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De Hiroshima à Bagdad

Publie le vendredi 5 août 2005 par Open-Publishing

de Al Faraby

A l’approche de la date du 6 août 2005, 60e anniversaire de l’utilisation de la première bombe atomique, certains experts des médias américains établissent un parallèle entre la censure exercée à l’époque sur les images des victimes et de la dévastation à Hiroshima et la couverture, aujourd’hui, de la guerre en Irak.

Dans un article publié cette semaine par Editor et Publisher, Greg Mitchell, rédacteur en chef de cette revue spécialisée, rappelle que dans les semaines qui ont suivi le largage des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, les autorités américaines avaient saisi les bobines des films tournés par les militaires américains et les équipes des actualités japonaises.

L’objectif était alors d’empêcher les Américains de voir l’ampleur des dégâts infligés par ces armes révolutionnaires, dont chacune a fait des dizaines de milliers de morts.

Le film en couleurs de l’armée américaine fut classé secret et interdit de diffusion jusqu’au début des années 80. Il n’a jamais été entièrement montré. Le film des actualités japonaises, en noir et blanc, fut rendu aux Japonais à la fin des années 60.

Une chaîne de télévision du réseau câblé américain va finalement diffuser samedi certaines images prises dans les jours qui ont suivi le largage de la bombe, dans le cadre d’un documentaire présenté à l’occasion de ce 60e anniversaire.

"Même s’il y a évidemment d’énormes différences avec l’Irak, il y a aussi certaines similitudes", relève Mitchell, co-auteur de l’ouvrage "Hiroshima in America".

"Le principal point de comparaison est qu’on maintient encore les Américains à distance des représentations de la mort, qu’il s’agisse de leurs propres soldats ou des civils irakiens", poursuit Greg Mitchell.

En mai, le Los Angeles Times a publié une étude sur la couverture de la guerre en Irak, sur une période de six mois, par six grands quotidiens américains et deux magazines.

Au cours de cette période, 559 membres des forces de la coalition, en grande majorité américains, ont été tués. Le Los Angeles Times n’a relevé quasiment aucune photo de ces soldats tués au combat et seulement 44 images des milliers d’Occidentaux blessés.

"Il y a un mélange de censure et d’autocensure. Alors que nous sommes dans une ère de l’information, nous ne disposons malheureusement pas d’une information honnête et factuelle", juge Yahya Kamalipour, professeur de sciences de la communication à l’Université Purdue d’Indiana et auteur d’un ouvrage sur la couverture de la guerre en Irak par les médias américains.

Le Pentagone interdit ainsi aux télévisions américaines de filmer les cercueils de soldats morts en Irak lorsqu’ils sont rapatriés aux Etats-Unis. Il poursuit également sa bataille judiciaire pour empêcher la publication de photos ou de vidéos du scandale de la prison d’Abou Ghraïb. Certains observateurs évoquent également l’autocensure exercée par les responsables des diverses rédactions, qui jugent les images "trop choquantes" pour les lecteurs ou les téléspectateurs, ou pour se mettre à l’abri de toute controverse.

"Tant de médias sont la propriété de grandes sociétés qui s’intéressent davantage aux moyens de gagner de l’argent qu’à prêter le flanc aux critiques de la Maison blanche ou du Congrès", assène Ralph Begleiter, ancien journaliste de CNN et désormais professeur de journalisme à l’Université du Delaware.

En octobre 2004, Ralph Begleiter a demandé à la justice de contraindre le Pentagone à autoriser la diffusion d’images des cercueils revenant d’Irak.

En avril, le Pentagone a rendu publiques plus de 700 photographies toutes prises avant juin 2004. Pour Begleiter, il semble que l’armée a cessé de prendre des photos de ces cercueils afin de ne pas être contraint d’en diffuser. Le réseau de télévision ABC a pour sa part suscité une vive polémique en mai 2004 en diffusant, sans le moindre commentaire, les photos et les noms de 721 soldats américains tués en Irak. Une société propriétaire de huit chaînes locales d’ABC a interdit la diffusion de ce programme, qualifié de propagande pacifiste par certains conservateurs.

Un mois auparavant, quatre civils américains avaient été tués à Falloudja et leurs corps traînés dans les rues et pendus sur un pont. La plupart des chaînes de télévision américaines n’ont pas diffusé les images. Sur les 20 plus gros tirages de la presse américaine, seuls sept ont choisi de mettre une photo en une.

En 1945, les responsables américains souhaitaient poursuivre le développement de la bombe atomique puis des armes nucléaires sans risquer l’indignation de leurs concitoyens.

Ils y sont parvenus... merveilleusement !

http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=2375