Accueil > De la critique à l’antisémitisme

De la critique à l’antisémitisme

Publie le jeudi 4 novembre 2004 par Open-Publishing
3 commentaires



7 novembre 2004,
manifestons : vivre ensemble libres, égaux et solidaires


L’assimilation des termes antisioniste et antisémite est aussi reprise dans
le rapport Ruffin.


de Pascal BONIFACE *

De nombreux responsables communautaires juifs et des intellectuels juifs et non
juifs ont largement répandu l’idée que la critique du gouvernement israélien
n’était qu’un alibi pour exprimer au nom des victimes palestiniennes un antisémitisme
que l’on ne veut pas afficher franchement. Cette thèse a été reprise par Jean-Christophe
Rufin dans un rapport au ministre de l’Intérieur sur la lutte contre le racisme
et l’antisémitisme. Il estime qu’il existe « un antisionisme moderne né au confluent
des luttes anticoloniales, antimondialisation, antiracistes, tiers-mondistes
et gauchistes ». Selon lui cet « antisionisme est un antisémitisme par procuration ».

Il faut d’abord définir les termes. Qu’est-ce que l’antisémitisme ? Qu’est-ce que l’antisionisme ? L’antisémitisme est l’hostilité et même parfois la haine à l’égard des juifs, pris indifféremment pour la seule raison qu’ils sont juifs. Dans l’histoire, l’antisémitisme a conduit à des persécutions, des pogroms et à la Shoah. L’antisionisme est différent, c’est le refus de l’existence de l’Etat d’Israël. Les deux concepts peuvent être liés, mais ils ne le sont pas automatiquement. Il y a évidemment des gens qui, étant antisémites, refusent au peuple juif le droit à disposer d’un Etat. Mais, en même temps, il y a au sein de la communauté juive de nombreux juifs antisionistes. Ils peuvent l’être pour des raisons religieuses. Au nom de la Torah, des religieux nient à l’Etat d’Israël le droit de représenter tous les juifs. Ils estiment même que la politique d’Israël met les juifs de la diaspora en danger. D’autres sont antisionistes pour des raisons politiques. Ils estiment que les juifs doivent être intégrés individuellement dans les Etats où ils vivent et ne se reconnaissent pas dans un Etat qui serait fondé sur des critères de race ou de religion.

D’autres, enfin, sont sionistes mais c’est justement leur attachement à Israël qui les conduit à critiquer Sharon, coupable à leurs yeux de porter atteinte aux intérêts à long terme d’Israël.

Il peut y avoir des sionistes antisémites. Une partie de l’extrême droite française l’est. Elle préfère voir les juifs en Israël plutôt qu’en France. Elle approuve la politique de répression contre des Palestiniens du fait d’un racisme antiarabe. Les chrétiens sionistes américains soutiennent la politique de Sharon. Pour eux, le retour des juifs en Terre sainte servirait de prélude à leur adhésion au Christ et, pour ceux qui ne le font pas, à leur destruction physique. Ils sont donc antisémites et sionistes. On le voit, il y a donc de multiples combinaisons des termes « sionisme », « antisionisme » et « antisémitisme ».

L’assimilation des termes « antisioniste » et « antisémite », si elle est possible, n’est en rien automatique. Dans le cas présent, elle vise avant tout ceux qui combattent l’antisémitisme, qui reconnaissent le droit pour Israël d’exister dans des frontières sûres et reconnues, qui condamnent les attentats-suicides mais qui critiquent la conduite de son gouvernement. Ils ne reprochent pas à Israël d’exister, ils critiquent ce que fait Israël. Or le fait de critiquer le comportement d’un gouvernement ne revient pas à nier le droit à un Etat d’exister.

Il est indéniable que le peuple juif est celui qui a le plus souffert du racisme, et le génocide juif a un caractère unique. Cela ne permet pas pour autant d’accuser d’antisémitisme ceux qui critiquent le gouvernement de l’Etat d’Israël. Bien sûr, vos accusateurs affirmeront qu’il est possible de critiquer Sharon sans être taxé d’antisémitisme. Ils disent d’ailleurs qu’eux-mêmes peuvent exprimer des réserves sur la politique israélienne. Mais, outre le fait qu’on a du mal à identifier de telles critiques venant de leur part, ils interdisent aux autres dans la pratique ce qu’ils disent tolérer en théorie. Car la critique du gouvernement israélien est comparable à ce qu’était la liberté syndicale ou religieuse dans les pays communistes. C’est théoriquement possible. Mais, si vous passez à la pratique, vous allez au-devant de graves problèmes.

Si l’on critique George W. Bush pour son comportement en Irak, ou pour son refus de respecter le droit international d’interdiction de recours à la guerre, on ne sera pas accusé automatiquement de faire de l’antiaméricanisme (bien que cela soit de plus en plus fréquent), ni de faire du racisme antiaméricain. De même, si l’on critique le gouvernement Poutine en Tchétchénie, on ne se verra pas reprocher de faire du racisme antirusse, on constatera un désaccord politique avec les exactions des Russes dans cette région. On pourra critiquer le gouvernement chinois sans être traité de racisme antichinois, avoir des jugements très durs à l’égard d’Arafat sans encourir le procès d’un racisme antiarabe. Ceux qui par exemple désapprouvent la politique française au Proche-Orient ne sont pas accusés de faire du racisme antifrançais.

On voit bien le danger d’un tel raisonnement sous couvert de lutter contre l’antisémitisme, on criminalise la critique politique d’un gouvernement. Il y a bel et bien une tentative d’empêcher le libre exercice du débat démocratique sous couvert de lutte contre l’antisémitisme. Cette tactique peut avoir des avantages. Elle est, dans l’optique du gouvernement israélien, dans un premier temps efficace.

Qui pourrait assumer l’accusation infamante d’antisémitisme ? L’accusation d’antisémitisme même injustifiée fait de vous un paria dans de nombreux cercles. Peu de gens iront vérifier si les accusations ont un réel fondement ou si elles sont simplement un moyen d’exclure de la vie de la cité une personne dont le seul tort est d’avoir critiqué le gouvernement israélien. En ce cas, c’est au défenseur d’apporter la preuve de son innocence et non à l’accusation de prouver la culpabilité. Il suffit de l’affirmer.

Mais, à terme, cette politique est catastrophique, elle revient à banaliser l’antisémitisme. Elle crée une assimilation entre juifs français et Israéliens qu’elle condamne par ailleurs et qui ne correspond pas à la réalité.

Si l’on veut combattre efficacement l’antisémitisme, il ne faut pas pénaliser la critique de l’Etat d’Israël. Il ne faut pas établir un lien automatique entre Juifs français et Israéliens. Il faut distinguer la lutte contre l’antisémitisme de la défense d’Israël.

Dernier ouvrage paru : Est-il permis de critiquer Israël ?, Robert Laffont, 2003.

* Pascal Boniface directeur de l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques)

http://www.liberation.fr/page.php?Article=250915

Messages