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Cœur à gauche, portefeuille à droite ?

Publie le samedi 7 mai 2011 par Open-Publishing
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Il n’y a pas que l’éthique qui est concernée par cette évolution. Elle exerce aussi une influence sur les idées et l’idéologie.

"Toute la social-démocratie européenne a évolué de la sorte depuis les années 70 : de plus en plus de dignitaires de gauche ont un mode de vie incompatible avec les valeurs qu’ils défendent."

Raoul HEDEBOUW Porte-parole du Parti du Travail de Belgique (PTB)

Le mode de vie de Dominique Strauss-Kahn suscite la polémique. Mais où en est la “gauche caviar” en Belgique ?

Dominique Strauss-Kahn à la tête du FMI, c’est l’un des symboles forts de ce phénomène : c’est un socialiste qui dirige l’institution la plus antisociale au monde ! Mais on retrouve ces travers chez nous aussi. Michel Daerden s’affiche depuis longtemps déjà comme un adepte du "socialisme à la Porsche". Toute la social-démocratie européenne a évolué de la sorte depuis les années 70 : de plus en plus de dignitaires de gauche ont un mode de vie incompatible avec les valeurs qu’ils défendent par ailleurs. Que Didier Reynders fréquente la jet-set ou qu’il roule même en Rolls, passe encore Mais quand Elio Di Rupo siège chez Dexia, qu’on ne fasse pas croire qu’il va vraiment défendre l’intérêt des communes !

Le PS est-il plus touché que les autres partis qui se classent à gauche ?

Du côté du PS, on voit notamment l’arrivée du socialisme bling-bling. En Belgique, c’est le cas avec le nouveau bourgmestre d’Ans, Stéphane Moreau, qui est en même temps patron de Tecteo. On est en plein dans le socialisme libéral ou le libéralisme social. On s’y perd... Et, en Flandre, on est encore une étape plus loin ! La gauche caviar, c’est une évolution actuelle à la tête des partis, mais je fais la distinction avec les militants. Quant à Ecolo, on connaît la réalité sociologique des gens qui composent ce parti. Mais avec un Javaux qui participe aux goûters du Cercle de Wallonie, la direction d’Ecolo devient elle aussi de plus en plus bling-bling. Heureusement, il y a une réaction face à tout cela. Réapparaît depuis quelque temps une gauche décomplexée. Je pense par exemple au parcours d’Olivier Besancenot en France.

Mais pourquoi les politiciens de gauche ne pourraient-ils pas vivre sur un grand pied ?

Il n’y a pas que l’éthique qui est concernée par cette évolution. Elle exerce aussi une influence sur les idées et l’idéologie. Je prends l’exemple de Paul Magnette, qui est allé dans le Luberon avec Jean-Pierre Hansen, l’ex-numéro 1 d’Electrabel. Comme par hasard, dans les débats qui ont entouré la question de la rente nucléaire, le gouvernement s’est mis à plat ventre devant Electrabel Il y a donc un flou qui s’installe entre vie privée et vie publique. Si les responsables politiques ont un mode de vie semblable aux grands patrons, inéluctablement, des intérêts convergents s’établissent. Par ailleurs, il est difficile de comprendre les difficultés qu’ont les gens à payer leurs factures énergétiques quand on est ainsi déconnecté de la vie réelle. Cela explique le manque de volonté du gouvernement de régler ces questions.

Que propose le PTB face à ce constat ?

Limiter la rémunération des mandataires politiques serait une bonne chose. Au PTB, la règle interne pour les élus, c’est de vivre en se contentant du salaire ouvrier moyen. Pourquoi un responsable politique doit-il gagner 7 000 ou 8 000 euros par mois ? Avec cette évolution de la social-démocratie, un système de castes s’installe avec un véritable cloisonnement affiché entre le mode de vie des politiciens et le mode de vie du commun des citoyens. Pourtant, il y a moyen de vivre avec 1 700 ou 1 800 euros nets par mois !

Laurent JOFFRINPrésident du directoire et directeur de la rédaction du Nouvel Observateur

"Il faut remettre les choses en perspective. Symboliquement, c’est gênant que Dominique Strauss-Kahn a commis cette erreur d’emprunter la Porsche d’un ami. En même temps, c’est un vieux militant entré au parti il y a 30 ans."

Depuis qu’il roule en Porsche, Dominique Strauss Khan est-il devenu le parangon de la gauche caviar ?

Ce n’est pas sa voiture, c’est celle de son ami Ramzy Khiroun, me semble-t-il. Ça fait une différence. Symboliquement, c’est gênant, c’est une erreur de communication assez grande. Pourtant, il est entouré des meilleurs communicants, paraît-il. Il faut faire une enquête complète pour voir si c’est une simple erreur ou une manière de voir les choses. Je ne suis pas dans sa tête pour le savoir. L’opinion peut devenir soupçonneuse, c’est naturel. Il vit confortablement, c’est vrai. Mais, en même temps, c’est un vieux militant entré au parti socialiste il y a 30 ans. Il a passé des milliers d’heures dans des réunions enfumées à discuter des réformes sociales. Il a fait “les emplois jeunes”. Il a été ministre de l’Economie quand les 35 heures ont été mises en place. Il a appartenu à un des gouvernements les plus à gauches en Europe, celui de Jospin. Il faut remettre les choses en perspective.

“La gauche caviar n’avait jamais vécu avec le peuple mais elle le servait, quoi qu’on dise. Elle l’a abandonné. Elle s’est mise à penser sans lui et même contre lui”, écriviez-vous en 2006 dans votre “Histoire de la gauche caviar”.

Les leaders progressistes, souvent, viennent d’une classe sociale supérieure pour défendre des réformes qui vont dans le sens de l’intérêt des plus modestes. Pour exemple, Blum vivait très confortablement dans un très grand appartement à Montparnasse. C’était un homme cultivé, fin, servi par un valet de chambre. Dans les années 90, on assiste à une dérive d’une partie de la gauche française et européenne qui s’est trop adaptée aux valeurs nouvelles de la mondialisation. Le critère, c’est la politique qu’on défend, c’est ce qui compte. La politique menée par Sarkozy, comme le bouclier fiscal et la réforme des retraites, est favorable aux possédants.En France, pour vivre heureux en politique, vivons avec nos biens cachés.Il faut savoir être de bon goût, pas tape-à-l’œil. Il y a plusieurs manières d’afficher son mode de vie. C’est une forme de respect et de correction de ne pas se mettre en avant. Le 10 mai 1981, on a proposé une voiture très confortable à Mitterrand (NdlR, le jour de son élection à la présidence de la République). Il a refusé et a préféré sa vieille guimbarde. La voiture assez coûteuse ne correspondait pas à son personnage, à son image.

Pourquoi reprocher à Nicolas Sarkozy son côté bling-bling quand il ne possède aucune fortune personnelle et que Fabius et Strauss-Kahn sont nantis ?

C’est une affaire de style et de symbole. Le second septennat de Mitterrand a été désastreux avec Tapie comme symbole et la politique de libéralisme financier menée. Tapie, milliardaire un peu cynique et pas net sur le plan des lois, Mitterrand l’a promu. Là, le symbole et la réalité se rejoignent. Ça dépend donc des moments et de la politique conduite. Fabius, alors ministre de l’Industrie, a lancé le plus grand programme de nationalisation de l’histoire de France. En politique, il n’y a pas de lien direct entre ce que l’on gagne, ce que l’on possède et ce que l’on fait.

http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/659256/cur-a-gauche-portefeuille-a-droite.html

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