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DANGER : Ne laissons pas passer le projet de loi "prévention de la délinquance" !

Publie le mercredi 22 novembre 2006 par Open-Publishing
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Pourquoi nous opposons-nous au projet de Loi Sarkozy de prévention de la délinquance ? Parce que ce pojet de loi, j’en ai parlé brièvement avant-hier, est extraordinairement dangereux, contrairement à ce que dit Julien Dray, dont le poignet ne pourrait supporter de menottes, lui aui préfère les mointres de la place Vendôme. Mais pour nous, vrais socialistes (et communistes aussi, bien entendu), rénovateurs et anti-libéraux.

Plutôt que la prévention, ce projet de loi concerne la répression. Il modifie quatorze codes, deux ordonnances et six lois. Il se fonde sur une prétendue augmentation de la délinquance des mineurs ; les statistiques, pourtant, montrent que ceux-ci ne constituent qu’une part minoritaire de la délinquance globale et que leur taux de récidive est faible. Les chiffres souvent cités à l’appui de discours alarmistes en la matière sont si peu fiables qu’ils ont poussé 115 experts à demander la création d’un observatoire indépendant !

Ce projet repose sur quatre orientations sécuritaires. Tout d’abord, il remet en cause le socle fondateur de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ».

D’autre part, il instaure une politique d’exclusion des jeunes en difficulté scolaire ou sociale et de ceux qui souffrent de troubles psychiatriques.

Ensuite, seule la répression est envisagée pour lutter contre l’insécurité, et les catégories les plus visées sont les migrants, les chômeurs et les habitants des quartiers populaires. Enfin, les professionnels de la justice, de l’action sociale et de la protection judiciaire de la jeunesse sont déqualifiés et détournés de leur mission première – la prévention.

Avec la création de fichiers, la projet remet en cause l’essence même du travail social : les professionnels devront se transformer en délateurs, et toute relation de confiance, pourtant indispensable à l’accompagnement thérapeutique, sera mise à mal par l’obligation de participer à un fichage. L’action sociale et éducative est touchée, ainsi que la psychiatrie publique, qui devront désormais privilégier la lutte contre l’insécurité – à laquelle vous assimilez l’ensemble de la prévention de la délinquance – aux dépens de l’assistance aux familles et des soins aux malades. Ces secteurs sont intégrés à une chaîne pénale dont le maillon fort est la police.

L’expression « chaîne pénale », de M. Sarkozy, vise à associer l’action de la police et de la justice dans une même entreprise sécuritaire de tolérance zéro alors que notre Constitution, en son article 66, définit la justice comme une autorité indépendante destinée à garantir les libertés individuelles qui ne saurait donc être mise au service de la police. Nous assistons non seulement à une remise en cause de nos institutions mais à une inversion de leurs objectifs, comme en témoigne l’article 6 avec le remplacement de l’aide éducative et de l’assistance aux familles par la lutte contre l’insécurité. Depuis 1945, la responsabilité pénale d’un mineur devait être atténuée par rapport à celle d’un adulte, les sanctions pénales des enfants devant avant tout être éducatives. La philosophie de cette rédaction n’était ni utopique ni angélique mais humaniste et progressiste, la jeunesse étant le bien le plus précieux d’une société.

Comme l’affirme le Préambule de l’ordonnance du 2 février 1945, écrite au retour des camps de concentration par des résistants instruits de la réalité carcérale, la France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. Aujourd’hui, d’aucuns préfèrent en parler en termes de « racailles », de « sauvages » ou de « géants noirs des banlieues », comme l’a dit Sarkozy, le Georges Frêche de l’UMP, lors du conseil des ministres du 28 juin dernier.

La remise en cause de la différence de traitement pénal entre les enfants et les adultes a commencé lors de la première loi Perben avec la création de centres fermés pour mineurs qui s’apparentent à de la prison, tout comme la comparution à délai rapproché à la comparution immédiate et les sanctions éducatives dès l’âge de 10 ans à des sanctions pénales.

Ce projet parachève l’assimilation pénale de l’adolescent à l’adulte en appliquant à l’enfant de plus de 16 ans les mêmes mesures judiciaires qu’aux majeurs : plaider coupable et comparutions immédiates, contrôle judiciaire et détention provisoire en matière de délits, mesure d’activité de jour comparable au travail d’intérêt général. La comparution immédiate des mineurs méconnaît la spécificité de l’enfant sur les plans juridique et éducatif. Le recours à cette procédure nécessite en effet le consentement de l’intéressé, ce qui est contraire, en l’occurrence, à son incapacité juridique.

Sur le plan éducatif, on sait en outre qu’il faut du temps pour prendre en compte l’acte et ses conséquences. La prise de sanction rapide sera contreproductive.

Les principales mesures de cette loi augmentent l’attirail répressif dans un fourre-tout dangereux pour la démocratie : nouvelles compétences du procureur en matière de prévention, pouvoirs coercitifs du maire, création de fichiers éducatifs et psychiatriques, gardes à vue psychiatriques de 72 heures, aggravation des sanctions pénales en matière de violences volontaires, d’entrave à la circulation des trains et d’usage de stupéfiants, légalisation des indicateurs en matière d’infractions sexuelles, légalisation de la provocation policière en matière de stupéfiants, durcissement de la sanction en cas de récidive, extension des pouvoirs pouvant déboucher sur l’arbitraire des polices municipales et des contrôleurs des sociétés de transport en matière de contrôles d’identité.

Ce projet étend aux domaines social et sanitaire des mesures imposées depuis cinq ans dans le domaine strictement pénal : le fichage, le contrôle d’identité, la garde à vue et la pénalisation des problèmes sociaux. Depuis cinq ans, chaque loi pénale a créé ou étendu un nouveau fichier. Sous prétexte de démarches scientifiques, il d’agit de cibler des populations dites criminogènes grâce à des nouvelles techniques – profiling des délinquants, psychologie cognitive, prélèvements d’ADN, vidéosurveillance. Or, notre pays ne manque pas de fichiers : le STIC – système de traitement des infractions constatées – concerne ainsi 24 millions de personnes, le FNAEG – fichier national des empreintes génétiques – compte plus de 270 000 profils génétiques, mais aussi les fichiers des délinquants sexuels, des demandeurs de visas ou le fichier Éloi recensant les personnes hébergeant des étrangers et les visiteurs des étrangers retenus. Avec ce projet, la démarche de fichage pénal atteint l’action éducative et sociale en créant le fichier des élèves de l’éducation nationale, qui sera croisé avec ceux des prestations familiales et des conseils pour les droits et devoirs des familles, sous la « coordination » du maire. Ce dernier « coordonnera » à la fois les nouveaux fichiers et les professionnels de l’action sociale et éducative ; il partagera avec eux leur secret professionnel. Mais est-il prévu de demander leur accord aux personnes concernées avant que des éléments de leur vie privée soient transmis et partagés ?

Par ailleurs, le Parlement, lors de la discussion de la loi du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions générales du code pénal, avait refusé de consacrer la notion de secret partagé. Le secret professionnel est un des indicateurs de la valeur démocratique de toute société et le Gouvernement devrait respecter l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dans lequel sont précisées les exceptions rendant possible sa levée : n’y sont aucunement mentionnées les difficultés sociales, éducatives ou matérielles.

Ce projet touche aussi aux libertés individuelles en prévoyant de généraliser les contrôles d’identité – normalement destinés à la recherche des délinquants – à l’ensemble de la circulation des personnes. Les contrôleurs et agents agréés des entreprises de transport, publiques ou privées, seront dotés des mêmes pouvoirs que les policiers et pourront même décider de quasi gardes à vue, ce qui constitue une sérieuse atteinte à la liberté d’aller et venir. Cette possibilité est aussi octroyée au maire qui pourra décider, même sans avis médical, d’une rétention de 72 heures si l’ordre public est perturbé par des personnes souffrant de troubles mentaux.

Ce projet ne vise en fait qu’à élaborer de nouvelles sanctions pour les plus démunis et à pénaliser la misère au lieu de la soulager. En matière pénale, la loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003 avait déjà créé des infractions de la pauvreté – mendiants, prostitués, nomades se voyaient punis d’amendes et d’emprisonnement – et ce nouveau projet, combiné avec la loi « égalité des chances » du 31 mars 2006, étendra les sanctions encourues par les populations en difficulté en abolissant la frontière entre difficultés sociales, absentéisme scolaire et délinquance.

Ainsi, ce sont de véritables sanctions judiciaires – suspension des allocations familiales, admonestation, travail d’intérêt général de 30 heures – qui seront prononcées par les autorités administratives contre des familles endettées ou dépassées dans leur tâche éducative. Jusqu’à présent, seuls les juges des enfants et les juges des tutelles étaient compétents pour décider de telles atteintes aux libertés. C’est désormais le maire lui-même qui sanctionnera les familles, en violation flagrante de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire, en cas de non respect du contrat de responsabilité parentale.

On assiste, comme le dénonce le Syndicat de la Magistrature, à une « municipalisation de la justice » transformant le maire en shérif. Notre débat commence le jour même du congrès de l’association des maires de France. Ce matin, dans un quotidien, leur président Jacques Pélissard, interrogé à propos de ce texte, précisait qu’il était « hors de question que les maires jouent un rôle répressif. Le pouvoir de sanction relève de l’État à travers ses services de police et de justice ». Les maires n’ont pas « pour mission d’exercer un rôle de sanction ou de tutelle sur les allocations familiales ». Espérons que nous l’entendrons, espérons que ce Gouvernement entendra la demande de nombreuses associations familiales ne comprenant pas pourquoi aucun représentant des familles ou des associations familiales n’est associé aux « conseils des droits et devoirs des familles » présidés par le maire. Je m’étonne d’ailleurs des termes « droits et devoirs » derrière lesquels se profile un relent d’ordre moral reposant sur la dénonciation de familles en situation sociale précaire.

Les conditions sociales d’origine ou d’existence sont délibérément ignorées et la responsabilité individuelle est déterminante dans la délinquance, le chômage, la folie, la misère ou les difficultés éducatives des enfants : cette ignorance volontaire des causes sociales de la délinquance constitue une régression considérable par rapport aux acquis de 1945 concernant le traitement de la délinquance et selon lesquels, à partir du principe de la défense sociale, il est prioritaire de combattre la pauvreté et d’améliorer l’éducation pour éradiquer la délinquance.

Ce projet est emblématique d’un choix idéologique de société. Quelques mois après la loi sur l’immigration et l’intégration dans laquelle de nombreux droits fondamentaux ont été bafoués, le Gouvernement présente un texte qui s’attaque à des droits et des libertés à valeur constitutionnelle, notamment le respect de la vie privée, la dignité, les droits de la défense. Il s’agit d’une loi d’affichage dans la perspective des élections de 2007. Toute la jeunesse est visée, tout comme elle l’avait déjà été lors des présidentielles de 2002 où les politiques sécuritaires avaient été mises en avant, en particulier celles décidées à l’encontre des mineurs délinquants.

Ce projet de société repose sur des valeurs dictées par l’économie libérale. Au cours de la dernière décennie, l’injustice sociale, le chômage, la précarité n’ont fait que croître, avec leurs atteintes insupportables à la dignité : parents chômeurs « à vie », déclassés et déconsidérés, logements parfois insalubres, expulsions, accès à la santé de plus en plus difficile, école de moins en moins porteuse d’espoir d’ascension sociale. Ces phénomènes se sont durablement installés, créant de véritables poches de misère. Cette absence de perspectives, cette perte de lien social et l’exacerbation de l’idéologie individualiste ont eu et continuent d’avoir des conséquences particulièrement graves sur les jeunes les plus fragiles ; leurs réactions désespérées et violentes suscitent des réflexes sécuritaires alors qu’il faudrait s’attaquer aux causes de la montée de cette violence. Au lieu de cela, les victimes du système sont renvoyées à leur propre responsabilité et les pauvres comme les jeunes sont aujourd’hui pénalisés s’ils n’acceptent pas de s’engager dans les voies étroites, le plus souvent sans issue, qui leur sont proposées. C’est pourquoi les politiques libérales, parce qu’elles génèrent de la souffrance et de la révolte, ont besoin d’un État qui contrôle ces « populations à risque ». Celui-ci se dote dès lors de moyens idoines pour réprimer ceux qui se révoltent. Ainsi, de même qu’une partie de la jeunesse se trouve désormais mise à l’écart, les franges de la population les plus fragiles subissent aujourd’hui différentes formes de pénalisation en lieu et place de l’aide à la réinsertion et de l’accès aux droits fondamentaux. De même, l’ensemble des discours stigmatisant les habitants de ce territoire de la République qu’est la Seine-Saint-Denis concourent à les marquer du sceau de l’infamie, les excluant ainsi de la communauté nationale. Au lieu de souder le territoire, vous en abandonnez des pans entiers. Ce n’est pas parce que le 9-3 est en crise que la société française va mal, c’est parce que la société française est en crise que la population la plus fragile du 9-3 va mal.

Ce n’est plus étonnant que la place du travail social soit mise en question par ces orientations politiques, le contrôle des populations se substituant à l’aide à l’intégration sociale. Cela a commencé par les conseils de sécurité intérieure, initialement créés pour lutter contre le terrorisme mais qui, sous l’impulsion de ministres de l’intérieur successifs, se sont transformés en machine de guerre gouvernementale contre le nouvel ennemi intérieur : la jeunesse.

C’est dans ce cadre qu’ont été développés les outils répressifs à l’encontre des jeunes, mais aussi de leurs parents. Cela s’est poursuivi par des modifications successives de l’ordonnance de février 1945 relative à la justice des mineurs, qui ont toutes eu pour but, ces dernières années, d’aligner la justice des mineurs sur celle des majeurs.

Un pas supplémentaire est franchi avec la nomination massive d’éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse dans des établissements pénitentiaires pour mineurs, dont les premiers voient le jour cette année. Derrière cette confusion des champs éducatif et répressif se cache le projet de rechercher principalement les solutions aux problèmes des mineurs délinquants dans la sphère du carcéral. Il ne s’agit plus d’éduquer, d’accompagner et de favoriser l’accès à l’autonomie et à la responsabilité, mais de redresser ! Pure illusion pourtant que de croire que la menace et la contention favorisent l’évolution des adolescents, les aident à intégrer les normes sociales et réparent des enfances fracassées.

Est-ce que la répression déjà à l’œuvre permette de réduire le nombre des incivilités ? Les chiffres montrent que non. La répression n’est pas dissuasive. Dès lors, il serait judicieux de prendre le temps de l’analyse et de quelques remises en cause.

Tout cela aboutit à la stigmatisation de pans entiers de notre société. On parachève ainsi la pénalisation de la pauvreté à l’œuvre depuis des années et le traitement de la délinquance se substitue à l’éducation des mineurs en grande difficulté. Traditionnellement, pourtant, la loi pénale considérait les publics vulnérables comme des personnes devant être accompagnées. Aujourd’hui, ce projet les assimile à des délinquants qu’il faut sanctionner ou réprimer. D’une façon générale, il ouvre la porte à toutes les confusions entre prévention, action éducative, action sociale et police.

Le Gouvernement eut été bien inspiré de relire les principes directeurs des Nations unies pour la prévention de la délinquance juvénile : « Pour que la prévention de la délinquance juvénile porte ses fruits, il faut que la société tout entière assure le développement harmonieux des adolescents en respectant leur personnalité et en favorisant l’épanouissement des jeunes dès la plus tendre enfance. Les jeunes devraient avoir un rôle actif de partenaires dans la société et ne pas être considérés comme de simples objets de mesures de socialisation et de contrôle. »

Une société qui a peur de ses jeunes est une société malade. Alors, oui, je regrette que ce projet traduise une vision pessimiste des familles et des jeunes. Avec un tel projet, vous portez un coup violent à la société dans son ensemble, vous continuez votre entreprise de déstabilisation des Françaises et des Français. Après vous être attaqués aux migrants et aux travailleurs, vous vous en prenez aux jeunes, et mieux encore aux enfants, alors qu’il faudrait s’attaquer durablement à la racine du problème : l’insécurité sociale.

Il serait plus pertinent d’améliorer l’accès à l’emploi, à des logements décents et bien desservis, à des infrastructures de qualité – et gratuites pour ceux qui n’ont pas les moyens – en matière de loisirs, de culture, de soutien scolaire, de sport. Il vaudrait mieux multiplier les postes de travailleurs sociaux, ceux de la protection judiciaire de la jeunesse, de l’éducation nationale, de la pédopsychiatrie et des PMI. Il vaudrait mieux développer des partenariats de terrain entre PJJ, conseil général, éducation nationale et associations diverses de prévention afin de mener un travail éducatif, social et sanitaire en réseau.

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