Accueil > De la Rebellion Occidentale à la Dissidence Cubaine

De la Rebellion Occidentale à la Dissidence Cubaine

Publie le lundi 29 mai 2006 par Open-Publishing

Pensez-vous que je sois un dissident ? Oui ? Vous avez tort, car je suis un rebelle. Yeah !

Les mots ici ont toute leur importance. Mais le plus important, c’est de provoquer le plus grand écart possible entre la signification première du mot et la réalité du terrain. Ca s’appelle tout bêtement de la propagande.

Moi, comme vous, je suis "contre", n’est-ce pas ? On va pas passer en revue la liste des "contres" alors pour faire court disons que nous sommes bien d’accord.

Précisons, pour l’histoire, que je suis aussi parfois "pour" et voilà l’affaire bouclée. On ne va quand même pas passer la journée à couper les cheveux des mouches en quatre.

Cela dit, malgré le déploiement de toute mon énergie, roublardise, opportunisme et mauvaise-foi, il faut bien constater que je ne fais pas souvent la "une" des journaux. Mes rêves de gloire éphémère se dérobent sous mes pieds chaque fois que l’on ne parle pas de moi dans les médias, c’est-à-dire souvent. A tel point qu’il m’arrive de me convaincre que j’aurais mieux fait d’écouter mes parents et faire ces fameuses études de médecine.

Les seuls à qui je réussis à faire peur sont mes proches lorsqu’ils voient ma tronche le matin. Pour le reste, je ne suis qu’une mauvaise herbe, inévitable et tolérée, dans une culture bien ordonnée. Personne pour me cueillir.

Parce qu’il me reste encore quelques bribes de conscience, je ne fréquente pas les fumoirs d’opium et je préfère m’enfermer chez moi et surfer sur le Net. Incapable de ranger correctement ma chambre, me voilà condamné à faire la révolution par procuration et la révolte par correspondance. Les pétitions se font "on-line" et les manifestations en 3-D.

Certains mots ont un effet extraordinaire sur moi. Que mes yeux tombent sur le mot "Révolutionnaire" et mes pupilles se dilatent. Je vois le mot "populaire" et mes papilles font de la résistance. Un poing levé suffit pour embellir ma journée. "Communiste" ne me fait pas peur, à condition qu’il soit "anarcho" ou "révolutionnaire". Fétichiste et pathétique. Un peu comme mes premiers émois en voyant Chantal Goya à la télé, habillée en Gros Lapin, me faire "coucou" de la main.

J’accumule des bribes de connaissances critiques en attendant que les choses atteignent un hypothétique "point critique" - le big bang, l’explosion sociale quoi - qui me permettra d’entrer en scène. Je suis un éternel intermittent du spectacle de la Révolution en situation d’inter-contrat d’une durée indéterminée.

Persuadé que la distance rend ma vision plus large, je sors ma critique à chaque fois que le besoin se fait sentir. C’est ainsi que j’ai découvert très tôt que Fidel Castro n’était qu’un petit bourgeois et que la Révolution Cubaine avait été dévoyée seulement 4 mois 9 jours 6 heures et 23 minutes après sa triomphe - selon mes calculs précis. En un mot comme en cent : je suis un "West-Bloc Rebel", yeah !, un rebelle à l’occidental.. Je suis un cyber-Marcos, un Ché-virtuel, un Barbudo-digital.

Je suis aussi assez con pour être le patron de Reporters Sans Frontières mais la place est déjà prise.

Mais, au fond, je m’emmerde à mourir.

(silence)

J’aurais pu être un contestataire, vous savez. J’en avais à peu près les capacités et presque l’envie.

Je n’aurais pas changé grand chose sur le fond, mais la forme aurait fait l’objet d’un remodelage. Je me serais arrangé deux ou trois mèches, changé de style vestimentaire. En intellectualisant en peu plus mon discours, j’aurais balayé du revers de la main les reproches avant même qu’elles ne soient formulées. Mon argumentaire rodé, ma connaissance encyclopédique du sujet auraient impressionné le plus coriace des journalistes.

J’aurais défendu avec brio des causes perdues. J’aurais exprimé des opinions à contre-courant et certaines banalités incontournables - je suis contre la peine de mort, vous savez... Le racisme... non là vraiment, je comprends pas... Israël, une démocratie, n’est-ce pas ?... la Palestine, certes, mais le terrorisme que voulez-vous...

Mon coté pittoresque - n’oubliez pas que j’aurais eu des opinions à contre-courant - aurait été toléré jusqu’à ce que les médias sonnent la fin de la récréation. Et là, afin de réaffirmer mon "objectivité", j’aurais formulé mes critiques les plus acerbes - sur un ton de regret éternel mais impossible de me taire - pour de supposés amis. Mieux encore, j’aurais commencé mon "mea culpa" en rappelant à quel point j’étais proche de "ces gens-là". Et en prenant un peu de recul pour mieux prendre mon élan, j’aurais assené un coup que d’aucuns auraient aimé voir mortel.

J’aurais défendu les guerres abjectes et le fascisme d’état.
J’aurais critiqué ceux qui s’y opposeraient.
Le tout sans perdre de ma superbe.

Ils m’auraient appelé un "intellectuel engagé" et ça m’aurait fait mourir de rire.

(silence)

Évidemment, "dissident" aurait-été mon rêve. Mais là, comme au loto, il n’y a pas beaucoup de gagnants. Forcément : "dissident" est associé dans l’inconscient collectif occidental à un individu solitaire qui résiste contre toutes les pressions, qui affirme ses opinions malgré le danger qui rode. Le Dissident est appelé à une destinée exceptionnelle. Le Dissident passe de la précarité intermittent au statut de free-lance romantique.

Le Dissident apparaît toujours en public seul ou avec juste quelques proches. L’image du Grand Solitaire doit être préservée afin de déclencher un élan de sympathie.

Le Dissident n’a pas de militants ou de chef, seulement des partisans, des collaborateurs, des amis, de la famille.

Le Dissident est tout nu devant l’ogre de la structure de l’Etat Totalitaire.

Le Dissident est modeste et parle doucement le langage du peuple. Le Dissident cubain est journaliste, militant des droits de l’homme, et poète à ses heures. Le Dissident demande "plus de bonheur" pour les Cubains, "la liberté", "la justice" et l’ouverture des magasins le dimanche.

Le Dissident cubain se prononce en général "contre le blocus", mais reçoit de l’aide des groupes fermement partisans d’un renforcement du blocus.

Le Dissident est à la fois fragile comme un joueur d’accordéon à un concert du groupe AC/DC, et ferme comme le refus de votre patron à vous accorder une augmentation.

Le Dissident est à sa "cause" ce que le mannequin est à son soutien-gorge dans une publicité pour sous-vêtements. Un faire valoir pour des réalités sociales et économiques autrement plus complexes et moins sexy.

Vous avez tous vu ces pseudos-reportages où une personne est suivie par une caméra, se présente devant une porte et sonne. Quelqu’un ouvre la porte, dit "tiens ? c’est toi ? entre...". L’autre entre, la porte reste ouverte parce qu’il faut bien que la caméra suive pour filmer cette scène "improvisée".

Le Dissident cubain, avant son arrestation, fait bombance dans la résidence de l’ambassadeur d’un pays qui vient de massacrer le peuple Irakien et a pour objectif depuis plus de 40 ans de faire à peu près la même chose avec le pays dudit Dissident. Le Dissident cubain est activement appuyé par la plus grande puissance terroriste de la planète. Le Dissident, dans sa splendide solitude apparente dit : "tiens ? c’est vous ? entrez...". Il y a toujours une caméra ou un micro qui passe par hasard. Là, et pas ailleurs.

Le Dissident cubain est seul et fragile mais le géant US le suit à chaque pas.

Lorsque le Dissident cubain se fait prendre la main dans le sac, son chef, James Cason, ambassadeur des US, se cantonne dans des déclarations de circonstance, menaçantes de la part des Etats-Unis, comme il se doit. Sans doute est-il fâché d’avoir perdu ses amis. Sans doute en trouvera-t-il d’autres pour tromper sa solitude.

(silence)

Lorsqu’un intellectuel occidental engagé s’éprend d’un Dissident cubain (peut-on lui en vouloir ? après tout, c’est son boulot) il se produit des phénomènes étranges. Plusieurs cas ont été recensés.

 L’intellectuel se retrouve paralysé dans son lit lorsqu’un millier de personnes se font emmener à Guantanamo.

 Il a un choc émotionnel qui l’empêche de parler des Cinq de Miami.

 Un voile lui couvre les yeux devant le blocus et une tentative de crime humanitaire qui dure depuis plus de 40 ans.

 Des extra-terrestres viennent l’enlever pour lui effacer une partie de sa mémoire à chaque agression des Etats-Unis contre un autre pays.

Mais parfois un rayon de lumière tombe sur l’intellectuel et le voilà soudainement téléporté devant l’ambassade de Cuba à Paris, en train de manifester bruyamment son soutien au Dissident cubain. Etranges phénomènes. Phénomènes étranges.

Faudrait en parler à Mulder.

Quant au rebelle mentionné ci-dessus, il passe ses soirées à m’écrire pour me traiter de "stalinien". Je suis effondré.

Curieusement, une version moderne et plus d’actualité pour traiter quelqu’un de "salaud" n’existe pas. Pourtant, "Bushien", ce serait pas mal, non ?

L’avantage, c’est que le terme est aussi moche que la chose qu’il désigne.

Viktor Dedaj
"anti-bushien notoire"