur, c’est absurde ! J’aurais pu proposer Panayotis, que j’ai vu une ou deux fois, sur le contingent de Matignon, et il aurait eu cette distinction. Or je ne l’ai pas fait. Et la lettre le recommandant, j’en signais 150 comme ça par an. Enfin, Panayotis a eu la Légion sur le quota de Pierret, qui a travaillé chez Accor durant quatre ans. Voilà l’explication. Il n’avait pas besoin de moi pour être décoré. » Georges Panayotis a effectivement obtenu sa décoration sur le contingent de Christian Pierret, ministre de l’Industrie sous Jospin, et directeur général d’Accor entre 1993 et 1997.
Concernant ces dossiers saisis au service VIP d’Accor, les policiers s’interrogent sur les situations de Jacques Barrot, ex-ministre UDF aujourd’hui commissaire européen, et de Martine Aubry, maire PS de Lille. Le juge Courroye a adressé il y a une dizaine de jours une demande de réquisitoire supplétif au parquet de Paris afin d’enquêter sur ces cas. Selon une source proche de l’enquête, « la remise commerciale abusive et son éventuelle cause ne sont pas encore avérées. Mais concernant des projets de remises exorbitantes en faveur d’un homme politique, on doit se demander s’il n’y avait pas quelque chose en échange ». Les enquêteurs s’interrogent sur le sens de courriers internes à Accor envisageant une remise tarifaire au bénéfice de Martine Aubry.
Massages payés. Cette offre portait sur une ristourne de 50 % sur des chambres et la gratuité d’une thalassothérapie à Essaouira (Maroc). Si la maire de Lille est bien partie avec son compagnon et un couple d’amis dans la station balnéaire, son entourage conteste avec virulence ce soupçon : « C’est une amie de Martine Aubry qui a pris les réservations. Il y avait une promo à 110 euros sur des chambres à 165 euros. Il y avait même une super promo à 96 euros, mais ils ont pris celle à 110. Par ailleurs, il n’y a pas eu de thalasso gratuite, juste quelques soins, massages et autres, qui ont été payés. Aucune invitation n’a été adressée à Martine Aubry. »
Le cas de Jacques Barrot semble assez proche. Les policiers ont saisi chez Accor un projet de remise de 50 % sur des billets d’avion vers Dubrovnik (Croatie), où s’est rendu le commissaire européen avec sa famille, en août. Une proposition visant à recréditer le compte de Jacques Barrot de 2000 euros apparaît aussi dans les documents saisis. Par ailleurs, la justice dispose d’une lettre signée de Jacques Barrot favorable à une nomination de Didier Ravassard, responsable du département VIP d’Accor, à un poste au ministère du Commerce extérieur.
Depuis Bruxelles, Jacques Barrot s’explique : « J’ai payé mes billets environ 1 000 euros par personne. J’ai vérifié hier avec les prix pratiqués sur ce vol, je ne crois pas avoir bénéficié d’une remise. En tout cas, je le dis très simplement, s’il y en a eu une, je l’ignorais. Je n’ai rien demandé à qui que ce soit. Quant à la lettre en faveur de Ravassard, oui je l’ai recommandé et je ne m’en cache pas. » Le groupe Accor se contente d’expliquer qu’il assure certaines remises à des clients VIP, comme l’ensemble de la profession.