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Chili : la lutte du mouvement mapuche autonome

Publie le lundi 5 septembre 2005 par Open-Publishing

de Gloria Muñoz Ramírez

Territoire mapuche, Chili. Le mouvement mapuche autonome lutte pour la reconstruction d’un peuple indigène historiquement spolié, pillé et détruit. Aujourd’hui, les mapuche ne luttent pas seulement pour récupérer
leur terre usurpée par le gouvernement chilien et les transnationales, ils revendiquent aussi les meilleurs éléments d’une culture qui va en disparaissant en même temps qu’ils perdent leur territoire : la langue, les valeurs, l’organisation ancestrale, les traditions, les relations humaines, bref le "ser mapuche" (littéralement, l’"être mapuche").

La reconstruction du peuple-nation mapuche est une lutte anticapitaliste
qui essaye de construire un futur différent de celui que projette le
gouvernement chilien pour les peuples indigènes. C’est une lutte
historique qui, expliquent les prisonniers politiques mapuche de la prison
d’Angol, "est pour notre droit à exister dans la dignité, à récupérer
notre terre, à défendre et protéger nos ressources naturelles. C’est aussi
une lutte pour l’autonomie, la libre détermination du peuple mapuche et la
récupération de notre tissu politique, économique et culturel".

Ce mouvement est complexe. Il n’a pas qu’une seule composante et ne peut
pas être vu comme homogène. Durant la dernière décennie, sont apparues des
organisations mapuche présentant différents modes de pensées et diverses
revendications. Certaines sont liées au gouvernement chilien, aux partis
politiques de gauche, et d’autres se définissent comme autonomes et
indépendantes et subissent actuellement la répression du gouvernement sous
toutes ses formes : emprisonnement, torture, disparitions. Malgré cela,
les Mapuche se sont depuis dix ans renforcés, ont appris et situent leur
lutte sur la carte mondiale de la résistance indigène.

Le mouvement autonome ne dispose pas à proprement parlé de structures
solides, il est expression et mouvement. Il y a ceux qui transcendent
l’expérience de leur lutte en communauté, de récupération de la terre et
commencent à s’organiser de manière plus complexe, mais pas nécessairement
dans des structures ou sous des sigles définis. Il y a une pensée qui
exprime bien leur identité mapuche : la résistance et la reconstruction
pour une nature autonome.

Le mouvement autonome est composé aussi de différentes expressions, mais
elles partagent toutes l’idée d’une autonomie et d’une reconstruction de
la nation mapuche, indépendante de l’Etat chilien.

Un peu d’histoire

Pour comprendre la lutte actuelle du peuple mapuche, il est nécessaire de
rappeler des éléments importants de leur histoire. Les spécialistes
s’accordent sur le fait qu’avant l’arrivée des premiers conquistadores
espagnols au XVIe siècle, les Mapuche occupaient un vaste territoire,
s’étendant de la vallée de l’Aconcagua au Reloncavi, comprenant même la
grande île de Chiloé.

Les Espagnols, raconte José Bengoa, auteur de "L’Histoire des anciens
Mapuche du Sud" ("Historia de los antiguos mapuches del sur"), firent
violemment irruption dans ce territoire, avec des conséquences
désastreuses, massacrant les Mapuche qui se trouvaient entre Santiago et
le fleuve Bio Bio, et provoquant de grandes migrations de populations vers
le sud.

Cependant entre le XVIe et le XVIIIe siècle, ils développèrent une
résistance héroïque contre l’avancée de l’envahisseur, arrivant à
repousser les conquistadores jusqu’au nord du fleuve Bio Bio, établissant
ainsi une frontière séparant le territoire de la couronne espagnole de
celui des Mapuche.

La résistance indigène ne permit pas la conquête que se projetaient les
Espagnols. Jamais les Mapuche ne se rendirent et ne laissèrent passer les
usurpateurs au-delà du fleuve Bio Bio. Ils obtinrent même de la Couronne
espagnole un accord de respect mutuel sur les relations frontalières, qui
reconnaissait ainsi la présence de la nation mapuche.

Ce que ne réussirent pas les Espagnols, c’est finalement le gouvernement
du Chili indépendant qui le réalisa. En 1860, les incursions des
militaires chiliens et les migrations de colons vers le territoire mapuche
commencèrent. Le puissant pouvoir militaire de l’Etat réussit à vaincre
alors les Mapuche et leurs armes rudimentaires. En 1883, après 23 ans de
batailles, l’armée chilienne finit par occuper les territoires mapuche du
sud du fleuve Bio Bio.

Le système économique mapuche fut détruit. Il y eut des dizaines de
milliers de morts, et les rares survivants du massacre furent confinés
dans des réserves, représentant approximativement 5% de leur ancien
territoire.

Enrique Antileo, de l’organisation mapuche Meli Wixan Mapu, relate le
processus migratoire consécutif au manque de terres dans les réserves où
ils furent confinés. Entre 1930 et 1940, d’importants flux migratoires se
dirigèrent vers les villes à la recherche de meilleures conditions de vie,
même s’ils ne firent finalement que nourrir la croissance des ceinturons
de misère des périphéries des grandes villes.

La réforme agraire de 1960 favorisa les paysans minifundistes [1] mapuche,
et, à l’époque, avec le soutien du gouvernement de Salvador Allende
(1970-1973), ils purent récupérer certaines des terres usurpées. Ce
processus fut interrompu par l’arrivée de la dictature de Pinochet en
1973. A partir de ce moment, la situation pour les Mapuche n’a fait
qu’empirer.

Les terres récupérées durant la réforme agraire furent rendues à leurs
"propriétaires" ou cédées à d’autres entrepreneurs, durant une période où
moururent des dizaines de dirigeants mapuche, persécutés par la dictature.

Comme dans la majorité des pays ayant des populations indigènes, les
recensements officiels ont tendance à diminuer le nombre des habitants
originaires. Le recensement de 1992 fit apparaître le chiffre d’un million
de Mapuche âgés de plus de 14 ans. Pourtant, pour des raisons
inexplicables, celui de 2002 fit état quant à lui de seulement 650.000
Mapuche, ce qui veut dire que 350.000 d’entre eux ont officiellement
disparu.

Les chiffres des organisations mapuche signalent pour leur part qu’ils
sont approximativement un million et demi, dont plus de la moitié se
trouvent en zone urbaine (500.000 dans la seule ville de Santiago). Les
Mapuche habitant dans les villes créent des espaces de résistance urbaine,
et, de cette manière, se lient avec la lutte menée dans leurs territoires.

Multinationales forestières

La lutte du peuple mapuche pour la récupération de ses terres a pris un
nouveau tournant, avec un décret qui complique encore un peu plus la
situation déjà grave. Il s’agit d’un décret concernant les entreprises
forestières, dans lequel l’Etat chilien s’engage auprès des consortiums
forestiers ayant acheté ou, tout simplement, usurpé de vastes terres
agricoles, jusqu’alors propriétés de petits paysans mapuche.

Dans les années 90, l’avancée de l’industrie forestière semblait
impossible à arrêter. Les petites et moyennes communautés mapuches furent
enfermées dans une espèce de prison à l’air libre, les plantations de pins
et d’eucalyptus asséchant les sources d’eau, contaminant et épuisant les
sols, causant préjudice au droit à la vie de tout un peuple, expulsé pour
laisser la place aux plantations.

Le problème des entreprises forestières, ajouté à l’exploitation du
territoire par des transnationales de toutes sortes, et au mépris absolu
de la culture indigène, a revitalisé les organisations mapuche déjà
existantes et a provoqué la naissance de nouvelles qui ont lancé à partir
de 1995 une série de mobilisations tendant à réclamer leurs droits
historiques sur leur territoire, dénonçant les consortiums nationaux et
transnationaux qui l’occupent et l’exploitent.

Simultanément à la revendication de ses terres, le mouvement mapuche
commença à exiger des droits politiques, principalement le droit à
l’autonomie et à l’autodétermination de son peuple.

Le plus significatif, relate un groupe d’habitants de la région de
l’Arauco, est le processus de reconstruction et de résistance. "La
résistance, c’est faire face aux investissements capitalistes dans les
communautés indigènes, à ceux du gouvernement comme à ceux d’entreprises
forestières, touristiques, hydroélectriques, de constructeurs de ports de
commerce, etc. La reconstruction, d’un autre côté, c’est nous sauver en
tant que peuple et empêcher que notre culture se perde."

La lutte directe pour la récupération des terres fut menée à partir de
1997 contre les principales entreprises forestières ; Mininco s.a.,
propriété de la famille Mate Larrain, la Forestal Bosques Arauco, du
groupe Angelini, et les entreprises Volterra, Cautin et Millalemu. Les
deux premières entreprises détiennent à elles seules 1,2 million
d’hectares sous leur contrôle, dans lesquelles elles sèment du pin et de
l’eucalyptus destinés à l’exportation. Au total, ce sont approximativement
2 millions d’hectares occupés à ces fins.

Par rapport à elles, le peuple mapuche, lui, dispose de moins de 700.000
hectares pour son travail agricole.

Le mouvement mapuche de la région de l’Arauco a récupéré grâce à la
mobilisation directe environ 20.000 hectares ces dernières années, dans
les zones de Tirua sur, Traiguen, Lleu Lleu, Ercilla, Collipuyi et Chol
Chol, zones qui étaient auparavant aux mains des grandes entreprises
forestières. Sur ces 20.000 hectares récupérés, 5.000 ont été régularisés
grâce à la pression des communautés, mais pour le reste, la menace
d’expulsions violentes plane encore. Dans les zones récupérées,
régularisées ou non, sont semés principalement la pomme de terre et le
blé.

C’est dans la zone de Traiguen que fut organisée une des premières
récupérations. Il y eut une lutte contre l’entreprise forestière Mininco,
qui avait sous son contrôle 1 200 hectares que les Mapuche décidèrent de
récupérer. Trois communautés du secteur se sont unies, chacune d’entre
elles ayant des droits historiques sur ces terres. La première chose
qu’ils firent fut d’occuper la propriété. La police arriva et les délogea.
Ils recommencèrent et furent à nouveau expulsés, et ainsi de suite.
L’entreprise plantait des pins, que les mapuche arrachaient, jusqu’à ce
qu’elle abandonne finalement les lieux. Aujourd’hui, les indigènes y
travaillent la terre, sèment et élèvent du bétail.

La récupération de ces terres a eu pour conséquence une forte répression
de la part du gouvernement chilien. Il y a actuellement neuf prisonniers
mapuche dans les prisons du sud, et environ 15 fugitifs accusés
d’association illicite et de terrorisme.

La situation des prisonniers viole toute les garanties légales et les
droits de l’homme : ils sont accusés d’association illicite et de
terrorisme sans qu’il y ait pour preuve aucune arme, aucun mort, aucun
blessé, ni même aucun témoin. Les témoins qui se présentent sont payés et
anonymes.

La réponse du gouvernement a consisté aussi à perquisitionner et harceler
directement les communautés, dans l’idée de semer la peur, d’intimider les
gens et de mettre fin à l’organisation.

Les entreprises touristiques

Les grands et magnifiques lacs situés en territoire mapuche attirent la
convoitise de dizaines de chefs d’entreprises touristiques, qui se sont
installés sur les rivages de Villarrica, Likanriay, Pucon et Valdivia, en
construisant des hôtels cinq étoiles, des centres de remise en forme et de
sport d’aventure pour un tourisme d’élite, avec tout ce que cela
représente de négatif pour la préservation de l’environnement et de la
culture mapuche. Bien que la situation semble décourageante, la résistance
mapuche ne cesse pas et la mobilisation a réussi à arrêter certains
projets et à expulser certains chefs d’entreprise. Près du lac Lleu Lleu,
par exemple, dans la région 8 [2] de la province de l’Arauco, la
résistance aux projets touristiques a pris une importance considérable.
Quelque 14 communautés mapuche y habitent.

Ce territoire comporte environ 15 hectares de rives du lac, et c’est
précisément là que prétend s’installer un projet touristique mené par
l’entrepreneur Osvaldo Carvajal, qui consiste à construire des hôtels de
luxe, des terrains de golf, des pistes d’atterrissage, etc.

Les propriétaires "authentiques" de ces terres, les Mapuche, seraient
"utilisés" pour les services et le folklore.

Les indigènes ont protesté, se sont mobilisés et ont récupéré leurs
terres. Actuellement, ils les occupent et les utilisent pour
l’agriculture. La résistance n’est pas facile, car les menaces d’expulsion
continuent, "mais les gens ont bien en tête que ces terres sont à eux. Ils
ne sont pas disposés à les perdre", affirment les habitants.

L’entrepreneur Osvaldo Carvajal, accusent-ils, est un élément clé de la
persécution des Mapuche. Il a créé ses propres services de renseignement
et soutient le commando Hernan Trizano, un groupe paramilitaire organisé
par des chefs d’entreprise en collusion avec la police.

Résistance aux travaux de voiries

Actuellement est en construction la route de la côte, qui est prévue pour
traverser tout le Chili, de Tirua à Puerto Mont, en passant par trois
régions du territoire mapuche. Les indigènes s’opposent à ce projet et,
jusqu’à présent, ont su empêché le passage de la route dans certaines
communautés. Celle-ci aurait du être terminée il y a cinq ans, mais les
conflits dans la région l’ont empêché.

L’objectif principal de cette route n’est évidemment pas le progrès, mais
l’exploitation du bois, le développement du tourisme et le pillage des
ressources naturelles, cette zone ayant pour activité l’élevage de perles.

La construction de cette route, commentent les habitants de la région,
modifie des cours d’eau, détruit des montagnes et rase des communautés
entières. En résumé, elle est faite pour détruire et piller.

Centrales hydroélectriques

En amont du fleuve Bio Bio [3], zone mapuche, existe un mégaprojet
hydroélectrique prévoyant la construction de sept barrages dont deux pour
le moment sont terminés : le barrage de Pangue et celui de La Ralco. Ce
dernier est le plus grand, et a inondé 3.500 hectares de terres mapuche,
rasant deux communautés entières.

La construction des cinq autres centrales hydroélectriques affectera
autant d’autres communautés mapuche, puisque les ressources hydriques se
trouvent à l’intérieur de leur territoire.

Il existe un autre projet prévoyant la construction de six ports en
territoire mapuche, plus particulièrement sur la côte des régions 8 et 9.
Il s’agit, comme pour les routes, d’installer l’infrastructure nécessaire
au pillage du bois, de la pêche et d’autres ressources naturelles.

Les entreprises forestières, de leur côté, projettent de construire leurs
propres bases de commercialisation à l’intérieur du territoire, pour,
depuis la côte, en faire sortir le bois d’exportation.

"Contre l’invasion, l’exploitation et le pillage que tout cela implique,
nous, les Mapuche, résistons, car si tous ces projets se concrétisent, les
communautés indigènes vont tout simplement disparaître. Nous ne nous
laisserons pas faire, bien que le prix de la résistance soit élevé",
affirment-ils lors d’une réunion organisée dans une petite communauté de
l’Arauco.

Notes

[1] Propriétaires de petites exploitations (ndlr).

[2] La dictature a réorganisé le Chili en "12 + 1 regiónes", des
sous-divisions administratives. Santiago, la capitale, est une région à
part entière : la "región metropolitana" (ndlr).

[3] Dans la Cordillère et la précordillère des Andes. Au Chili, tous les
fleuves vont de la Cordillère à la mer (ndlr).

Source : "La Jornada" www.jornada.unam.mx supplément "Ojarasca" 100,
août 2005.

Traduction : Julien Pelloux, pour RISAL www.risal.collectifs.net

http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1455