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Dans la Thaïlande rurale, les "chemises rouges" ne cèdent rien

Publie le samedi 22 mai 2010 par Open-Publishing
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de Martin Petty

CHIANG MAI, Thaïlande (Reuters) - La présence de centaines de manifestants enthousiastes vendredi à la gare de Chiang Mai où arrivaient des "chemises rouges" expulsés de Bangkok ne laisse guère de place au doute : la contestation est loin d’être terminée en Thaïlande.

Cette grande ville rurale du Nord, à 14 heures de train de la capitale, est un bastion du mouvement qui s’est achevé - provisoirement ? - dans le sang et les flammes à Bangkok.

C’est là qu’est né voilà 60 ans l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, dont se réclament les "chemises rouges" et que ses adversaires accusent d’avoir financé la lutte et bloqué les tentatives de règlement négocié.

Le gouvernement affirme que l’ex-Premier ministre, déposé par un coup d’Etat en septembre 2006, a tiré les ficelles de la contestation et le soupçonne d’avoir fait passer en contrebande armes et combattants à partir du Cambodge voisin.

Dans la capitale, le calme a été rétabli mais au prix d’une cinquantaine de morts et de plus de 400 blessés en six jours d’affrontements, de vendredi à mercredi. Depuis le début de la crise politique, en avril, le bilan humain est d’au moins 82 morts et 1.800 blessés.

Jamais dans son histoire récente la Thaïlande n’avait été confrontée à une telle explosion de violences.

Aujourd’hui, les "chemises rouges", qui réclament la démission du Premier ministre, Abhisit Vejjajiva, et la tenue d’élections anticipées, semblent ramenés au pas, leurs dirigeants matés et leur réputation en lambeaux.

Mais le déploiement militaire qui a fini par les déloger de Bangkok donne au mouvement, qui tire essentiellement sa légitimité des zones rurales et des classes pauvres du pays, de solides raisons de reprendre la lutte.

"NOUS N’ABANDONNERONS JAMAIS"

"Beaucoup d’entre nous ont été tués, mais nous ne sommes pas battus", hurle un manifestant dans un mégaphone à la gare de Chiang Mai, s’attirant aussitôt l’approbation sonore de la foule. "Nous n’avons pas perdu, nous engagerons un nouveau combat", reprend-il de plus belle tandis que les partisans scandent le mot "combat".

Dans la gare, des familles réunies s’embrassent. La musique coule à flots, des bannières s’agitent. Des affiches brandies dénoncent Abhisit "l’assassin !".

Plus loin, des manifestants affirment qu’Abhisit et l’armée ont remporté une bataille, mais pas la guerre. "Nous n’abandonnerons jamais, jamais, jamais", insiste Dow, 36 ans, qui ne donne que son surnom par crainte de représailles.

"Quelqu’un va devoir payer pour ce qui s’est passé. De nouveaux dirigeants émergeront bientôt et nous recommencerons", ajoute-t-elle.

La crise thaïlandaise a révélé au grand jour les divisions de la société, ses inégalités entre la scintillante Bangkok et le monde rural.

D’après les données de la Banque mondiale, sur 67 millions de Thaïlandais, les 20% les plus riches détiennent 55% de la richesse nationale, les 20% les plus pauvres n’en ont que 4%.

Pour Abhisit, qui s’est engagé vendredi à mettre en oeuvre un plan de réconciliation, la marge de manoeuvre est étroite : ses partisans toléreront mal toute concession aux "chemises rouges" qu’ils assimilent à des émeutiers.

Henri-Pierre André pour le service français

http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20100521.REU9565/dans-la-thailande-rurale-les-chemises-rouges-ne-cedent-rien.html

Messages

  • Sous réserves, mais la crise thaïlandaise se situe dans un pays où l’importance numérique du monde rural est très décroissante.

    On se retrouve classiquement dans le même phénomène mondial en cours partout : une sur-puissance numérique et en croissance très rapide du prolétariat urbain.

    Comme en Iran , comme en Chine, et dans bien d’autres états et régions du monde.

    Cette sur-puissance ascensionnelle d’un prolétariat urbain concentre les chocs avec des factions bourgeoises, bureaucratiques, théocratiques, royalistes, militaristes, qui sont divisées entre elles, mal sorties du système de domination précédant.

    Les révolutionnaires des siècles précédents se trouvaient dans des transitions démocratiques bourgeoises où la paysannerie était très puissante et le prolétariat faible.

    Le contexte est radicalement différant maintenant. La Thaïlande compte une énorme agglomération centrale mais également de nombreuses grosses villes au dessus d’un million d’habitants. On peut comparer avec la France et se rendre compte que, suivant mes sources, il y a plus de villes de plus d’1 million d’habitants en Thaïlande qu’en France tout en ayant également une agglomération semblable à la région parisienne.

    Cela doit nous alerter sur une transition sociale qui s’est faite rapidement au détriment radical du monde rural.

    Il existe des états qui engagent ces transitions démocratiques bourgeoises dans des situations inédites avec des prolétariats puissants numériquement (grossis par les exodes rurales), ce qui rend très instables et brouillées ces transitions pour les factions bourgeoises.

    C’était déjà pas facile quand les paysanneries étaient surpuissantes, la classe aristocratique puissante (cf révolution russe), même avec de minuscules prolétariats, là c’est franchement compliqué et les factions bourgeoises sont divisées sur la question de faire appel aux masses pour bousculer les vieilles hiérarchies militaires et royalistes.

    La Thaïlande n’a pas fini d’être instable.