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De la bataille contre le mur à la bataille contre l’apartheid

Publie le vendredi 29 octobre 2004 par Open-Publishing

Je vais aller voir qui vous voulez, même un ardent défenseur de la politique d’Ariel Sharon, pourvu qu’il soit suffisamment cadré par des principes républicains, même, et surtout, s’il est victime d’une interprétation du monde selon la dichotomie du bien et du mal, et je luis dis : "Veux tu comme moi en Palestine et Israël un ou deux Etats (au choix) qui offrent l’égalité de droits à tous leurs citoyens ? Penses tu que c’est un critère fondamental de la démocratie et une condition pour la paix ?". Sa réponse sera certainement positive.

Et cette réponse positive ne peut être que sincère. Il peut émettre quelques objections qu’il ne pourra de toute façon maintenir car elles vont à l’éncontre des fondements de son identité politique.

Obtenir cet engagement autour de nous est un acte qu’il faut multiplier par milliers. Faire émerger ces engagements dans l’espace politique, cela rassemble et libère à une force qui, tout simplement, modifie la réalité. Les situations politiques changent seulement lorsque certaines idées ou pratiques échappent du contrôle égoîste de ceux qui les "détiennent" pour les partager avec d’autres.

Les conséquences d’un tel changement du paysage politique français à l’égard de la Palestine seront mille fois plus efficaces que la fameuse "suspension des accords d’association" qui ne parle à personne et qui n’interpelle aucune symbolique politique.

Par cet acte nous passons de la bataille contre le Mur à la bataille contre l’Apartheid.

Paradoxalement, c’est au moment où le Mur s’installe, se construit et semble s’imposer, que l’Apartheid devient potentiellement le plus vulnérable car il créé, avec le mur, le paysage figé permettant d’entamer le processus de sa décomposition.

Ces 700 km de beton sont la dernière ligne sur laquelle se projette le visage de l’apartheid. Il est dessiné, figé, définitivement montré et piégé par sa propre puissance, accessible au regard, démontable, cassable et mourant.

Mais cela dépend de nous et de notre capacité à le montrer. L’apartheid n’est pas un objet physique mais un système politique enraciné dans l’histoire et ayant des frontières qui dépassent de loin celles du Mur.

La compréhension courante voudrait confondre les frontières de l’apartheid avec celles de la fameuse "entité sioniste", formule régulièrement utilisée par certains pour désigner l’Etat d’Israël. Je ne partage pas cette définition.

L’apartheid est enraciné dans le système politique israélien et ils trouvent ses manifestations dans la discrimination à l’égard des Palestiniens d’Israël et l’exclusion, le transfert, la mise à l’écart, la séparation et l’emprisonnement des autres Palestiniens. Tout cela est vrai, mais l’apartheid ne se confond pas avec l’Etat d’Israël et n’est de toute façon pas une caractéristique permanente ou éternel de cet Etat.

Je me répète souvent une phrase de Milan Kundera où il dit : "Israël est le coeur de l’Europe, déposé en dehors de l’Europe". Je regarde le mur qui s’installe et me demande : est-ce le Mur de l’Europe ? l’échec, l’anéantissement, le renversement de l’idée démocratique, sa métamorphose dans le monstre de son contraire, toujours dans la volonté d’oublier, de ne pas regarder le passé, de ne pas comprendre. L’apartheid plonge ses frontières dans l’oubli européen, dans l’incapacité à garder la mémoire des victimes du génocide, dans l’offense faite à leur mémoire et dans l’incapacité à reconnaître cette offense.

C’est seulement lorsque nous aurons fait reculer cet état de fait, lorsque la Palestine sera à nouveau la terre d’où rayonne l’égalité et le respect de l’être humain pris en tant qu’être et non en tant que matériel servant une identité, que nous aurons respecté la mémoire du génocide. On devra cesser de définir le futur Israël, comme on continue à l’admettre honteusement aujourd’hui, comme la garantie pour que "des futurs génocides ne se reproduisent pas", une raison d’être qui nécessite par définition la survivance de l’antisémitisme. Le futur Etat d’Israël devra se donner une raison d’être opposée : celui dans lequel la mémoire du génocide aurait été enfin respectée par l’instauration de la démocratie universelle.

Il ne s’agit pas d’un idéal mais d’un long chemin et d’une lutte historique. Il ne s’agit pas d’un dogme de gauche radical mais des principes élémentaires et modérés de démocratie et de civilisation. Ce chemin concerne aussi tout militant solidaire avec la cause des Palestiniens. Celui qui ne se sent pas concerné par ce chemin et se définit comme étant "uniquement solidaire des Palestiniens" recréé les frontières du Mur et offre à l’Apartheid son arme la plus redoutable : l’exclusivité du discours.

Selon Shimon Peres, "la puissance du sionisme tenait en partie à son ignorance", car les sionistes qui arrivaient en Palestine "n’avaient pas la moindre idée de ce qu’étaient les Arabes. Ils n’avaient jamais vu un Arabe avant d’arriver en Palestine. C’était comme lire de la science fiction... c’était de l’ignorance" [*] !!! Ce dogme de l’ignorance est la base de la négation de l’Autre et le fondement du système de l’apartheid.

Mais la négation produit la négation et crée, entre autre, des ghettos d’écoute et d’intérêt qui permettent à l’apartheid d’étendre ses multiples racines jusque dans certains discours de "solidarité" qui s’obstinent à désigner l’Etat d’Israël comme Etat colonial pour l’éternité.

Pour revenir aux engagements dont j’ai parlé au début et que nous devons obtenir des tranches politiques les plus larges de la société française, ces engagements en faveur d’un retour à la démocratie universelle au Proche-Orient, ils ne peuvent être obtenus que si nous mesurons la complexité de notre combat et intégrons la problématique de l’ensemble des acteurs engagés.

Ainsi, pour moi, la problématique de l’Etat juif aura un sens seulement avec l’instauration de la démocratie universelle en Palestine et Israël. C’est seulement à ce moment là que l’Etat d’Israël deviendra un Etat juif, non pas un Etat dans lequel il faut maintenir une majorité démographique juive, mais justement un Etat où on ne compte plus les gens (comme on recommence à le faire en France) et où on ne sait plus qui est Juif et qui ne l’est pas, où la question de l’antisémitisme sera totalement dépassée.

C’est aussi, en allant dans la direction de cet horizon, que le retour des réfugiés palestiniens sera un facteur de redémocratisation de la région, et non comme c’est perçu aujourd’hui, comme une menace.

Ce chemin nous semble long, mais l’histoire peut nous surprendre.

Passer de la bataille contre le Mur à la bataille contre l’apartheid, càd faire enfin de la politique, permet au moins d’engager ce chemin.

Nazem

[*] Robert Littell. Conversations avec Shimon Peres. 1996

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