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Comment réussir une réquisition annoncée en préfecture
Publie le vendredi 13 juin 2008 par Open-Publishing– [http://www.desobeir.net]
L’Actualité des luttes désobéissantes

Vous connaissiez les réquisitions pépères, version je me planque avec mes potes discrétos pendant deux semaines dans un immeuble abandonné et je prie pour éviter l’expulsion. Efficace mais un peu trop facile.
Or, à Jeudi Noir, on aime relever les défis.
Jeudi à 16 heures en face de l’église Saint Eustache à Paris, pour le 1er mai, nous avions donc invité publiquement tout notre petit monde à une action réquisition, dûment annoncée en préfecture. Un peu comme les bandits en prison qui annoncent à l’avance le jour et l’heure où ils ont prévu de s’évader. Le but : lancer en fanfare notre plate-forme de revendications pour le logement signée par la plupart des organisations de jeunesse. Le moyen : organiser une vraie-fausse manifestation pour occuper les policiers et envoyer les manifestants en fin de cortège vers la vraie cible. Exciting, isn’t it ?
Une manif de diversion...
Et le fait est que le succès du rassemblement initial a failli nous désorganiser. Pas facile en effet de faire passer des mots d’ordre discrets et de lancer les RG et les compagnies de CRS qui nous entouraient vers des fausses pistes quand on est plus de 300 manifestants, dont pas mal de nouveaux.
Regardez ici. Tout s’est donc joué à la fin officielle du cortège, au Pont Neuf, en face de la Samaritaine, énorme immeuble vide entouré de policiers se croyant malins en cernant la réquisition-leurre. Sauf qu’ils se sont retrouvés frustrés de matraquage en nous voyant rejoindre gentiment le métro petit groupe par petit groupe.
Un RG flairant le mauvais coup a plongé dans la rame avec une partie d’entre nous et textote furieusement son état-major à mesure que s’égrènent les stations. Arrivés à Le Peltier, dans le IXe arrondissement, notre groupe se met à courir pour converger au 16 boulevard Montmartre, où nous sommes bloqués par une escouade de gendarmes. Mais les pandores n’ont pas réussi à intercepter l’équipe précédente qui a eu le temps de se poster aux balcons et de déployer drapeaux et banderoles : « Boutin baratin », « Permis de réquisitionner », « L’imagination au balcon », « 136 000 logements vides à Paris : 50 de moins »… 100 personnes dans l’immeuble, 150 en bas, des tas de médias et les CRS autour : le bras de fer a duré quatre heures, dans l’attente que le propriétaire du bâtiment donne son feu vert à l’expulsion.
La vraie cible idéale : Gecina
Ce bâtiment immense de 3 800 m2, classé monument historique, est vacant depuis près de trois ans (petite visite ici). C’est son propriétaire, l’ogre de l’immobilier Gecina (modeste société foncière à l’origine de tant de ventes à la découpe, dont le patrimoine immobilier représente la bagatelle de 13 milliards d’euros…), qui l’a vidé de ses habitants, coupables de payer des loyers trop peu élevés, hérités de la loi de 1948. Gecina prévoit un mixte de bureaux et de logements de haut standing, dans le genre duplex F4 hors de prix, participant à l’éviction des couches populaires de la capitale. Bref, la cible idéale pour nous.
A tel point que le maire du IXe arrondissement, Jacques Bravo, interrompt son footing pour venir apporter son soutien. Il n’empêche pas l’expulsion par les CRS, mais nous ouvre ses portes le lendemain. Au menu : comment inciter Gecina à assumer son rôle de bailleur (un tant soit peu) social ? L’arme juridique du Plan local d’urbanisme n’est peut-être pas assez contraignante, mais le rapport de force politique et symbolique à l’échelle parisienne pourrait faire plier la sympathique PME (ou plutôt le « véhicule boursier fiscalement optimisé et à fort rendement » comme la présente son site), dont le siège social se situe au 16 rue des Capucines à Paris…
Christine Boutin : premier avertissement !
Gecina, c’est bien gentil, mais le gouvernement dans tout ça ? C’est lui qui détient le pouvoir de réquisition ! La ministre du Logement avait certes promis avant l’été qu’elle procèderait à des réquisitions « si nécessaire ». Soit elle a estimé que l’hiver n’avait pas été si rude que ça, soit elle s’est moquée du monde. Alors nous réquisitionnons à sa place. Et, par la même occasion, la plate-forme des jeunes pour le logement vient de faire la preuve de sa force de frappe médiatique (France 2, France 3, I-télé, BFM, LCI, AFP, Le Parisien, France Inter…) et de son unité. Christine Boutin, dont le projet de loi imminent pourrait faciliter les expulsions locatives, est prévenue…
Manuel Domergue (Jeudi Noir) - 3 Mai 2008
http://ecrandarret.org/spip.php?article69