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Comment les subventions des exportations des USA et de l’Europe ont mis à genoux les producteurs...

Publie le samedi 1er mai 2004 par Open-Publishing
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De : Sabina Morandi

Comment les subventions des exportations des USA et de l’Europe ont mis à genoux les producteurs africains

La guerre du coton

Monsieur Ahmed est un petit producteur d’un village du Mali : il tire de ses deux hectares de coton plus ou moins 400 dollars par an, assez pour survivre mais certainement pas pour envoyer ses enfants à l’école. Monsieur Smith, propriétaire d’une ferme de quelques milliers d’hectares, reçoit 500 dollars de subvention tous les deux hectares de terre. En 2002, Smith a vu augmenter le soutien du gouvernement fédéral tandis qu’Ahmed a vu s’effondrer les tarifs du coton sur le marché mondial. Aujourd’hui Ahmed gagne moins mais dépense plus : le coût des semences a augmenté de 4,2%, celui des pesticides de 21%. Voila pourquoi, comme beaucoup d’autres petits producteurs africains, il a été entraîné dans la spirale de l’endettement.

Tous contre l’Afrique. C’est la monoculture, mes jolis. Au nom de ce que les économistes libéraux appellent "avantage comparé" - c’est-à-dire "à chacun son produit" - les pays d’Afrique centrale et occidentale ont lié le destin de leurs citoyens au coton. Des 200 mille tonnes par an du début des années 80, on est passé aujourd’hui, grâce aux pressions de la Banque mondiale et du Fonds monétaire, à un million de tonnes. Pour obtenir ce résultat, les terres que les familles cultivaient pour se nourrir ont été destinées au coton et c’est pourquoi la révolution verte n’est pas arrivée à vaincre la faim, bien au contraire. Le Mali, le Burkina Faso, le Tchad et le Bénin sont désormais liés par une corde double aux fluctuations du marché du coton, dont il tirent les revenus d’à peu près la moitié de leurs exportations (on va du 34% du Mali au 65% du Bénin).

A l’instabilité des prix agricoles, s’ajoute la distorsion créée par les lourdes subventions octroyées dans les pays du Nord du monde, tandis qu’au Sud il était imposé de les couper. Le champion du système des subventions est sans doute Washington qui, par le récent Farm Bill, a augmenté de 70% le soutien public, en portant le total à 180 milliards de dollars. Les subventions au coton, dont les Etats-Unis sont le deuxième producteur mondial, ont suivi le même trend et ont la même finalité : soutenir l’exportation des produits agricoles états-uniens. L’Union Européenne, avec à peine 2,5% du coton mondial, soutient la production grecque, espagnole et portugaise - presque toutes des entreprises de petites dimensions - par des aides demeurant de façon stable au dessus de 800 millions d’euros. De ce côté de l’océan la finalité est politique plutôt qu’économique. En fait, l’Ue est le principal sponsor de l’OMC, dont les accords ont échoué en septembre dernier à Cancun justement à cause de la question agricole. En approuvant, la semaine passée, une prudente réforme des subventions agricoles, Bruxelles a essayé de calmer les Africains en échange de quelques sous.

Pollution et enfants

Un autre problème est représenté par le fait qu’il s’agit d’une des cultures les plus polluantes qui existent. Sur les terres destinées au coton, environ 5% de la surface agricole planétaire, se répand 25% de la production mondiale de pesticides. Et il ne s’agit pas seulement d’un problème environnemental puisque, selon l’Organisation mondiale de la santé, il y a dans le monde au moins 3 millions de cas d’empoisonnements par des pesticides, qui causent 20 mille morts par an. D’ailleurs, dans les pays pauvres les paysans utilisent des substances hautement toxiques sans aucune protection, comme le démontre le cas dénoncé par la BBC en 2002, quand en un seul été moururent en Inde 500 personnes à cause de l’exposition aux pesticides.

En outre, dans les monocultures on emploie largement le travail des mineurs. Rien qu’en Inde environ 450 mille enfants travaillent à la productions de graines de coton. Selon une recherche de l’Indian Committee of the Nederlands, il s’agit d’enfants âgés de 6 à 14 ans, salariés indirectement par les multinationales européennes et américaines ou tenus en esclavage par l’employeur pour rembourser les dettes des familles. Ils peuvent travailler même 12-13 heures par jour pour 40 centimes d’euro et il sont régulièrement exposés aux substances chimiques les plus toxiques sur le marché. Voila les noms : l’états-unienne Monsanto et sa subsidiaire indienne Mahyco emploient à elles seules environ 17 mille mineurs, tandis que la ProAgro Ltd, filiale de la multinationale allemande Bayer, en emploie encore deux mille, en majorité des fillettes.

Toujours selon la recherche hollandaise, à utiliser le travail des enfants il y a aussi la suisse Syngenta, l’anglo-hollandaise Advanta et l’états-unienne Unilever, chez lesquelles sont employés environ onze mille enfants. Les compagnies n’emploient pas les mineurs directement, mais à travers les fermes qui produisent pour elles en sous-traitance. Et elles s’opposent tout naturellement à cette coutume barbare, sauf qu’ils fixent le prix de la production à un niveau tellement bas qu’ils rendent pratiquement impossible l’embauche d’adultes. En fait, un enfant gagne 30% de moins et une femme 55% de moins qu’un homme.

Un autre coton est possible. Dans le monde, au moins 200 millions de personnes sont engagées directement dans la culture du coton et plus de 90 millions travaillent dans la transformation de la fibre en filés, tissus et produits dérivés. Mais, comme nous l’avons vu, il s’agit d’un produit où le taux d’exploitation est très haut. C’est pourquoi Tradewatch (http://tradewatch.splinder.it), l’observatoire sur le commerce international né après Cancun grâce à l’initiative de Rete Lilliput, Roba dell’Altro Mondo, Mani Tese et de la Campagna per la Riforma della Banca Mondiale, a lancé une campagne internationale à laquelle ont adhéré aussi Botteghe del Mondo, Altreconomia, Beati i Costruttori di Pace e Crocevia.

Il s’agit aussi de faire connaître le revers de la médaille pour faciliter la création de parcours "vertueux" qui puissent multiplier les expériences de production et de commerce de coton équitables, solidaires et soutenables d’un point de vue environnemental, ce que l’on peut obtenir seulement en déplaçant le soutien public de l’agriculture intensive à la tutelle des saveurs agricoles traditionnelles, au Nord comme au Sud du monde, et vers le soutien des cultures organiques et biologiques. Parce que commerce équitable ne veut pas dire utiliser la crise des producteurs africains pour couper les subventions aux producteurs européens, comme le suggère Bruxelles, mais utiliser l’aide publique pour soutenir l’agriculture familiale, biologique et de qualité. Au contraire, ce qui doit être éliminé ce sont les subventions aux exportations, qui cassent les prix agricoles en dessous des frais de production et étranglent les petits producteurs. Le défi est celui de construire une alliance entre les producteurs du Nord et du Sud du monde pour bâtir des réseaux commerciaux qui valorisent les filières transparentes et les consommateurs responsables. Ce n’est qu’ainsi que les familles et les petites communautés, en Afrique comme en Europe, pourront cultiver et travailler du coton "propre", le vendre à un juste prix et reconvertir en partie les terres pour leur propre subsistance.

Traduit de l’italien pour Bellaciao par Karl et Rosa

01.05.2004
Collectif Bellaciao

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