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Chittagong, Bangladesh : 65 femmes au bûcher

Publie le lundi 27 février 2006 par Open-Publishing

de MARIUCCIA CIOTTA traduit de l’italien par karl&rosa

On n’a pas trouvé la clé tout de suite. Le patron de la Kts Textile Mills de Chittagong, Bangladesh, l’avait mise en lieu sûr, contrairement aux 500 ouvriers de l’équipe de nuit qui n’y étaient pas du tout, dans un lieu sûr. Les fenêtres aussi étaient fermées, pour empêcher que quelqu’un quitte le travail. Ainsi, hier 65 personnes sont mortes (le bilan est provisoire, il y a des centaines de blessés), des femmes pour la plupart, mais l’odeur de chair brûlée est arrivée jusqu’à nous, tellement forte que les journaux télévisés ont ignoré la nouvelle dans leurs titres. L’usine est lointaine, où est-ce déjà, Chittagong, sur la carte ?

Si lointaine aussi à cause des conditions inhumaines, dignes du XIX siècle, antisyndicales, où vivent les salariés qui ont vu les rouleaux d’étoffe éparpillés ici et là s’enflammer à cause de l’éclatement d’un radiateur électrique et provoquer un bûcher soudain, sans aucun moyen d’y échapper. Il était 5h30 du matin et les flammes se sont propagées dans tout le bâtiment tellement vite, que les sapeurs-pompiers parlaient après 12 heures de nombre de corps à récupérer sous les décombres. Nombre d’ouvriers sont restés bloqués par des vagues de feu et de fumée, certains ont défoncé les fenêtres et se sont jetés du troisième étage.

L’image du désastre ramène en arrière, jusqu’en 1908, quand 129 ouvrières textiles - en grève pour obtenir des horaires et des conditions décentes de travail - brûlèrent dans l’usine de la Cotton de New York, fermées à clé par la propriété. Et on pense que l’épisode, qui eut lieu le 8 mars, est à l’origine de la Fête de la femme. Une tragédie perdue dans l’imaginaire qui donne encore plus une aura de "légende" à celle qui a eu lieu hier. Et pourtant nous avons leurs vêtements dans nos armoires.

Six milliards de dollars par an, en effet, sont le revenu de l’exportation des produits textiles du Bangladesh, où les femmes sont les plus utilisées et ont des salaires plus bas que les hommes pour des services massacrants, souvent de nuit, sécurité zéro.

En avril 2005, plus de 70 personnes ont été écrasées par l’effondrement d’une usine textile illégale, construire abusivement sur un terrain marécageux à Palash Bari, à quelques kilomètres de Dacca. En 2000, 48 ouvriers sont morts dans un autre incendie toujours près de la capitale, la sortie de secours était fermée. Et le décompte arrive à 350 morts et 2500 blessés durant les dernières années dans ces baraques qu’on appelle "usines délocalisées", lointaines. Tout proches. La Kts Textile Mills, avec ses griffes occidentales trônant dans nos vitrines et ne voulant rien savoir des usines en franchising où les portes sont fermées, sont tout près. Il n’y a pas de temps ni de distance qui nous séparent de Chittagong et des ouvrières prisonnières - des fantômes brûlant derrière des fenêtres barrées - dont nous ne connaîtrons jamais les noms. Cette clé qu’on ne trouve pas, beaucoup ici en ont une copie en poche.

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